Un cinéclub au refuge du CVFE : expérience en cours
Proposer un ciné-club alternatif aux femmes victimes de violence conjugale pourrait constituer une gageure. C’est pourtant ce qui se passe au refuge du CVFE depuis 2008, le lundi matin. A partir de la projection dans de bonnes conditions de confort d’un choix de films novateurs et abordant des thèmes qui concernent les femmes, des discussions s’engagent, dont le présent texte dégage les principaux thèmes.
Depuis 2008 existe au refuge du CVFE un moment « cinéclub » durant lequel sont proposés aux femmes qui le désirent des films absents ou au moins minoritaires à la télévision et dans les salles de cinéma dominantes. Le projet se veut complémentaire de l’accompagnement des femmes hébergées vers la vie culturelle urbaine (visites d’expositions, séances de cinéma collectives ou individuelles,..) puisqu’il s’agit ici au contraire d’inviter le cinéma d’auteur dans nos maisons d’accueil.
A la base, l’idée est née d’un double intérêt : celui exprimé par les femmes hébergées pour des moments rassembleurs mais non-contraints[1] en soirée et celui de certain-e-s membres de l’équipe pour le cinéma. Un cinéma qui serait à la fois plaisir, art, brasseur d’émotions et de questions et moyen d’accès au monde.
Le cinéclub propose des temps d’arrêt, à l’abri de l’urgence qui rythme souvent le quotidien heurté de nos bénéficiaires. Un espace où peut se vivre à la fois le sentiment d’appartenance au groupe et une expérience tout-à-fait personnelle et intime : nous passons un moment ensemble (quelquefois des sourires, des émotions, quelques mots sont partagés pendant le film: le salon du refuge n’a pas la solennité d’une salle de cinéma et c’est bien ainsi) mais dans le même temps chacune développe son propre rapport à l’œuvre qu’elle rencontre pour la première fois. Les intervenant-e-s à l’origine de cette activité tenaient à ce qu’aux films succèdent des débats ouverts pendant lesquels, au sein du groupe, peuvent s’exprimer des points de vue différenciés.
Culture et esprit critique
La notion de culture est vaste. Elle peut prendre des sens très différents selon les personnes et les sociétés. Ce qui est clair dans notre esprit c’est que la culture ne doit pas être réduite à des biens culturels, à du loisir ou à une façon comme une autre d’échapper à l’ennui ou l’angoisse. A nos yeux, elle est ce qui suscite la discussion, ce qui nous permet de réfléchir et elle est aussi ce sur quoi on s’appuie pour exprimer une opinion, pour prendre position. De notre point de vue d’intervenant-e-s sociaux-ales, la culture (l’expression artistique, notamment cinématographique) peut donner des armes pour questionner la culture (en tant qu’ensemble de valeurs et de représentations transmises entre générations).
Et c’est essentiel car l’accompagnement de nos bénéficiaires dans des démarches de changement, même modestes en apparence, passe aussi par une réflexion collective critique sur nos identités (d’hommes et de femmes, de mères,..). Or le cinéma que nous voulons partager vient justement titiller les spectatrices dans leurs besoins d’appartenance (« Chez nous, ça se passe comme ça ») et leurs regards sur celles et ceux qui sont perçus comme différents (« Les hommes, ils fonctionnent comme ça ») : doit-on et a-t-on besoin de se reconnaître totalement dans nos identités sociales ; et en quoi l’autre est-il vraiment autre ?
Dans le cadre du ciné-club, nous espérons que les films participent à nourrir les esprits critiques des travailleuses comme des femmes hébergées en multipliant les points de vue, en suscitant des déplacements de regards.
Sans négliger la notion de plaisir (bien heureusement !), nous espérons proposer des alternatives à la pure consommation de biens culturels. Car si celle-ci joue sans doute un rôle important pour la majorité d’entre nous en nous aidant à nous sentir faire partie du monde social, elle est aussi (et avant tout ?) bien ancrée dans les logiques marchandes et les façons d’agir individualistes qu’on pourrait qualifier de néolibérales.
En espérant que le ciné-club soit un relais/une impulsion vers des pratiques culturelles diversifiées (ouvertes sur le monde). Et ainsi jouer un rôle, aussi symbolique soit-il, dans ce que l’article 23 de la Constitution belge nomme joliment « l’épanouissement culturel » des femmes.
Co-construire avec les femmes
Les échanges formels (suivant le film) et informels (dans la maison avec d’autres intervenant-e-s, lors des réunions, etc.) autour des films encouragent l’élaboration et l’expression d’un avis propre (qui sont au fondement de l’action citoyenne). Mais s’il veut rester en prise avec les objectifs de base décrits ci-dessus, un cinéclub comme celui du refuge se doit de réfléchir avec les femmes sur son contenu et sur son mode de fonctionnement.
C’est pourquoi cet automne, au moment où les animatrices du cinéclub ont constaté un relatif essoufflement de la formule du jeudi soir (baisse de fréquentation, perte de motivation à faire vivre un moment d’échange très tardif –souvent après 22h,…), nous avons décidé de solliciter un groupe de femmes pour nous aider à relancer ce projet qui nous tient à cœur et a fait ses preuves à leurs yeux également.
Le rendez-vous cinéclub a été déplacé au lundi matin et nous nous sommes lancés pour une période-test de 5 séances avec un groupe « de base critique » composé de 4 femmes hébergées ou l’ayant été, qui s’étaient engagées, dans la mesure de leurs possibilités, à participer à au moins 4 de ces moments. D’autres femmes hébergées ont pu bien entendu participer quand elles le désiraient.
Même si nous avions espéré partager ici les fruits de ce processus de création collective, il faut bien constater qu’en cette fin d’année 2012, l’expérience est toujours en cours. C’est pourquoi nous ne pouvons dans ce texte que donner un aperçu d’un work in progress. Les contretemps font partie de notre métier et surtout l’imprévisible (avec ses bonnes et moins bonnes surprises) est toujours à l’ordre du jour pour les femmes que nous accompagnons. Un temps de rencontre collectif est prévu en janvier qui permettra de faire un point plus précis sur les sujets de satisfaction, les remises en question et les suggestions que pourront porter ces femmes concernant à la fois le contenu et la forme du cinéclub nouveau.
Le contenu : quels films et pourquoi ?
*On l’a dit plus haut, le ciné-club est l’occasion de montrer des films qu’on ne voit pas partout, des films qui ne sont pas seulement porteurs d’un contenu (pour lancer un débat télévisé ou autre) mais qui sont aussi l’expression d’une démarche artistique. Et non, montrer des films qui ne passent pas souvent, voire pas du tout, sur les chaînes publiques ou dans les cinémas mainstream, ne veut pas dire se priver du plaisir du cinéma ; au contraire c’est faire confiance à la puissance du cinoche et à l’ouverture d’esprit et à l’intelligence des spectatrices.
*Les films choisis se caractérisent par exemple par des choix esthétiques originaux (on peut penser au film de Quentin Tarantino, Boulevard de la mort ou au film de Claire Simon sur la vie d’un Planning familial Les Bureaux de dieu), mais aussi et surtout par des récits où tout n’est pas donné (pré-mâché) aux spectatrices-teurs (Respiro d’Emanuele Crialese, Une séparation d’Ashgar Fahradi, Sexe, mensonges et videos, de Steven Soderbergh, etc.), des récits qui invitent à utiliser notre imagination et qui laissent libre d’interpréter à notre façon les comportements des personnages ou les ellipses (les blancs) choisies par le réalisateur. Il reste du mystère, l’histoire n’est pas écrite entièrement d’avance, c’est à nous de lui donner sens[2]. Pourquoi pas en échangeant avec d’autres spectatrices.
*Le cinéma comme un moyen parmi d’autres d’accéder au monde[3]. Dans cette expression il y a l’idée d’aller au-delà des apparences pour accéder à une certaine complexité et une beauté des relations humaines (le cinéma nous fait parfois rencontrer des humains qu’on ne voit pas ailleurs et qui nous touchent et/ou nous font réfléchir par leur singularité aussi bien que par les résonances qu’ils éveillent en nous). Accéder au monde pourrait aussi signifier y chercher une place qui nous convienne, et donc cultiver la connaissance de nos propres désirs et de nos propres idées. De ce point de vue, le cinéma comme lieu d’apprentissage et de (re)découverte (« d’autres façons de vivre -d’être femme, d’être mère, d’être en société- sont possibles ») et la douce mise en question des évidences (des choix du ou de la cinéaste/de la façon dont nous menons nos vies) qu’il permet sont bien des moyens d’accès au monde.
*Notons aussi qu’en termes de travail social, on voit aussi les images, les personnages, la fiction comme des leviers d’émotions (la colère, le sentiment d’injustice) et comme des ancrages possibles pour les échanges qui suivront le film (lien complémentaire entre images et échanges verbaux).
Un programme
Nous avons vu successivement en cette fin d’année 2012 :
- Sexe, mensonges et videos de Steven Soderbergh, Etats-Unis, 1989.
- Boulevard de la mort de Quentin Tarantino, Etats-Unis, 2007.
- Les Bureaux de dieu de Claire Simon, France, 2010.
- Une Séparation d’Ashgar Farhadi, Iran, 2011.
Pourraient suivre dès janvier : Poulet aux prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paroneau, Les Temps modernes de Charlie Chaplin, Respiro d’Emanuele Crialese, Off Side de Jafar Panahi, Tomboy de Céline Sciamma, Stella de Sylvie Verheyde, etc.
Accords et désaccords
Les échanges ont porté sur différents thèmes. Dont ceux-ci :
* Les personnages féminins du film de Soderbergh ont des façons de voir et de vivre tellement différentes que c’est difficile de parler des femmes en général (par exemple, la phrase « une femme aura toujours tendance à… » paraît soudain en décalage, vaguement à côté de la plaque, mais qui sait ?).
* Pourquoi les personnages font-ils ce qu’ils font ? Ce n’est pas toujours clair ? Est-ce leur enfance qui explique leurs apparentes différences de sensibilité?
* Pourquoi une fin ouverte nous irrite-t-elle parfois? Quel plaisir (de l’enfance ?) retrouve-t-on dans les histoires qui nous sont racontées « jusqu’au bout » ? Et si je n’ai pas envie que le film me laisse libre d’imaginer, et si je veux juste qu’on me raconte une histoire (qui se termine bien) ?
* La vision de Boulevard de la mort débouche sur une conversation autour du plaisir de retrouver des personnages de femmes rebelles. Puis sur un débat autour de la puissance des femmes solidaires face au danger. Et un questionnement resté en suspens : les auteurs de violences peuvent-ils ou pas « prendre » (annihiler) la force de rébellion de leurs compagnes ? Et au fond, est-ce que ce ne serait pas parfois ce qui les blesse, eux, cette force chez leur compagne ?
* Le film de Claire Simon considéré « comme un reportage » a suscité de nombreuses critiques sur la forme (répétitions, longueurs, musique déplacée et bizarre, etc.) et sur le fond (impression que les clientes du Planning familial sont « sous pression » : « elles veulent toutes une IVG » ; regard sévère sur les intervenantes « peu chaleureuses », etc.). Mais le film est aussi l’occasion de parler des relations entre travailleuses sociales et bénéficiaires. On échange sur le sens du silence en entretien d’aide. Qui ça peut bien aider ? A quoi ça peut bien servir ? Et à propos de l’intervention d’aide en urgence : les femmes tombent d’accord sur l’idée que, sur des questions intimes et essentielles, l’efficacité passe aussi par un lien de qualité qu’il faut -c’est un paradoxe- prendre le temps de construire.
* Une Séparation, qui a beaucoup plu, nous fait réfléchir à ce qu’est un film réussi. A quoi tient l’enthousiasme ? Nous découvrons que chacun-e a été pris par les différents personnages, qu’aucun d’entre eux ne nous a laissé-e-s indifférent-e-s. Puis s’est posée la question « comment classer ce film ? ». Est-ce un drame familial ? Ou judiciaire ? Ou encore un film policier? Est-ce qu’un film peut être tout ça à la fois ? Y-a-t-il des films inclassables ? Est-ce qu’au fond ce film est aussi difficile à réduire à une catégorie que ses personnages ? On a aussi évoqué les enfants et la façon dont les adultes les exposent plus ou moins volontairement aux violences de la vie en société.
La forme
Ce que nous avons mis en place ou maintenu dans cette nouvelle formule :
- Le rendez-vous est fixé au lundi 9h15 à la maison d’accueil. Une télévision et un système sonore de qualité ont été installés dans la salle de réunion, située à l’écart des espaces de vie (et de passage). Puisque la séance peut durer jusque midi, cette tranche horaire permet de consacrer un temps suffisant à la présentation du film et aux échanges qu’il inspire.
- Jusqu’à présent, ce sont les travailleuses-eurs qui choisissent le film qu’elles-ils vont présenter ou un panel limité de films parmi lesquels l’assemblée choisit celui qu’elle regardera. En cela, nous restons fidèles à une pratique de cinéclub classique où un groupe d’organisateurs-trices invitent à venir partager des œuvres aimées.
- Plus systématiquement qu’auparavant, ces films sont présentés avant la « projection »[4]: en les replaçant dans un contexte (histoire du film, du réalisateur, etc.), en partageant avec les femmes et la collègue présente les raisons qui nous poussent à l’intégrer au ciné-club.
- Deux collègues sont toujours présent-e-s au débat. L’un-e d’entre nous peut ainsi garder traces de ce qui se joue, se dit. Mais la-le collègue qui a vu récemment le film de façon à pouvoir le présenter peut s’éclipser pendant le film et revenir pour le débat.
- Un temps de transition est à présent aménagé entre la fin de la « projection » et le début des échanges en grand groupe. Les participant-e-s (collègue et femmes) sont invitées à se retrouver d’abord par deux pendant quelques minutes et à discuter à partir d’une question précise concernant le contenu du film (« Quel évènement t’a marqué plus particulièrement ? » ou « De quel personnage t’es-tu sentie plus proche ? »).
- Le débat porte sur le contenu du film tout en intégrant idéalement quelques questions plus techniques à propos des choix du réalisateur (musique, plans, rythme,…) : pourquoi choisit-il telle ou telle façon de faire et quel impact ça a eu sur nous en tant que spectatrices ? Est-on d’accord avec ces choix, les a-ton appréciés ? L’objectif étant bien de développer en même temps que les intervenant-e-s (qui n’ont rien de spécialistes) quelques bases en analyse critique de l’image. Une question d’apparence simple mais passionnante peut lancer les débats (en laissant libre chacune de parler de ce qu’elle veut : du contenu bien entendu, mais aussi de la réalisation) : « Qu’as-tu aimé et pourquoi? » (avec son contraire complémentaire : « Que n’as-tu pas aimé et pourquoi ? »)
Ce que nos discussions informelles avec les femmes nous suggèrent (en attendant une rencontre-bilan avec le groupe):
- d’attacher une plus grande attention à la promotion du film à l’avance (affiche dans la cuisine par exemple, donner envie, ouvrir la curiosité, etc.)
- de soigner le confort (largeur d’écran, sièges) et planter le « décor » (obturer les fenêtres)
- que la présence d’un homme est un atout de certains points de vue, mais peut freiner des femmes dans leur envie de prendre la parole sur certains sujets (principalement celui de la sexualité)
- plus spécifiquement, les critiques adressées au film Les Bureaux de Dieu questionnent les potentialités du DVD en général et de celui-là en particulier. Il pourrait être pertinent d’introduire ce film par un des bonus qui propose une interview de l’auteure. Ou encore de profiter de la liberté qu’offre l’organisation en chapitres pour sélectionner certaines parties du film (au détriment du film en tant que tout).
Une histoire sans fin ?
Ce texte sur notre cinéclub, en tant qu’expérience qui se renouvelle au fil du temps, ne se prête pas à une fin classique. L’aventure continue et nous en reparlerons peut-être sur ce site. En guise de conclusion à cette analyse toutefois, vous trouverez ci-dessous la présentation du film de Quentin Tarantino (lue ce jour-là aux spectatrices en l’absence du rédacteur[5]).
A suivre…
Présentation de Boulevard de la mort, de Quentin Tarentino Bonjour à vous toutes ! Je suis désolé de ne pas être là pour présenter le film ce matin mais je sais que je peux compter sur Leila pour être ma porte-parole ! Vous allez découvrir un film très différent de celui de la semaine passée. Mais il y a quand-même au moins trois points communs intéressants :
Vous allez voir un film de Quentin Tarantino. Il est Américain, il a bientôt 50 ans. C’est un gars qui adore le cinéma et qui sait un peu tout faire: il invente les histoires de ses films (les scénarios), il réalise ses films (c’est lui qui tient la caméra), il joue des petits rôles dans ses films, il choisit la musique de ses films, etc.. Puis il connaît aussi l’histoire du cinéma, il sait énormément de choses sur le 7e art et il a toujours eu envie de partager son plaisir et ses connaissances grâce à ses films. Pour faire un film, il part toujours d’un genre de cinéma qu’il aime et il respecte certaines règles de ce cinéma-là (par exemple le western, le film de guerre, le film de combats asiatique ou les films de la blaxploitation qui étaient faits par des Noirs et pour le public noir dans les années 70 aux Etats-Unis pour aider à redonner de la dignité aux Afro-Américains). Bref, il prend un type de cinéma qu’il aime et il lui rend un hommage, mais en même temps il fait un vrai film à lui, avec son propre style : il met des trucs à lui dans son film : c’est ce qu’on appelle un auteur. Parmi tous les films qu’il a faits, les deux plus connus sont sans doute Pulp Fiction (1994) et Kill Bill (2004)(plein de gens ont eu la musique de Kill Bill comme sonnerie de gsm ces dernières années, comme Adeline par exemple, peut-être qu’Audrey s’en souvient et peut la siffler ? héhéhé). Et moi, je trouve que, dans quasi tous ses films, les personnages de femmes sont extrêmement importants et puissants et étonnants et intéressants. Mais c’est juste mon avis évidemment… Alors bon, le film d’aujourd’hui (j’y arrive, j’y arrive !), Le titre français du film est Boulevard de la mort. Mais c’est juste parce que les traducteurs n’ont pas trouvé une bonne traduction pour le vrai titre anglais qui est Deathproof (Leila je compte sur ton accent anglais impeccable). En fait, en anglais, quand vous mettez « proof » après un mot, ça veut dire que l’objet dont vous parlez peut résister à quelque chose. Par exemple, quand il est écrit « waterproof » sur une montre, ça veut dire qu’elle peut aller dans l’eau. Donc comme « death » veut dire la mort en anglais, eh bien un objet ou une personne qui serait « deathproof » serait une personne qui résiste à la mort, que la mort ne pourrait pas atteindre. Vous allez voir que dans le film, c’est une voiture qui est « deathproof ». J’explique tout ça parce que ça me paraît chouette de connaître le vrai titre d’un film : celui que l’auteur du film a choisi. Dans ce film-ci, Tarantino s ’inspire des films « d’exploitation » : ce sont des films américains des années 70 qui étaient faits avec très peu d’argent, mais essayaient d’attirer le public avec des trucs spectaculaires (des jolies filles, des courses de bagnoles, de la violence, ce genre de trucs, etc.). C’était souvent très simple et très con, les acteurs étaient pas très bons, pas du tout connus, mais ce sont les films que Tarantino a vus quand il était adolescent. Et c’est en regardant ces films-là qu’il a commencé à se dire : « Moi, je veux faire du cinéma plus tard ». C’est pour ça qu’il y a 5 ans il a réalisé ce petit film. C’est comme une déclaration d’amour aux films mauvais et fauchés de sa jeunesse. Et donc dans ce film vous allez voir des femmes qui parlent grossièrement et de tout (elles parlent des hommes, de drogue, de sexe, de voitures et de cinéma), des femmes qui dansent, des femmes qui boivent, des femmes qui se taquinent et qui s’amusent, des femmes cascadeuses… Et ces femmes vont rencontrer un homme. Un homme dangereux qui conduit une voiture dangereuse. Ces jeunes femmes pourront-elles éviter le piège que leur tend cet homme ? Voilà. C’est tout pour l’histoire. Pour finir, je dois vous dire que j’ai hésité à vous le montrer ce film parce qu’il y deux scènes de violence. Mais vous verrez que Tarantino nous montre la violence d’une façon très particulière : il nous rappelle tout le temps que nous sommes au cinéma et que ce que nous voyons est juste une histoire. Ce qu’il nous montre n’est pas la réalité. Ce n’est pas un film réaliste (ce n’est pas un film qui cherche à nous montrer le monde tel qu’il est). Ça ressemble plutôt à un drôle de conte pour enfants. Il y a le grand méchant loup et les gentils petits chaperons rouges. (mais juste un indice pour celles qui n’ont pas envie de regarder : quand le personnage de Mike le cascadeur annonce qu’il faut commencer à avoir peur, vous pouvez mettre un coussin devant les yeux pendant 4-5 minutes…et après vous êtes tranquilles) Après ce film, je me réjouis de discuter avec vous. Et de parler de ce qui vous a touché, de ce qui vous a ennuyé ou énervé, des personnages, de la vengeance et de vos questions. Bon film ! |
Pour citer cette analyse :
Roger Herla, "Un cinéclub au refuge du CVFE : expérience en cours", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2012. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/264-un-cineclub-au-refuge-du-cvfe-experience-en-cours
Contact :
Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.
Notes :
[1] Il existe depuis toujours au sein du refuge deux types de réunions obligatoires pour les femmes hébergées : l’une centrée sur la vie communautaire (ses contraintes, ses conflits, ses occasions d’affirmation de soi, etc.) et l’autre sur le vécu de violences (partage d’expériences, analyse des mécanismes à l’œuvre, mise en lumière des stéréotypes de genre, etc.).
[2] On voit bien le parallèle avec le travail que nous menons aux côtés des femmes dans les accompagnements individuels et familiaux.
[3] L’expression est de Yann Kerninon, Moyens d’accès au monde. Manuel de survie pour les temps désertiques, 2005, Edition Le Bord de l’Eau.
[4] A lire en fin d’article : la présentation de Boulevard de la mort, de Quentin Tarantino.
[5] Ce texte a bénéficié de la participation d’Audrey Kaspers, Leila Malavasi, Fatima, Amélie, Ayida, Jeannine, Bernadette, Sandrine, Saida, Halima et Siham.