Le masculinisme : entre crise de l’identité masculine et volonté d’un retour au patriarcat
L’identité masculine est en crise : les hommes se cherchent, certains vont mal. Malheureusement, d’autres utilisent cette crise et ces souffrances pour tenter de dresser les hommes contre les femmes. Ils font ainsi l’économie d’une analyse approfondie de cette crise et évitent la recherche de solutions démocratiques. Comment ces différents mouvements utilisent-t-ils la crise identitaire des hommes pour justifier le retour au patriarcat ? Tentative de réponse
Comme nous voyons en Italie la chasse aux immigrés, aux Etats unis la chasse aux praticiens de l’avortement, en France le délit de solidarité envers les sans papier, en Europe une mise en danger de la laïcité, nous voyons naître en Europe un mouvement nommé « masculinisme ». Ce mouvement, sous couvert de recherche identitaire, tente de remettre en selle le pouvoir patriarcal.
C’est avec un regard citoyen, donc politique, que je me propose d’analyser le phénomène qui est à l’œuvre dans ces mouvements.
Et j’insiste : je suis convaincue que les hommes vivent des moments difficiles au sein de notre société capitaliste (j’y reviendrai plus tard). Cette souffrance, je la constate surtout dans l’intimité des rapports humains, l’image de l’homme, la souffrance au travail, la solitude, le rôle de père, parfois en prise avec une justice qui n’est rien d’autre qu’une machine à appliquer le droit…
Mais je me refuse de cautionner un discours, appuyé par certains psychologues, qui consiste à dénoncer l’absence du père comme source de tous les maux et réclamant un retour à la famille traditionnelle comme remède au manque de repères de notre société.
Des écrits viennent appuyer et nourrir les mouvements masculinistes. Tantôt juristes, journalistes ou psychologue, ils tentent d’infiltrer la conscience de chacune et chacun.
Je me suis intéressée à ces écrits masculinistes et je vous propose de découvrir deux de ses porte-parole afin de mieux percevoir leurs idées et leurs intentions.
L’un n’est autre qu’Eric Zemmour, journaliste français qui a écrit, entres autre, Le premier Sexe[1].
L’autre est Yvon Dallaire, psychologue québécois et président du premier congrès hommes de Belgique, qui a écrit Homme et fier de l’être[2].
Après ce tour rapide du mouvement masculiniste et de ses idées, je vous proposerai mon point de vue sur cette crise identitaire masculine.
Zemmour : propos anti-femmes et glorification de l’homme, le vrai …
Le premier sexe est un livre qui se veut, comme son auteur, provocateur. Zemmour y fait un constat désastreux : la féminisation de la société française, qui se caractérise par un changement des valeurs ! Je cite : « la douceur sur la force, le dialogue sur l'autorité, la paix sur la guerre, l'écoute sur l'ordre, la tolérance sur la violence, la précaution sur le risque ».
Les femmes imposent dans leur désir de toute puissance de nouvelles règles en matière de sexualité, de mode, de violence, de parité, de rôle dans la famille… Les femmes imposent la fidélité. Ainsi elles castrent l’homme qui est « un prédateur sexuel, un conquérant ». Les femmes poussent le désir de castration jusqu'à réclamer un questionnement sur la loi concernant la prostitution, complot des féministes pour punir le besoin de sexe des hommes et les obliger à lier amour et sexualité. Elles se sont alliées aux homosexuels pour imposer, par la mode, une féminisation de l’homme (on voit des hommes qui s’épilent, sont attentifs à leur image). Cette déconstruction sexuelle a altéré l’image de l’homme qui est maintenant utilisée comme objet (dans la publicité).
Elles ont également changé le regard sur la violence pourtant essentielle à la virilité et au pouvoir. Zemmour considère que la demande de parité des femmes a féminisé la politique et la façon de faire de la politique. En effet, Les politiciens ne sont plus des hommes qui tuent leur adversaire, des hommes de pouvoir avec leur trivialité et leur privilège de langage machiste, mais des hommes de consensus avec un vocabulaire féminin.
Islam et virilité
La professionnalisation des femmes, leur désir de tout avoir (un homme, un mari), sinon elles divorcent, a gravement nuit à la famille et aux enfants qui vont mal (anorexie, hyperkinésie). Il est temps que le père réintègre la famille. Il insiste : les femmes sont responsables de tous les dysfonctionnements sociaux, mais les hommes ont accepté la castration et cela les arrange. Ainsi, ils sont devenus faibles : faire la guerre, assumer les responsabilités, ils n’en veulent plus ! Et profitent de la libération des femmes pour lâcher tous les fardeaux inhérents à leur sexe.
Ses propos deviennent encore plus interpellants lorsqu’il glorifie la seule virilité encore vivante dans la population française, celle incarnée par les jeunes hommes des banlieues : « Dans nos banlieues, l’islamisation, démographique ou culturelle, a entamé son travail de séparation rigoriste des sexes et d’enfermement des femmes. Quand on demande à Malek Chebel, écrivain, psychanalyste et anthropologue, pourquoi choisir l’islam plutôt que le christianisme, il répond : pour sa virilité. On croit à une provocation gratuite, mais Chebel décrit avec finesse ce qui est en train de se passer dans les banlieues françaises : « Je suis toujours surpris par la force des convictions des convertis chrétiens à l’islam. Qu’est ce qu’ils y trouvent : une virilité et une sécurité qu’il n’y a plus dans le christianisme ».
Selon Zemmour, le christianisme, religion d’amour et de miséricorde, serait une religion féminine et la religion musulmane, par son renforcement du patriarcat, une religion masculine.
Mépris tous azimuts
Ce livre se veut provocateur, comme je l'ai souligné, mais cette provocation ne s'inscrit pas dans l'humour ou le cynisme, elle s'inscrit dans le mépris. En témoigne ce passage:
« C’est tout le paradoxe féminin. Les femmes conduisent quand la vitesse est limitée ; elles fument quand le tabac tue ; elles obtiennent la parité quand la politique ne sert plus à grand-chose ; elles votent à gauche quand la Révolution est finie ; elles deviennent un argument de marketing quand la littérature se meurt ; elles découvrent le football quand la magie de mon enfance est devenue un tiroir-caisse. Il y a une malédiction féminine qui est l’envers de la bénédiction. Elles ne détruisent pas, elles protègent. Elles ne créent pas elles, elles entretiennent. Elles n’inventent pas, elles conservent. Elles ne forcent pas, elles préservent. Elles ne transgressent pas, elles civilisent. Elles ne règnent pas, elles régentent. En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s’interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. Ils se contentent de conserver. On explique en général la stagnation intellectuelle et économique de l’Europe par le vieillissement de sa population. On ne songe jamais -ou on n’ose jamais songer- à sa féminisation ? »
Son mépris s’exprime également à l’égard des hommes quand il parle de la révolution virile à venir: « Il me semble que la plus grande résistance viendra des hommes trop contents de se débarrasser du fardeau qui court entre leurs jambes. Même si la soumission, l’humiliation, le malheur sont leur destin. »
Ces propos sont distillés régulièrement par Eric Zemmour. Il jouit, en effet, d’une tribune publique : c’est un people qui s’exprime à la radio, écrit pour des journaux et est chroniqueur à la télé dans l’émission hebdomadaire intitulée « On n’est pas couché ».
Après la lecture de ce livre, je me suis interrogée sur la portée d’un tel pamphlet. Si le dénigrement avait eu pour cible d’autres communautés comme les juifs, les musulmans, que se serait-il passé ? Dieudonné, me semble-t-il, a payé ses propos antisémites par son écartement total des médias. En ce qui concerne Zemmour, ses prises de positions anti-femmes sont plutôt relayées encouragées et applaudies… Pourquoi ? Qu’est ce qu’un tel discours dit de notre démocratie ?
Dallaire et l’illusion du patriarcat
Avant d’essayer de répondre à cette question, je poursuis mon coup de projecteur sur le masculinisme avec l’une de ses figures de proue québécoises, Yvon Dallaire. Pour lui, le patriarcat est une illusion, l'homme possède une approche hiérarchique, la femme une approche égalitaire.
Yvon Dallaire a été président d’honneur du premier congrès homme de Belgique. Il est aussi le créateur de l’approche psychosexuelle appliquée, une approche qui intègre les données de la nature biologique de l’être humain avec les grandes théories explicatives de son comportement. Il est également auteur de quelques ouvrages. J’ai choisi plus particulièrement de décortiquer Homme et fier de l’être en balayant certaines idées défendues et affirmées dans son livre et en reprenant, tels quels, les mots utilisés.
Premier chapitre : Pour en finir avec l'illusion du patriarcat
- Le patriarcat serait une illusion.
- Les hommes ont peut-être le pouvoir social, politique, juridique et économique, mais le vrai pouvoir le pouvoir occulte est entre les mains des femmes.
- Dieu lui même craint la femme.
- Le désir féminin est tout puissant, le sexe mâle constitue une stratégie de survie pour l'espèce femelle.
Je pense que des affirmations aussi tranchées mériteraient une explication !
Malheureusement, dans les 58 premières pages du livre, l’auteur nous affirme tout et son contraire. Et je serais bien en peine de vous démontrer, par des arguments concrets, ce qui permet à l'auteur d'affirmer de telles idées.
Il se base notamment sur une analyse, peu convaincante de la mythologie et de la religion. Par ex : Dieu craint la femme, car les 613 commandements s'adressent à l'homme et non à la femme. C'est cela pour lui la preuve que dieu craint la femme.
Je vous laisse méditer sur ces idées.
Je poursuis avec d’autres affirmations de notre auteur : les femmes qui haïssent les hommes.
- Il existe des femmes qui haïssent les hommes.
- Certains hommes aussi détestent les hommes et épousent le discours féministe, volontairement ou inconsciemment.
- Même lorsqu'elles auront obtenu la parité, les féministes continueront à exiger d'autres privilèges.
- Les hommes et les femmes diffèrent quant à la définition de l'égalité.
Les affirmations parlent d'elles mêmes. Je voudrais juste souligner un aspect qui me paraît très important concernant ces hommes qui détesteraient les hommes… Tenir des propos critiques à l’égard du mouvement masculiniste est tout de suite considéré comme de la trahison par Yvon Dallaire.
Avec nous ou contre nous
Ainsi, lors de la commémoration fin 2009 d’une tuerie perpétrée contre des filles dans une école d’ingénieurs au Québec, Martin Dufresne, porte parole du collectif contre le sexisme, a donné un avis qui remettait en cause les idées des masculinistes…[3] Aussitôt, Yvon Dallaire le classe parmi les hommes qui haïssent les hommes. « Certains hommes décident volontairement de se mettre du coté des féministes, d'épouser leur discours et de combattre leur propre sexe ».
En d’autres termes, si tu n'es pas avec nous, tu es contre nous.
Je poursuis avec le chapitre intitulé « Préjugés contre les hommes ».
- Le sexisme envers les hommes existe.
- La perception de la condition masculine s'est grandement détériorée depuis 50 ans.
- Les femmes peuvent être aussi violentes que les hommes.
- Les enfants peuvent être victimes d'abus (sexuels) de la part de leur mère.
- La psychothérapie peut créer de faux souvenirs.
- La réaction de l'entourage peut avoir des effets plus négatifs que le trauma.
- Les hommes sont fortement influencés par tous les préjugés existant contre eux.
- Les hommes et les femmes ont avantage à collaborer.
- Il existe de plus en plus de regroupements pour défendre les droits des hommes.
- L’homme exprime ses émotions de façon comportementale.
- L'homme possède une approche hiérarchique, la femme une approche égalitaire.
L’inceste, une maltraitance banale ?
Dans ce chapitre, Dallaire tente de minimiser la maltraitance liée à l'inceste ! A ses yeux, l’inceste est une maltraitance comme les autres, tout dépend de la manière dont l'entourage réagit.
Par son désir de renforcer l'image de l'homme, il remet en question le travail de personnes qui tentent d'aider des victimes détruites et de mettre à jour des violences irréparables. Et toutes les parades sont mises en place, puisqu’il affirme que des psychologues peuvent mettre des faux souvenirs dans la tête des victimes.
Se servir de dérives comme des accusations à tort ou des arguments sur l'inceste féminin pour remettre tout en question est intellectuellement limite à mes yeux ! Si les femmes commettent l’inceste, elles seront, comme tout agresseur, punies et dénoncées.
Voici un autre chapitre concernant « La violence faite aux hommes ».
- De plus en plus de recherches font la preuve de la violence féminine faite aux hommes.
- La société entretient le mythe de la faible femme victime du grand méchant loup.
- Les garçons ont plus de probabilité d'être tués ou battus que les filles.
- Les hommes violents obtiennent des condamnations plus sévères que les femmes violentes.
- Le mouvement féministe extrémiste déresponsabilise les femmes et les garde dans un état de dépendance.
- Les femmes utilisent très souvent différentes armes dans leur violence.
- On enseigne aux petits garçons à contenir leur agressivité et à être raisonnables.
- On utilise même des camisoles chimiques pour ce faire.
- C'est la violence sous toutes ses formes qui doit être éradiquée et pas seulement la violence domestique.
- Les féministes cherchent à ridiculiser les données sur la violence féminine.
- C'est avec son père biologique que l'enfant est le plus en sécurité et c'est aussi avec le père biologique de ses enfants que la femme mariée est le plus en sécurité.
La violence domestique, face cachée du patriarcat
Que dire, sans entrer dans une symétrie de statistiques. Démonter petit à petit ces affirmations, c'est entrer dans la spirale d’un débat stérile pour provoquer la division. Je ne peux être d'accord avec ces affirmations, elles sont hors contexte. Depuis des années des groupes de femmes et d'hommes se battent contre la violence dont les femmes et les enfants sont victimes dans une grande majorité.
Ce combat s'inscrit dans le combat féministe, car la violence domestique était la face cachée du patriarcat. En effet, toute l'organisation sociale donnait implicitement ce droit aux hommes.
Confronter les autorités politiques à ce phénomène, s'organiser pour aider les femmes et les enfants, sensibiliser les magistrats, sensibiliser les policiers a été et est un travail indispensable et complexe.
N'oublions pas que la violence conjugale est encore la première cause de mortalité féminine en Europe pour les femmes de 25 à 50 ans.
Certainement le problème de la violence féminine existe. Personne ne dit que la femme serait meilleure. Mais une organisation sociale qui donne tout pouvoir à une catégorie de population lui donne aussi la possibilité de l'utiliser et de le garder par l'oppression de l'autre. Et l'oppression utilise la violence.
Ce n'est pas l'image de l'homme individu qui est remise en question dans ces pratiques de violence, mais bien les dérives d'un patriarcat tout puissant. Et si le soutien s'organise autour des victimes et que, grâce à cela, les hommes peuvent en bénéficier, c'est bon pour tout le monde… Plutôt que de nier des faits d'une évidence mondiale inscrite dans les statistiques de l'OMS.
J’en termine avec un dernier chapitre « Un père pour quoi faire ? »
- En voulant éliminer le vieux modèle patriarcal la société a assassiné le Père.
- La famille est régie par un système matriarcal.
- La mère représente l’amour, le père représente la loi et l’ordre.
- La filiation patrilinéaire veut assurer la paternité.
- L’absence du père a des conséquences négatives très graves.
- Le mouvement des hommes et des pères sera probablement le changement le plus important du XXIe siècle.
Les armes de l’extrême droite
Pour conclure, que nous dit Dallaire ?
Les féministes sont un danger pour la société, elles ont tué le père (entendez le patriarche). Tous leurs combats se basent sur des fausses réalités : la violence conjugale existe pour les deux sexes, la discrimination existe pour les deux sexes, etc.
Dallaire défend de manière évidente un retour au patriarcat et pour cela utilise des armes bien aiguisées dans son bureau de psy. C'est à dire manipuler les souffrances des hommes dans leur intimité en dénigrant le combat féministe.
En conclusion de cette première partie consacrée à deux fers de lance du masculinisme, nous pouvons affirmer que Zemmour et Dallaire utilisent les armes de l'extrême droite. Ils jouent avec les malaises et les frustrations et donnent des explications simplistes : c’est à cause des féministes ! Ils veulent rallier un maximum d'insatisfaits pour créer un mouvement et réinstaurer le « bon » patriarcat qui va sauver le monde. Et si heureusement certains hommes ne sont pas d’accord, Dallaire et Zemmour utilisent le dénigrement et l’humiliation.
Pour citer cette analyse :
Marianne Dalmans, "Le masculinisme : entre crise de l’identité masculine et volonté d’un retour au patriarcat", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2010. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/274-le-masculinisme-entre-crise-de-l-identite-masculine-et-volonte-d-un-retour-au-patriarcat
Contact :
Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.
Notes :
[1] Zemmour (Eric), Le premier Sexe, Paris, Denoël, 2006, 133 pages.
[2] Dallaire (Yvon), Homme et fier de l’être. Un livre qui dénonce les préjugés contre les hommes et qui fait l’éloge de la masculinité, Québec, Option Santé, 2001, 335 pages.
[3] Le 6 décembre 1989, un jeune homme s'est introduit armé à l’école polytechnique de l’Université de Montréal. Il a séparé les garçons des filles et, après avoir demandé aux féministes de s'avancer, il a tiré en tuant quatorze d'entre elles.