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Femmes et santé : Violences obstétricales, maternité et self-helf

Les violences gynécologiques et obstétricales dénoncées aujourd’hui témoignent de la persistance de la domination masculine, qui se traduit aussi par un contrôle puissant de la médecine sur la vie des femmes, de leur naissance à leur mort, en passant par la grossesse et la ménopause.

Pour se réapproprier leur corps et les questions liées à leur santé ou à la maternité, les femmes s’impliquent dans des recherches, dans des réflexions et des pratiques collectives, critiquant et subvertissant un pouvoir patriarcal qui se perpétue à travers les institutions.

 

Un tournant dans la manière d’envisager les violences faites aux femmes

Ces dernières années, avec Internet et les réseaux sociaux, la parole des femmes s’est largement libérée… Ou commence-t-on seulement à tendre nos oreilles et les écouter ? En tout cas, force est de constater que Twitter et Facebook ont joué et continuent à jouer un rôle de porte-voix pour permettre aux femmes de dénoncer les violences qu’elles subissent parce qu’elles sont femmes et ainsi de visibiliser les violences patriarcales, dont les violences obstétricales sont une des expressions. La prise de conscience des violences gynécologiques et obstétricales vécues par les femmes, a coïncidé pour moi, comme pour d’autres femmes, avec la lecture du roman Le chœur des femmes de Martin Winckler paru en 2009[1]. Médecin et fervent défenseur de la santé des femmes, Martin Winckler a en effet dénoncé dans cet ouvrage, mais également dans d’autres récits comme Les Brutes en blanc (2016)[2], la réalité des violences faites quotidiennement aux femmes dans le cadre médical.

L’été 2017 a constitué une autre date-clé d’un mouvement de dévoilement qui s’orchestre dans des nouveaux espaces. Au plan politique, c’est le moment où Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes en France, a relayé cette parole sur le devant de la scène, commandant un rapport sur le sujet des violences obstétricales au Haut Conseil de l’Egalité. 

Nous assistons en cela à une période importante et peut-être à un tournant dans la manière d’envisager ces violences et d’y réagir. La dénonciation résulte d’une indignation qui s’affirme donc publiquement et de manière collective. Il serait dommage et dommageable de laisser cette colère se dissiper. Il est indispensable que les féministes, l’ensemble de la société civile et de la sphère politique se saisissent de ce combat qui ne se limite pas uniquement aux violences gynécologiques et obstétricales mais qui renvoie plus globalement à un système médical violent à l’égard des femmes et à un système de domination patriarcale.

Dans cet article, nous tâcherons dès lors de mieux comprendre ce que l’on entend par violences obstétricales et de dresser un état des lieux de la situation actuelle. J’interrogerai également la position des féministes face à ces pratiques et envisagerai la manière dont nous pouvons (ré)agir à notre échelle pour faire face à cette situation.

Violences obstétricales et violences médicales

Qu'entend-on exactement par "violences obstétricales"? Selon Marie-Hélène Lahaye, juriste bruxelloise et auteure du blog Marie accouche là [3], la violence obstétricale peut être définie comme l'addition de deux types de violences, une violence institutionnelle d'une part et des violences basées sur le genre d'autre part. La violence obstétricale consiste ainsi en:

"L'appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments et conversion de processus naturels en processus pathologiques. Cela entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et de la capacité à décider en toute liberté de ce qui concerne leur propre corps et sexualité, affectant négativement leur qualité de vie."[4]

Cette réflexion sur les violences obstétricales nous vient d’Amérique Latine, elle s’inscrit plus largement dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Le Venezuela et l’Argentine se sont en effet dotés respectivement en 2007 et en 2009 d’une loi punissant les violences obstétricales comme des infractions pénales.  La définition ci-dessus s’inspire d’ailleurs de la loi vénézuélienne. A ce jour, l’Argentine et le Venezuela sont les deux seuls pays à punir la violence obstétricale tandis qu’en Europe, ce concept fait l’objet de plus en plus d’études et de recherches scientifiques.[5]

Au-delà des violences obstétricales, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le sexisme du système médical dans sa globalité. Dans Fragiles ou contagieuses. Le pouvoir médical et le corps des femmes, Barbara Ehrenreich et Deirdre English affirment ainsi que la science médicale a été l’une des sources de l’idéologie sexiste les plus puissantes qui soit au sein de notre culture.[6] Les justifications de la discrimination sexuelle reposent de fait en définitive sur l’unique différence fondamentale entre les femmes et les hommes : leur corps.

Selon ces auteures, la médecine participe depuis des siècles à la perpétuation et à la diffusion en Europe d’un long héritage patriarcal mais aussi colonial définissant les femmes comme des êtres fragiles, incapables, sales et impures, justifiant par la même toute une série de violences.

Dans un de ses ouvrages phares traitant de l’Histoire des femmes, « Caliban et la sorcière »[7], la philosophe Sylvia Federici revient sur les raisons de la chasse aux sorcières organisée en Europe et dans le Nouveau Monde aux XVI et XVIIème siècles. L’Inquisition a en effet persécuté et exécuté des milliers de femmes pour « anéantir le contrôle des femmes sur leur fonction reproductive, ouvrant ainsi la voie à un régime patriarcal encore plus oppressif ».[8]

Aujourd’hui, même si on est loin du temps où l’on brulait les femmes accusées de sorcellerie (quoi que, ce n’est pas si loin que ça 400 ans !), la sécularisation de la domination masculine se traduit par un contrôle toujours quasi-total de la médecine sur le corps des femmes, de leur naissance à leur mort, en passant par la grossesse et la ménopause.

Pour comprendre précisément ce qu'on entend par violences obstétricales, en voici quelques exemples :

  • La pratique de l’expression abdominale, interdit en France depuis 2007 mais pourtant encore très fréquemment pratiquée selon l’article de Slate.[9] Cette pratique consiste à exercer une pression sur le ventre de la parturiente pour aider à l’expulsion du fœtus et ainsi raccourcir la durée de l’accouchement. En plus de ne pas être utile, cette pratique est hautement risquée. Selon les recommandations de l’HAS en 2007, elle a comme conséquence des hématomes abdominaux, des douleurs après l’accouchement, des fractures de côtes, des lésions périnatales et parfois des ruptures de la rate, rupture utérine, rupture du pédicule lombo-ovarien.[10] Une pratique hautement risquée donc pour gagner du temps.
  • Le recours à l’épisiotomie, taux également très révélateur. En Belgique, on estime qu’elle est pratiquée chez 70% des femmes lors d’un premier accouchement. Cette pratique, considérée par les féministes comme une mutilation sexuelle, consiste à sectionner le périnée des femmes au moment de l’expulsion de l’enfant. Elle a longtemps été justifiée par le corps médical comme assurant une meilleure cicatrisation des tissus par rapport à une éventuelle déchirure, elle permettrait également d’éviter les descentes d’organes, les incontinences urinaires ou fécales ou encore des déchirures graves du périnée. Ce geste perçu et présenté comme tout à fait anodin et sans danger ne l’est pas. En Angleterre, la médecine factuelle a démontré que la pratique de l’épisiotomie est dangereuse et qu’elle provoquait ce qu’elle est censée prévenir. L’OMS recommande d’ailleurs depuis 1997 que le taux ne dépasse pas les 20%, or seuls les établissements respectant les recommandations publient leurs chiffres, les autres n’y sont pas obligés… Voilà pourquoi les collectifs et associations féministes exigent des chiffres de la part des institutions, car sans chiffres, le problème reste invisible et donc n’existe pas.
  • Qui dit épisiotomie dit qu’il faut recoudre et c’est là que certain.e.s praticien.ne.s s’adonnent encore à la pratique du « point du mari ». Iels vont ainsi recoudre le vagin plus serré pour que monsieur ait une sensation sexuelle plus intense lors de la prochaine pénétration…[11]

Cette liste de violences obstétricales est non-exhaustive. Il est important ici de placer ces violences dans le continuum des violences faites aux femmes, de les reconnaître comme telles. Ces violences obstétricales témoignent d’une part d’un sexisme justifiant toute une série de violences de la part du monde médical et d’autre part révèle la façon même d’envisager l’accouchement dans nos sociétés occidentales.

L’accouchement est perçu comme une maladie qui nécessite un accompagnement surmédicalisé parce que notre système de santé assimile en quelque sorte l’accouchement à une pathologiee, en plus de toute une série d’enjeux économiques. Selon Laëtitia Négrié et Béatrice Cascales, auteures de L’accouchement est politique [12], l’accouchement représente la première étape du contrôle social sur la vie de l’enfant né ou à naître. En effet, lorsqu’on a convaincu une femme qu’elle n’était pas capable d’accoucher par elle-même, il est alors facile de la persuader qu’elle aura besoin de toutes sortes d’institutions et d’experts pour savoir ce qui est bon pour son enfant tout en lui faisant comprendre que parce qu’elle est femme, elle est plus apte à s’occuper des enfants. L’injonction est paradoxale : les femmes sont faites pour être mères mais elles sont incapables de l’être par elles-mêmes justement parce qu’elles sont femmes.

Il faut toujours garder à l’esprit que le système médical n’est pas juste une industrie de services mais aussi un instrument puissant de contrôle social, succédant à la religion, garant potentiel d’une idéologie sexiste veillant à maintenir les rôles sexués en place. Son pouvoir pourra déterminer qui est malade et qui ne l’est pas, qui est adapté.e et qui ne l’est pas selon les normes en vigueur. Et comme la médecine est une discipline qui se base sur la science, ses discours continuent à être perçus par l’opinion publique et les sphères décisionnaires comme toujours légitimes.

Pour Barbara Ehrenreich et Deirdre English, le constat est le suivant:

« En tant que féministes, nous condamnons fermement ce système médical comme source d’idéologie sexiste. Cependant, nous sommes en même temps entièrement dépendantes des techniques médicales lorsqu’il s’agit des libertés les plus fondamentales et élémentaires que nous exigeons en tant que femmes – la libertés face aux grossesses non-désirées, la liberté face à l’incapacité physique chronique. Nous avons beau être écœurées par les propos ouvertement sexistes tenus par les médecins et excédées par le discours sexiste plus sophistiqué que l’on fait passer pour des théories médicales, nous n’avons personne d’autre vers qui nous tourner pour avorter, obtenir des diaphragmes, des antibiotiques et des interventions chirurgicales essentielles. Notre entière dépendance vis-à-vis des techniques médicales permet d’accroître fortement la capacité du système de santé à véhiculer l’idéologie sexiste. Ils nous tiennent par les ovaires pour ainsi dire »[13]

Dans cet extrait, Barbara Ehrenreich et Deirdre English soulignent la contradiction dans laquelle les féministes peuvent se trouver et les paradoxes qu’elles peuvent rencontrer dans l’expression de leurs opinions et revendications : d’un côté, elles critiquent le système médical pour tout ce qu’il représente comme pensée sexiste, raciste, transphobe, homophobe, grossophobe, classiste, validiste… mais de l’autre, elles militent pour que des millions de femmes (et nous-mêmes) aient accès aux soins les plus élémentaires de ce même système.

En réaction à cet état de fait et tout en revendiquant une profonde réforme du système médical, des féministes américaines ont ainsi développé à la fin des années 60 le self-help, une alternative pour faire face et contrer cette violence.  Nous pouvons évoquer le livre mythique « Notre corps, nous-mêmes », publié en 1971 par le « Collectif de Boston pour la Santé des Femmes », fruit d’une démarche militante typique du mouvement des femmes de cette époque. Elles se réunissent, constatent l’ignorance dans laquelle elles sont à propos de leur corps et partagent leurs expériences négatives de la médecine.Elles font des recherches à partir de là et puis décident de partager leurs nouveaux savoirs [14].  C’est cette pratique venue d’Outre-Atlantique qui nous amène à nous questionner sur le rôle et le positionnement actuel des mouvements féministes dans notre pays face à la réalité des violences obstétricales.

Féminisme, maternité et self-help

En France comme en Belgique, les milieux féministes se sont mobilisés depuis des décennies pour acquérir et défendre le droit à l’avortement et à la contraception. Yvonne Knibiehler, grande figure du féminisme français, a beaucoup travaillé sur la question de la maternité [15].Elle explique dans une interview donnée au journal Le Monde[16]. pourquoi « la véritable libération des femmes passe nécessairement par la défense de la maternité ». Pour elle, la maternité reste un enjeu central de l’identité féminine, qui n’est pas contradictoire avec les combats des militantes sur la sexualité, la maitrise de la fécondité, le pouvoir ou le travail. Cette position à propos de la maternité, dit-elle, l’a marginalisée au sein du mouvement féministe.

Pour Yvonne Knibiehler, il est essentiel que la question de la maternité ne soit pas laissée de côté par les féministes (abandonnant la recherche sur ce sujet aux seuls médecins ou aux psychologues) comme s’il s’agissait d’une question privée – comme ont eu tendance à le faire les féministes de la deuxième vague[17]. Au contraire, elle insiste donc pour que les femmes, les féministes, continuent à penser la maternité comme étant une question éminemment sociale et complexe, afin d’éviter que la procréation reste aux mains de la domination masculine[18]. Au lieu de considérer la maternité comme une affaire privée, il faut « chercher des aménagements collectifs, une organisation sociale qui facilite la vie des parents »[19]. Ainsi, si Simone de Beauvoir qualifiait la maternité d’aliénation pour les femmes, les deux féministes se rejoignent sur l’idée que la femme « ne peut consentir à donner la vie que si la vie a un sens ; elle ne saurait être mère sans essayer de jouer un rôle dans la vie économique, politique, sociale »[20]. Yvonne Kniebielher espérait ainsi, au moment de l’interview (en 2010), que celles - et ceux - qui se diront féministes à l'avenir auront compris qu'il faut, certes, aider les femmes à ne pas être mères quand elles ne veulent pas l'être, mais qu'il faut aussi les aider à l'être quand elles le souhaitent : « la liberté de ne pas être mère étant acquise, reste à conquérir la liberté d’être mère, sans se perdre »[21]

Pour Yvonne Kniebielher, il ne s’agit donc nullement de deux combats fondamentalement différents : d’un côté le droit à la contraception et à l’avortement et de l’autre le droit à une naissance respectée (grossesse et accouchement compris). [22]

 Pendant longtemps, j’ai moi aussi – en tant que femme, cisgenre, blanche, féministe et lesbienne – ignoré la question de la maternité, me préoccupant davantage des droits (toujours) menacés que sont le droit à l’avortement et à la contraception. Ce n’est qu’en visionnant le documentaire de Yann le Masson, « Regarde elle a les yeux grands ouverts [23] » réalisé en 1980, que je me suis rendue compte que les deux combats n’étaient pas antagonistes mais au contraire ô combien liés entre eux. Marie-Hélène Lahaye, qui est également représentante de la plateforme pour une naissance respectée, rappelle sur ce point qu’une des premières conditions pour que la femme soit respectée quand elle accouche c’est d’avoir eu une grossesse désirée. Peut-être est-ce là l’occasion pour les féministes françaises de s’intéresser et défendre le droit à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour les couples lesbiens, de rendre la maternité accessible à toutes.

Par ailleurs, de nombreuses femmes témoignent avoir mis un frein à leur militantisme quand elles sont devenues mères (faute de temps et surtout faute de représentation). Laetitia Négrié fait partie de celles qui veulent changer la donne. Entrée dans le débat féministe par le biais de la maternité cette dernière a ainsi co-écrit avec Béatrice Cascales l’ouvrage L’accouchement est politique. Fécondité, femmes en travail et institution paru en 2016 [24].

Comme d’autres, Laetitia Négrié et Béatrice Cascales réclament une refonte du système médical et une dénonciation des violences obstétricales mais prônent également une redécouverte et une réappropriation de leur corps et des savoirs sur leur corps par les femmes. Comme évoqué plus haut, des ruptures ont eu lieu dans cette transmission de savoirs de femmes en femmes au cours de l’Histoire.  Parmi les sorcières envoyées aux bûchers aux XVIe et XVIIe siècles, beaucoup étaient des femmes de savoirs et donc de pouvoir. Sylvia Federeci nous montre que leur mise à mort pour « hérésie » était avant tout, dans un contexte d’accumulation primitive qui a précédé l’avènement du capitalisme, un moyen de centraliser le pouvoir dans les mains de quelques hommes et des institutions. Une prise de pouvoir institutionnelle et patriarcale qui commence seulement à être remise en cause

C’est donc pour permettre aux femmes de reprendre davantage de contrôle et d’autonomie sur leur corps, que des féministes américaines ont créé le self-help à la fin des années 60 au sein du Women’s Liberation Movement. Ce mouvement de réappropriation de savoirs sur son propre corps a commencé par la pratique de l’auto-examen gynécologique avec l’aide d’un spéculum, d’une lampe de poche et d’un miroir. Une tendance actuelle remet en vigueur ces pratiques dans des groupes de femmes axés sur la santé.

Ainsi, Rina Nissim[25] affirme en 2014 que cette pratique, en groupe, délie les langues et ouvre des discussions favorisant ainsi les prises de conscience sur la relation des femmes à leur corps et à leur(s) sexualité(s), sur la santé et sur les rapports de pouvoir entre hommes et femmes et sur les rapports de pouvoir entre les femmes et les institutions médicales[26].

Ce mouvement est une alternative politique et féministe de réappropriation de notre corps et de notre santé par des pratiques simples (comme l’auto-examen gynécologique) que l’on peut, comme avant, se transmettre de femme en femme[27]. L’enjeu est d’autant plus important que les femmes ont souvent développé un rapport conflictuel et/ou une mise à distance avec leur propre corps. Nous avons en effet intégré inconsciemment les préjugés en vigueur selon lesquels le corps des femmes et le vagin en particulier sont sales par nature.

Pour démontrer ce rapport conflictuel, prenons un exemple simple du quotidien : quand on a mal à une dent, on ne va avoir aucun mal à ouvrir la bouche devant le miroir, à ajuster la lumière pour y voir plus clair pour observer l’intérieur de notre bouche et regarder s’il y a des rougeurs, une inflammation de la gencive pour ensuite évaluer si il est nécessaire d’aller chez un.e dentiste et/ou de prendre des antidouleurs. Pour ce qui est de la gynécologie, on aura beaucoup plus de mal à prendre un miroir, une lampe de poche et à regarder s’il est nécessaire d’aller voir un.e gynécologue pour une consultation tant les femmes ont été dépossédées de cette partie de leur corps.

Pour pouvoir reprendre le contrôle de ce qui leur arrive, faire face à des consultations médicales et gynécologiques pénibles, humiliantes et/ou douloureuses, faire des choix éclairés, le self-help [28] constitue une véritable arme pour toutes les femmes.

Revaloriser les savoirs féministes du corps et du soin, un enjeu politique 

Au-delà d’une aide en situation, se réapproprier son corps et dénoncer les violences obstétricales est un enjeu hautement politique. Il est essentiel de connaître et de diffuser l’histoire du rapport que la médecine et la science en général entretiennent depuis des siècles avec les femmes pour écrire une autre histoire, remettre en lumière tous les savoirs de femmes oubliées/invisibilisées et changer ce rapport de domination violente. C’est un enjeu que les mouvements féministes qu’il est urgent de se saisir, dans sa globalité, pour générer un nouveau rapport de force, faire avancer nos droits et changer les mentalités.

Au-delà des violences obstétricales, il y a aussi et surtout la question de l’autonomie, du pouvoir et des libertés. Les femmes doivent avoir le droit à disposer librement de leur corps. Elles doivent avoir la liberté de mener leur grossesse à terme, ou pas. Elles doivent avoir la liberté de choisir leurs conditions de grossesse et d’accouchement. Elles doivent être libre de décider si oui ou non elles veulent être mères, libres de définir les contours de leur maternité sans avoir à subir toute une série d’injonctions paradoxales ou de culpabilisation si elles désirent ne pas être mères. Elles doivent avoir la liberté de choisir leur moyen contraceptif en étant informées des risques éventuels. Elles doivent être libres de ne plus avoir peur, libres de s’écouter.

Et libres surtout de s’organiser entre femmes. Valoriser les démarches collectives d’auto-santé et ainsi reprendre du pouvoir sur elles-mêmes, par elles-mêmes. Questionner et poser un regard critique sur la médecine ultra interventionniste qui nous dépossède de nos corps, qui ne laisse pas de place aux histoires singulières parce qu’il y a des protocoles standardisés à respecter.

 

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Pour citer cette analyse :

Florence Laffut, " Femmes et santé. Violences obstétricales, maternité et self-help.", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2017. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/83-femmes-et-sante-violences-obstetricales-maternite-et-self-helf

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] WINCKLER M., Le Chœur des femmes, Paris, P.O.L., 2009 (édité en poche, Folio aux éditions Gallimard, en 2011).

[2] WINCKLER M., Les brutes en blanc. Pour en finir avec la maltraitance médicale en France, Paris, Flammarion, 2016.

[3] Le lien de l’article de Marie-Hélène Lahaye concernant la définition de “violence obstétricale”, l’ensemble de son blog est à consulter également. http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/2016/03/09/quest-ce-que-la-violence-obstetricale/

[4] http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/2016/03/09/quest-ce-que-la-violence-obstetricale/

[5] Ibidem

[6] ENGLISH D., EHRENREICH B., Fragiles ou contagieuses. Le pouvoir médical et le corps des femmes, Paris, Cambourakis, 2016.   

[7] Pour celleux qui souhaitent en savoir plus sur cette partie de l’Histoire, je vous conseille vivement de lire Silvia Federici, Caliban et la sorcière: Femmes, corps et accumulation primitive. FREDERICI S., Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Paris, Éditions Entremonde, 2014.

[8] TOUPIN, L., « Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Marseille/Genève- Paris, Éditions Entremonde, 2014, 459 p. », in Recherches féministes, n°27-2, p. 256–262.

[9] Plus d’infos sur l’expression abdominale ici : https://www.slate.fr/story/147183/mensonge-maltraitances-gynecologiques-abdominale

[10] HAS, L’expression abdominale durant la 2ème phase de travail, Recommandations professionnelles, consensus formalisé, janvier 2007.

[11] REINICHE C., « "Point du mari" après l'accouchement : je n'y ai pas cru... jusqu'à ce que je le voie », in L’Obs. Le plus. Témoins, experts, opinions, 26 mars 2014, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1164169-point-du-mari-apres-l-accouchement-je-n-y-ai-pas-cru-jusqu-a-ce-que-je-le-voie.html

[12] NÉGRIÉ L., CASCALES B., L’accouchement est politique. Fécondité, femmes en travail et institutions, Mérignac, L’instant Présent, 2016.

[13] ENGLISH D., EHRENREICH B., Fragiles ou contagieuses. Le pouvoir médical et le corps des femmes, Paris, Cambourakis, 2016, p. 109-110.

[14] http://superfeministe.blogspot.be/2012/08/notre-corps-nous-memes.html

[15] Voir notamment : KNIBIEHLER Y., Maternité, affaire privée, affaire publique, Paris, Bayard, 2001 ; KNIBIEHLER Y. et NEYRAND G. (dir.), Maternité et parentalité,  Rennes, Editions ENSP, 2004.

[16] VINCENT C., “Yvonne Knibiehler : "Le féminisme doit repenser la maternité"”, Le Monde, 17 février 2010, [en ligne], http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/17/yvonne-knibiehler-le-feminisme-doit-repenser-la-maternite_864946_3260.html

[17] Dans un autre entretien pour la revue d’histoire des femmes et du genre Clio en 2005, Yvonne Knibiehler comparait son positionnement avec celui de ses prédécessrices et de ses contemporaines. Si, comme Elisabeth Badinter, elle affirme que l’amour maternel est une construction culturelle, Yvonne Knibiehler pousse plus loin la réflexion en assumant un point de vue plus pragmatique et en cherchant des voies de conciliation pour que la maternité ne soit pas vécue par les femmes comme une mise au banc ou un sacrifice. Comment aider les femmes qui n’ « aiment » pas leur enfant et améliorer cette relation ? Comment, tout simplement, permettre aux femmes de vivre la maternité sans faire une croix sur leurs projets professionnels ? Cette tendance s’explique historiquement par le fait que, dit-elle, « le féminisme a redémarré après le baby-boom à un moment où la maternité était non pas imposée légalement aux femmes, mais présentée comme une vocation prioritaire. Du coup, les féministes, à commencer par Simone de Beauvoir, ont regardé la maternité comme une aliénation ». La maternité était alors perçue comme un renoncement des femmes à leur personnalité et à leurs aptitudes. Le féminisme de la deuxième vague a repris ce thème de l’aliénation en considérant que la maternité était un choix privé, qui relevait de la seule responsabilité des femmes concernées. Voir : DUBESSET M., THÉBAUD F.  « Entretien avec Yvonne Knibiehler », in Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n°21 (2005), [En ligne], http://journals.openedition.org/clio/1707

[18] Elle encourage à ne pas considérer la maternité dans sa seule dimension biologique, mais bien dans sa globalité « corps-cœur-esprit », c’est-à-dire en prenant en considération ses dimensions affectives et éducatives, qui concernent la société dans son ensemble. Ainsi, pour l’historienne, la maternité cessera d’être aliénante pour les mères lorsqu’une volonté politique puissante les animera et les poussera à réveiller « le sujet père » chez les hommes. (Ibidem)

[19] DUBESSET M., THÉBAUD F. , « Entretien avec Yvonne Knibiehler », in Op. cit.

[20] VINCENT C., “Yvonne Knibiehler : "Le féminisme doit repenser la maternité"”, Op. cit.

[21] DUBESSET M., THÉBAUD F., « Entretien avec Yvonne Knibiehler », Op. cit.

[22] D’ailleurs, la maitrise de leur fécondité est-elle réellement aux mains des femmes, questionne la féministe : « les produits dont les femmes ont besoin pour maitriser leur fécondité sont fabriqués par des multinationales dirigées par des hommes, lesquels se soucient beaucoup plus des profits de ces fabrications que de la libération des femmes. Tant que cela n’aura pas changé, les féministes ne pourront pas se vanter d’avoir conquis la maîtrise de leur fécondité. ». VINCENT C., “Yvonne Knibiehler : "Le féminisme doit repenser la maternité"”, Op. cit.

[23] Il s’agit d’un documentaire qui relate l'expérience de femmes du MLAC, Mouvement pour la Libération de l’Avortement et de la Contraception, association féministe fondée en 1973 à Aix en Provence. Ces femmes ont été inculpées et jugées pour avoir pratiqué elles-mêmes des avortements (procès du 10 mars 1977). Leur lutte consistait non seulement à pratiquer des avortements, mais aussi des accouchements à domicile. Ces femmes militaient pour que l'accouchement et l'avortement soient contrôlés et voulus par les femmes elles-mêmes.

[24] NÉGRIÉ L., CASCALES B., Op. cit.

[25] NISSIM N., Une sorcière des temps modernes. Le self-help et le mouvement femmes et santé, Carouge (Genève), Mamamélis, 2014.

[26] Si vous êtes intéressé.e.s par la démarche de l’auto-examen, sachez que l’ASBL Femmes et Santé organise des ateliers et des stages. Voir : http://www.femmesetsante.be/

[27] Dans le livre de Nina Rissim, Une sorcière des temps modernes. Le self-help et le mouvement femmes et santé, elle revient notamment sur les origines du self-help et sur le pouvoir de la transmission.

[28] Si vous voulez vous armer jusqu’aux lèvres et pratiquer de l’autodéfense en milieu gynécologique, je vous conseille vivement de lire cette brochure féministe réalisée par des femmes pour des femmes : https://infokiosques.net/lire.php?id_article=1318

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