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Féminisation de l'extrême droite. La comprendre pour mieux la combattre ?

L’extrême droite fait désormais partie de notre paysage politique. Que ce soit en raison de ses scores, parce que ses idées et propositions se diffusent dans d’autres partis ou encore car elle est désormais au pouvoir de quelques pays européens. Cette extrême droite a su changer de visage pour paraître plus douce, moins dangereuse. Ce qui n’est pas sans lien avec sa féminisation : les femmes y sont de plus en plus visibles et y occupent des postes clés. Cette tendance nous questionne sur le rôle des femmes au sein de cette idéologie, sur la manière dont elles ont su se l’approprier mais également sur l’effet que leur présence a sur l’attrait de ces idéologies pour le plus grand nombre.

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Pour une version résumée de cette analyse : https://nosrevolutions.fr/2024/09/03/feminisation-de-lextreme-droite-la-comprendre-pour-mieux-la-combattre/ 

Introduction


“Sono una madre, sono una donna, sono cristiana, non me lo toglierete![1]”, “Cette victoire électorale c’est le triomphe de toutes les femmes Italiennes”[2], “#Les femmes avec Marine”... Il semblerait que les femmes soient de plus en plus visibles au sein des mouvances d’extrême droite et revendiquent fièrement le fait d’être des femmes conservatrices. Dans cette analyse, nous allons tenter de saisir les raisons pour lesquelles certaines femmes se tournent et votent pour l’extrême droite, pourtant réputée misogyne. Une telle démarche de compréhension nous semble essentielle si l’on veut se donner les moyens de réagir au mieux afin de détourner ces femmes de ces courants. Cette analyse permet également d’approfondir notre connaissance de l’extrême droite afin de mieux combattre ses arguments.

Nous exposerons premièrement ce que sont l’idéologie d’extrême droite et les rôles réservés aux femmes dans celle-ci. Nous réfléchirons ensuite à la féminisation des extrêmes droites européennes, d’abord en montrant comment elles instrumentalisent la défense des droits des femmes et, ensuite, en exposant la place occupée par les femmes au sein de ces mouvances. Nous aborderons ensuite les votes des femmes pour ces partis et tenterons d’en donner différentes pistes explicatives. Nous terminerons ce texte en nous posant la question du rôle que doit assumer une association d’éducation permanente dans la lutte contre ces mouvances.


I. L’idéologie d’extrême droite

De nombreux débats et discussions ont lieu afin de définir ce qu’est l’extrême droite et qui est inclus dans cette catégorie – et cela d’autant plus que les intéressé·es se revendiquent rarement comme étant d’extrême droite. Il existe différents courants, groupes, penseurs ainsi que divers degrés de radicalité - l’extrême droite ne constituant pas un bloc homogène - mais nous pouvons analyser ceux-ci conjointement car ils partagent un socle idéologique commun. De plus, ces mouvances se nourrissent les unes les autres et ont bien souvent des liens entre elles. Nous allons dans ce travail nous intéresser aux groupes et partis communément admis par les chercheuses·eurs (et la population) comme étant d’extrême droite et nous concentrer sur les extrêmes droites “occidentales”, européennes et états-uniennes.

Afin de faciliter la compréhension de ce travail, accordons-nous sur la définition qui suit. L’extrême droite est une idéologie qui possède trois caractéristiques : le nationalisme, le conservatisme et la naturalisation des rapports sociaux. Par nationalisme, l’extrême droite défend ce qu’elle considère être un “intérêt national” ainsi qu’une identité nationale. Son conservatisme consiste à fantasmer constamment une époque antérieure considérée comme plus désirable et à prôner des rôles traditionnels considérés comme naturels, en accord avec la troisième caractéristique. Cette naturalisation des rapports sociaux signifie que les comportements (ainsi que les inégalités) sont perçus comme découlant d’une supposée nature humaine et non d’un contexte sociétal[3].

 
La place des femmes dans les visions d’extrême droite

A l’instar de sa devise “travail, famille, patrie”, la famille est une composante essentielle dans la pensée d’extrême droite. En effet, celle-ci est considérée comme la cellule de base de la société. C’est au sein de la famille que se reproduisent les valeurs et l’identité nationales. Elle est un socle mais aussi un modèle à suivre pour les autres institutions sociétales. Bien entendu, toutes les familles ne cadrent pas avec ce modèle et les familles homoparentales en sont, par exemple, exclues.

Au sein de cette famille fantasmée, les hommes et les femmes occupent des rôles différenciés considérés comme complémentaires et, selon cette pensée, non hiérarchisés. De la sorte, il est attendu des femmes de prendre soin du foyer et des enfants. Ce pourquoi la figure de mère occupe une place primordiale aux yeux de l’extrême droite. On attend de la femme - française, allemande, italienne selon le pays, de transmettre l’héritage biologique et culturel (Lesslier & Venner, 1997).

Il est important de comprendre que ces rôles sont conférés en vertu d’une croyance en la naturalité de ceux-ci. S’il est attendu des femmes de prendre soin des enfants, c’est parce qu’elles possèdent la capacité biologique de les mettre au monde et que les compétences de care sont censées en découler. C’est en quelque sorte leur destinée. La nature est primordiale dans cette vision essentialiste, ce qui explique leur recours à des sciences telles que la biologie et la psychologie (principalement évolutive) pour expliquer les faits sociaux et le rejet de la sociologie qui remet en question cette naturalité. Notons qu’aujourd’hui, l’extrême droite a su renouveler son discours et ne parle plus de race, notamment sous l’influence de la Nouvelle Droite[4] qui a intégré les spécificités culturelles à son discours, mais la logique reste similaire. L’organisation sociale et sexuée de la société se fait au nom de la nature ainsi qu’au nom de la tradition (Lesslier & Venner, 1997).

L’extrême droite attache donc une importance particulière aux notions de virilité et de féminité : questionner les rôles qui y sont liés est perçu comme catastrophique - voire apocalyptique. Ce qui fait écho à la grande obsession de l’extrême droite, présente depuis la naissance de ces idées, qu’est la peur du déclin. En effet, la pensée d’extrême droite est une pensée pessimiste qui craint constamment la chute de sa “civilisation”[5] (Studnicki, 2021). Ce qui explique sa peur du métissage et de “l’indifférenciation des sexes” : pour l’extrême droite, chacun·e et chaque chose doit rester à sa place et les frontières ne peuvent être transgressées. Ce qui prime, comme pour la droite de manière plus générale, c’est l’ordre et les valeurs traditionnelles.

Nous comprenons donc en quoi le féminisme et les idées égalitaires représentent un danger pour l’extrême droite dont les membres, par exemple, critiquent avec virulence la “théorie du genre”[6]. Notons que certaines composantes d’extrême droite accusent également les féministes d’être la cause du “grand remplacement[7]”. En effet, le taux de natalité des européen·ne·s (comprenez les européen·ne·s “de souche”) serait en baisse à cause du droit à l’avortement et des divorces et ce faible taux de natalité justifierait le recours à l’immigration. Les femmes ont donc un rôle crucial car elles cristallisent ces différents dangers dénoncés par l’extrême droite : baisse de la natalité, dissolution de la famille traditionnelle, métissage (Lesslier & Venner, 1997). Elles font ainsi partie de la solution : face au déclin civilisationnel et à la menace extérieure, la reproduction est primordiale pour assurer la perpétuation de la civilisation[8].

La pensée nationaliste peut se comprendre comme la convergence du racisme et du sexisme. En effet, cette pensée crée une “communauté nationale” et, de la sorte, inclut de force des membres à cette communauté - niant au passage les divisions de genre et de classe, les individu·e·s étant supposé·e·s se rassembler autour d’un même intérêt national - et exclut celles et ceux qui sont considéré·es comme n’appartenant pas à cette communauté. Le fait d’être membre de cette communauté se fait via l’héritage (ethno-culturel) et ce sont les femmes qui ont la mission de le transmettre. Les femmes ont donc un rôle subordonné mais crucial dans les projets d’extrême droite (Lesslier & Venner, 1997).

Il est aisé de comprendre au vu de ce descriptif que toutes les femmes ne sont pas égales aux yeux de l’extrême droite. Ne sont pas incluses les femmes trans, difficilement les lesbiennes et les femmes issues de l’immigration sont tantôt fantasmées tantôt rejetées.

Lorsque l’extrême droite est au pouvoir, nous pouvons constater que cette vision se traduit généralement en politiques natalistes qui prônent le retour au foyer. Par exemple, en Hongrie, Orban a mis en place des aides à la naissance (similaires à celles appliquées sous le nazisme) encourageant les familles nombreuses. Il s’est également attaqué aux études de genre dans les universités. En Pologne, comme aux États-Unis, c’est le droit à l’avortement qui est constamment réduit[9]. Ajoutons que le Vlaams Belang, qui mentionne les femmes dans son programme uniquement dans le cadre de politiques familiales[10], avait voté contre la dépénalisation de l’avortement en 2019 (avec le CD&V et la NVA) et, jusqu’en 2011, proposait régulièrement une loi pour recriminaliser celui-ci[11].

Et si un parti comme Vox, en Espagne, se prononce en faveur de l’allongement des congés de maternité et de l’augmentation des allocations familiales pour les mères “ce n’est pas pour les beaux yeux des femmes mais pour leurs ventres”[12].

D’autres mouvances réactionnaires à surveiller :

Les TERF (Trans-exclusionary radical feminist) sont des féministes qui excluent de leurs combats les femmes trans (considérées comme des “hommes déguisés en femmes”) et font de la “menace trans” leur combat principal. Elles partagent avec l’extrême droite l’importance accordée au sexe biologique (qui selon elles est le seul à pouvoir déterminer le genre), une obsession quasi complotiste sur les personnes trans et une peur du déclin que provoquerait l’indifférenciation des sexes. Notons que des alliances particulières entre les TERF et des personnes d’extrême droite ont régulièrement lieu[13].

Le masculinisme désigne un mouvement, ou plutôt un contre-mouvement en réaction aux idées féministes, qui vise à défendre les droits des hommes et combattre le “matriarcat” qui privilégierait les femmes. Ces groupes partagent avec l’extrême droite l’idée d’une “crise de la masculinité”, provoquée notamment par des féministes qui “émasculent” les hommes, ainsi que l’aspiration à un retour aux rôles féminins et masculins traditionnels. Il existe de nombreuses porosités entre les personnalités et thèses masculinistes et l’extrême droite (par exemple, en France, Éric Zemmour a initialement été remarqué pour ses théories masculinistes).

 

II. Quand l’extrême droite se féminise


Les défenseuses·eurs des droits des femmes

Malgré l’ADN sexiste de l’extrême droite et son hostilité aux droits des femmes à disposer de leur corps, certains partis se proclament comme étant les défenseurs de ces mêmes femmes, par exemple le RN et Reconquête (le parti d’Éric Zemmour). Cette défense des droits des femmes se fait de deux manières, différentes mais intimement liées.

Premièrement, les personnalités d’extrême droite clament que les violences faites aux femmes sont le fait d’hommes musulmans et/ou originaires d’Afrique. De manière générale, l’insécurité liée à l’immigration est une thématique chère à l’extrême droite. Il n’est donc pas étonnant qu’elle s’approprie l’insécurité vécue par les femmes et les crimes commis contre elles - particulièrement depuis que les discours féministes ont un plus grand écho médiatique. Afin de dénoncer ces violences faites aux femmes, l’extrême droite se concentre principalement sur celles commises dans l’espace public et le harcèlement de rue qui, selon ses partisan·nes, seraient commis presque totalement par des hommes issus de l’immigration africaine (Della Sudda, 2022). La gauche et les féministes sont également accusées d’être complices et hypocrites en n’osant pas dénoncer ces “faits”.

Notons que ces discours qui racialisent le sexisme ne sont pas nouveaux : dans les années 80 déjà, le FN dénonçait les faits de violence perpétrés par des “migrants” - de la même manière que l’ont été les événements de Cologne[14] - en faisant fi des autres violences faites aux femmes. Nous pourrions faire remonter ce discours plus loin encore car il puise sa source dans un imaginaire colonial qui met en scène une femme blanche et fragile menacée par un colonisé sauvage et hyper viril, discours régulièrement réactivé par l’extrême droite (Shepard, 2017 ; Guillet & Afiouni, 2019).

Deuxièmement, certaines mouvances d’extrême droite se revendiquent des précédentes vagues du féminisme (principalement de la première et pour certain·e·s également de la deuxième), tout en maintenant leurs critiques sur les mouvances actuelles[15]. Ces anciens combats féministes représentent, à leurs yeux, une caractéristique civilisationnelle. Iels présentent de la sorte l’égalité et les droits des femmes comme faisant partie de l’ADN européenne et la preuve d’une supériorité civilisationnelle (Della Sudda, 2022). Avec en arrière-fond l’idée d’un “choc des civilisations”[16] entre, d’une part, la civilisation occidentale, évoluée, et, d’autre part, la civilisation arabo-musulmane, misogyne et arriérée. Ce qui fait écho au paragraphe précédent : les Musulmans sont par essence des barbares, violeurs, desquels il faut protéger la femme blanche (Cottais, 2022).

Ajoutons que si les mouvements d'extrême droite s'en prennent aussi virulemment aux hommes musulmans et/ou africains, les femmes musulmanes ne sont pas épargnées. En effet, se construit une opposition entre la femme blanche, libre, qui a su gagner ses droits grâce à ses combats et la femme musulmane soumise à un patriarcat musulman/africain. Il s’agit donc de la libérer, par exemple en la dévoilant.

Ces deux logiques appartiennent à ce que Sara Farris nomme le fémonationalisme qui consiste « à défendre des mesures ou des politiques xénophobes et racistes sous prétexte qu’elles seraient nécessaires à la libération des femmes » (Cottais, 2022). Et si ce fémonationalisme existe au niveau des politiques nationales, Farris le dénonce également comme étant une forme d’impérialisme et une justification pour des interventions militaires dans des pays extérieurs. Ce terme fait référence à celui d’homonationalisme qui désigne l’instrumentalisation des droits LGB pour dénoncer l’homophobie de l’islam[17], alors que les droits LGB sont, comme nous l’avons vu, habituellement loin d’être une priorité pour les militant·es et partis d’extrême droite.

Ces considérations nous forcent à réfléchir à la manière dont nous devons, en tant que féministes, continuer à nous saisir de ces sujets tout en fermant la porte aux discours sécuritaires et racistes.

Avant de passer à la partie suivante, il nous semble nécessaire de préciser que, s’il existe de nombreux misogynes assumés au sein de l’extrême droite, il en est aussi qui sont convaincu·e·s de défendre les droits des femmes, de ne pas instrumentaliser ceux-ci et de s’opposer à une réelle menace. Si les arguments exposés dans cette partie ainsi que dans la partie précédente nous semblent à la fois racistes et sexistes, il faut se rendre compte que pour ces personnes ce n’est pas le cas. De nombreuses femmes d’extrême droite revendiquent le droit d’adhérer aux rôles traditionnels de mère et d’épouse. Elles ne considèrent pas ces rôles comme hiérarchisés et certaines soulignent régulièrement les difficultés liées au rôle protecteur que l’homme doit tenir. Ces femmes critiquent fortement les féministes qui sont, selon elles, celles qui hiérarchisent ces rôles en considérant le travail domestique comme dégradant. Ce faisant, les féministes démontreraient leur haine des femmes, des mères et des épouses tout en niant la capacité de décision de ces femmes[18].

En défendant les rôles traditionnels et la famille en tant que lieu d’épanouissement des femmes, de nombreuses personnes à l’extrême droite pensent donc sincèrement défendre également les droits des femmes. Citons Meloni à ce sujet : “Souvent mes positions découlent de mes expériences, si j’ai décidé de m’engager pour la famille traditionnelle composée d’un homme et d’une femme c’est parce que j’ai grandi sans père”[19].

Des militantes aux postes clés

Avant d’aborder la plus grande visibilité des femmes au sein des partis d’extrême droite, précisons qu’elles y ont toujours été présentes : que ce soit dans le parti nazi, aux côtés de Franco, au sein de l’Action Française ou encore auprès de Mussolini, les femmes étaient bel et bien là et avaient des rôles actifs. Bien que moins nombreuses que les hommes et qu’elles n’y aient pas tenu de hautes fonctions en raison de la misogynie de ces partis, elles ont contribué à la perpétuation et à la diffusion des idées réactionnaires. Les rôles de ces femmes ont néanmoins été très peu étudiés en raison de biais de genre qui empêchaient les chercheurs d’imaginer que des femmes aient pu avoir des rôles politiques dans de telles formations idéologiques (Dubslaff, 2021). Ne pas envisager la possibilité que des femmes soient d’extrême droite découle d’ailleurs d’une pensée sexiste.

Cela posé, nous remarquons depuis les années 2010 une plus grande visibilité de ces femmes, qui prennent parfois la tête de partis d’extrême droite comme Marine Le Pen et Giorgia Meloni, mais aussi Alice Weidel[20] ou encore Pia Kjaersgaard[21]. Nous assistons également à la création de nombreux groupes féminins d’extrême droite et à l’émergence de figures féminines influentes parmi lesquelles les Françaises Thais d’Escufon, Alice Cordier, Virginie Vota et Charlotte d’Ornellas. Notons que ces militantes sont très actives sur les réseaux sociaux et maîtrisent parfaitement les codes communicationnels d’internet (comme c’est souvent le cas à l’extrême droite).

Ces femmes appartiennent à différents courants d’extrême droite, occupent des postes variés au sein de ces mouvances et sont de différents degrés de radicalité. Néanmoins, toutes présentent une même image de respectabilité et ont des profils plutôt similaires : blanches, issues de milieux aisés, diplômées, hétérosexuelles (exceptée Alice Weidel) et mères (ou affichant la volonté de le devenir). Ces femmes représentent une image de modernité - parfois divorcées, elles travaillent, occupent des postes traditionnellement réservés aux hommes… - qui, selon elles, n’est pas en contradiction avec les valeurs conservatrices qu’elles défendent[22]. Toutes revendiquent leur identité de femmes et l’utilisent dans leurs combats politiques, par exemple, en mettant en avant l’argument de “tout ce que je fais je le fais pour mes enfants” (Lesslier & Venner, 1997). Pour celles impliquées dans la politique partisane, elles instaurent également l’idée que cette identité leur confère des caractéristiques qui les rendraient aptes à diriger (Leconte, 2020). Elles se posent ainsi en “mère de la patrie” comme nous pouvons le voir dans ces propos de Marine Le Pen : “Je vais diriger le pays en mère de famille : avec bon sens, cohérence, sans excès et sans outrance”[23].

A nouveau, rappelons qu’il existe différentes mouvances d’extrême droite et que tous ces groupes n’ont pas toujours les mêmes points de vue et opinions. On distingue notamment différentes postures à propos du féminisme. Par exemple, un groupe tel que Némésis, qui s’organise en non-mixité, se revendique d’un féminisme identitaire et formule des revendications pour les droits des femmes (Della Sudda, 2022). Elles n’hésitent d’ailleurs pas à s’approprier des pratiques féministes telles que les collages (en collant, par exemple, les mots “Rapefugees not welcome”). Bien que de tels groupes se revendiquent du féminisme, elles dénoncent elles aussi l’hypocrisie et la lâcheté des “féministes mainstream” - et se construisent même en opposition à ces dernières. Némésis se présente par exemple comme “l’île où les rescapés du féminisme peuvent se réfugier”. D’autres groupes s’organisent en non-mixité mais ne se revendiquent pas du féminisme, voire se revendiquent d’un “antiféminisme”. D’autres femmes encore militent dans des groupes mixtes et abordent les thématiques réactionnaires classiques sans que cela soit particulièrement lié aux femmes. Notons que Marine Le Pen a déclaré être devenue “quasi féministe” suite à son expérience de mère célibataire.

 

Cette plus grande visibilité des femmes à l’extrême droite et la prise de pouvoir de certaines d’entre elles peuvent s’expliquer par plusieurs raisons.

Premièrement, ces groupes, à l’instar des autres mouvances politiques, suivent la tendance actuelle où les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilité. De plus, il s’est fait sentir une demande de “renouvellement” de la sphère politique et les femmes ont su en profiter – dans le cas des femmes d’extrême droite ce fut en faisant atout de ce qui les cantonnait initialement à la sphère privée. En d’autres termes, il serait trop difficile aujourd’hui pour l’extrême droite d’ignorer les femmes[24].

Deuxièmement, cette mise en avant des femmes participe à une stratégie de dédiabolisation ainsi qu’à une volonté de conquérir l’électorat féminin (longtemps réfractaire à l’idée de voter extrême droite, nous reviendrons sur le sujet). En effet, mettre en avant les femmes permet de “redorer” l’image de ces mouvements d’extrême droite (Cottais, 2022) en rompant, au moins en apparence, avec le machisme et d’inscrire les idées réactionnaires dans la modernité. Les femmes véhiculent une image de douceur et de compassion très éloignée des pratiques masculines violentes de certains militants d’extrême droite et sont aussi indicatrices de “normalité” (Della Sudda, 2022). Cette stratégie de normalisation ne se fait d’ailleurs pas uniquement à travers les femmes : les jeunes sont également mis en avant et les groupes d’extrême droite ont su revoir leurs tenues et discours afin de se présenter comme des “gendres idéaux”, loin de l’ancienne image des skinheads. Gardons en tête que l’extrême droite peut constamment muter pour s’adapter au contexte[25] et s’oppose notamment de ce point de vue à une gauche qui serait “ringarde” et plus dans le coup.

Soulignons que les médias ont énormément contribué à cette stratégie de dédiabolisation, notamment en raison de leur “cadrage sexiste”. En effet, lorsqu’il s’agit d’interviewer des femmes, les journalistes ont tendance à aborder leur vie privée et leurs rôles de mères et épouses. Cette attitude qui, habituellement, dessert les femmes politiques, permet aux politiciennes d’extrême droite de renvoyer une image de proximité sympathique (Leconte, 2020).

La mise en avant de l’identité de femme ne peut bien évidemment pas se faire n’importe comment. Comme nous l’avons dit précédemment, toutes les femmes ne sont pas incluses aux yeux de l’extrême droite et leur image de féminité doit être contrôlée et réfléchie. Il s’agit de ne surtout pas transgresser les normes de genre.

Les militantes d’extrême droite se revendiquent de la “féminité” et de la “normalité” en opposition aux féministes considérées comme moches, hystériques et détestant aussi bien les hommes que les femmes. Certains groupes jouent même sur cette féminité comme Belle et Rebelle qui propose notamment d’aider les femmes “à choisir le bon vernis pour partir en manif” (Della Sudda, 2020). Nous trouvons d’ailleurs sur leur site de nombreux conseils beauté ou encore des tutos “do it yourself”. Néanmoins, toutes les femmes d’extrême droite ne rentrent pas parfaitement dans ce cadre et certains groupes vont, par exemple, encourager leur participation à des cours de boxe et à d’autres activités traditionnellement réservées aux hommes (Della Sudda, 2020).

La manière dont ces militantes peuvent jouer avec les frontières du cadre de la féminité classique dépend de leurs autres capitaux (militants, culturels…), du contexte du pays dans lequel elles s’inscrivent, de la proximité avec des groupuscules plus radicaux (plus réticents à l’idée de donner une place grandissante aux femmes),... (Leconte, 2020)


Troisièmement, cette place a été conquise par les femmes d’extrême droite. Bien que le sujet ait été peu étudié, on devine que ces femmes ont, à travers l’histoire, lutté pour s’affirmer dans cet environnement hostile (Dubslaff, 2022). Elles ont eu des volontés d’empowerment et ont parfois transgressé les rôles auxquels elles étaient assignées afin d’imposer leur ligne politique. Au sein de leurs groupes, elles ont pu avoir des revendications anti sexistes et parfois même féministes - elles ont d’ailleurs pu profiter de l’essor du féminisme en dénonçant les discriminations auxquelles elles faisaient face et en réclamant plus de droits mais aussi de reconnaissance et de représentation politiques[26].

Notons que malgré ces combats, et à l’instar d’autres groupes politiques, le travail militant est divisé de manière genrée au sein des groupes d’extrême droite. Ce qui n’est pas étonnant étant donné la théorisation de la complémentarité des rôles masculins et féminins (Della Sudda, 2022).

Avant de passer à la partie suivante, retenons qu’il y a, et qu’il y a toujours eu, des femmes au sein des mouvances d’extrême droite et que ces femmes ont su progressivement y prendre des rôles importants. Tout comme les hommes, elles défendent les valeurs occidentales contre le métissage et appuient notamment leurs convictions et leurs discours sur la complémentarité naturelle entre hommes et femmes (Cottais, 2022). Elles peuvent d’ailleurs se montrer tout aussi radicales et violentes que les hommes[27].

 

III. Pourquoi des femmes votent-elles pour l’extrême droite ?

De nombreuses recherches et différentes approches ont tenté d’expliquer pourquoi les individus votent ce qu’iels votent. Le vote, de manière générale, n’est pas la simple traduction d’opinions et intérêts et de nombreux facteurs peuvent l'expliquer. Loin de ce que laisse penser l’image stéréotypée des “beaufs mal éduqués”, celles et ceux qui votent extrême droite le font pour diverses raisons et proviennent de différents milieux socio-économiques et géographiques. Nous sommes face à un vote hétérogène (Marchand-Lagier, 2018) - bien que majoritairement blanc - qui peut s’expliquer de différentes manières. Dans cette partie, nous allons exposer quelques pistes explicatives, complémentaires, du vote de femmes pour l’extrême droite.

(...)

Pour lire la suite


 Pour citer cette analyse :

Juliette Léonard, " Féminisation de l'extrême droite. La comprendre pour mieux la combattre ?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2022. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/450-feminisation-de-l-extreme-droite-la-comprendre-pour-mieux-la-combattre

Contact CVFE :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes

[1]Je suis une mère, je suis une femme, je suis chrétienne et on ne me le retirera pas!”, Giorgia Meloni, Présidente du conseil des ministres en Italie et présidente du parti d’extrême droite Frères d’Italie.

[2] Déclaration de Paola Frassinetti, actuelle ministre italienne « de l’éducation et du mérite », à propos de l’élection de Meloni.

[3] Notons que ces caractéristiques ne sont pas exhaustives et ajoutons que du point de vue économique, il existe différentes tendances : certaines défendant un protectionnisme économique opposé au mondialisme libéral, d’autres défendant un ultralibéralisme.

[4] La Nouvelle Droite désigne un groupement de penseurs et intellectuels d’extrême droite, formé en 1969, qui a proposé de nouvelles bases théoriques et idéologiques pour l’extrême droite. De nombreuses figures d’extrême droite sont encore actuellement énormément influencées par ce mouvement.

[5] L’extrême droite se réfère souvent à la civilisation pouvant couvrir la civilisation française, européenne, judéo-chrétienne, blanche, occidentale… selon les courants.

[6] L’utilisation du terme fourre·tout de “théorie du genre” se fait par les franges conservatrices de la société. Elles cherchent à discréditer par cette expression l’idée que le genre est construit socialement et prime sur le sexe dans l’explication des comportements des individu·e·s. Cette critique de la notion de genre a été particulièrement virulente lors des manifestations anti mariage homosexuel en France.

[7] Théorie complotiste d’extrême droite conceptualisée par Renaud Camus selon laquelle les populations européennes sont en cours de remplacement par des populations africaines et/ou musulmanes.

[8] Conférence de l’historien Vincent Scheltiens « Extrême droite : l’histoire ne se répéète pas de la même manière », Centrale Culturelle Bruxelloise, 06/12/2022.

[9] Tribune “L’extrême droite est incompatible avec les droits des femmes”, 19/04/2022, disponible ici : https://equipop.org/tribune-lextreme-droite-est-incompatible-avec-les-droits-des-femmes/

[10] Manon Legrand, “Le retour en force du Vlaams Belang : danger pour les femmes”, Axelle Mag n°221, 09/2019.

[11] Le Soir/Belga « Le Vlaams Belang est le parti le plus antiféminin de Belgique dénonce le Conseil des Femmes », 30/05/2019, disponible ici : https://www.lesoir.be/227867/article/2019-05-30/le-vlaams-belang-est-le-parti-le-plus-anti-feminin-de-belgique-denonce-le

[12] Safia Kessas, “Espagne : Vox, le parti d’extrême droite capitaliste sur l’antiféminisme”, site internet de la RTBF, disponible ici : https://www.rtbf.be/article/espagne-vox-le-parti-d-extreme-droite-capitalise-sur-l-antifeminisme-10208439

[13] Pauline Bock, “Planning familial : les anti-trans, “cautions progressistes” des réacs”, Arrêt Sur Images, 05/09/2022, disponible ici : https://www.arretsurimages.net/articles/planning-familial-les-anti-trans-cautions-progressistes-des-reacs

[14] Les événements de Cologne font références à plusieurs agressions sexuelles ayant eu lieu en 2016 dans des lieux publics, notamment à Cologne, perpétrées par des migrants. L’extrême droite fait souvent appel à cet évènement et, par exemple, le groupe Némésis se définit comme étant de la “Génération Cologne”.

[15] Il est commun pour les mouvements anti féministes de se revendiquer de vague(s) précédente(s) tout en dénonçant les pratiques et discours féministes contemporains. (Bard, Blais et Dupuis-Déri, 2019)

[16] Thèse raciste de Samuel Huntington qui considère qu’il existe sur terre plusieurs civilisations qui sont incompatibles les unes avec les autres de par des cultures trop différentes. 

[17] Par exemple Tom Van Grieken défend dans son livre les homosexuels en prétextant que ¾ des musulmans sont homophobes (cf. Manon Legrand, “Le retour en force du Vlaams Belang”, op.cit.)

[18] Discours que nous pouvons retrouver dans de nombreuses vidéos de Virginie Vota.

[19] Arte.tv, “La dédiabolisation de l’extrême droite européenne” : https://www.arte.tv/fr/videos/107710-224-A/la-dediabolisation-de-l-extreme-droite-europeenne/

[20] Membre du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne.

[21] Présidentes du RN (France), des Fratelli d'Italia, de l’AFD (Allemagne) et du DFP (Danemark).

[22] Conférence “Les femmes d'extrême droite en RFA”, Valérie Dubslaff , Unipop de Pessac, 2/05/22, https://www.youtube.com/watch?v=vaFrazhaIhg

[23] Arte.tv : "Comment les femmes transforment-elles l’extrême droite moderne ?”, disponible ici : https://www.arte.tv/fr/videos/107342-036-A/comment-les-femmes-transforment-elles-l-extreme-droite-moderne/

[24] Conférence “Les femmes d'extrême droite en RFA”, par Valérie Dubslaff, op.cit.

[25] Pour prendre un exemple frappant de cette adaptation de leurs discours, les franges les plus radicales ont toujours été opposées à la pilule contraceptive. Aujourd’hui, ces franges vont articuler leurs discours anti pilule avec des discours de réappropriation de son propre corps ainsi qu’avec des considérations écologiques et un attrait pour tout ce qui est “naturel”. (Della Sudda, 2022)

[26] Conférence “Les femmes d'extrême droite en RFA”, par Valérie Dubslaff, op.cit.

[27] A propos de la violence des femmes, nous vous conseillons l’analyse d’Héloïse Husquinet pour le CVFE « Humaines à part entière… » (2016), disponible ici : https://www.cvfe.be/publications/analyses/108-humaines-a-part-entiere-penser-la-violence-des-femmes-pour-questionner-l-ordre-social-et-bouleverser-les-frontieres-de-genre 

Féminisation, Extrême droite, Femmes, Féminisme, Education permanente

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