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Willy Peers et Simone Veil, précurseurs de la lutte pour dépénaliser l’avortement

Le mois de novembre 2014 a été l’occasion de rappeler le rôle capital joué par le docteur Willy Peers en Belgique et par la ministre Simone Veil en France pour dépénaliser l’avortement, une conquête de plus en plus souvent remise en cause aujourd’hui.

 

Cette fin d’année 2014 est l’occasion de rendre hommage à deux pionniers de la lutte pour la dépénalisation de l’IVG (Interruption volontaire de grossesse) :

le docteur Willy Peers et l’ancienne ministre et parlementaire européenne, Simone Veil.

  • Willy Peers, qui fut, dès les années 50, un grand défenseur de l’accouchement sans douleur et un militant infatigable en faveur de la légalisation de l’avortement, est décédé, il y a 30 ans, le 30 novembre 1984.
  • Simone Veil, ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, présenta au Parlement français, dès son entrée en fonction, son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Férocement attaquée, y compris par des membres de la majorité, menacée par l’extrême-droite, conspuée pour ses origines juives, elle fit contre vents et marées voter la loi à l’Assemblée nationale le 29 novembre 1974, il y a 40 ans. La loi fut promulguée le 17 janvier 1975.

Avortement condamné, avortement dangereux

Dans l’antiquité grecque et romaine, l’avortement est « réprouvé », mais non formellement interdit. C’est sous l’influence du christianisme que les empereurs Septime Sévère et Caracalla le condamnent au IIIe siècle. La plupart des religions sont opposées à l’avortement : l’église catholique a réaffirmé cette opposition dans l’encyclique Evangelium Vitae, publiée par Jean-Paul II en 1995[1], mais l’Islam, le judaïsme et le bouddhisme partagent globalement le même point de vue[2].

L’avortement a été longtemps interdit par la loi dans la plupart des pays. En France, il était puni des travaux forcés et même de la peine de mort. Ainsi, Marie-Louise Giraud, surnommée la « faiseuse d’anges », a été guillotinée le 30 juillet 1943 pour avoir procédé à des avortements clandestins durant la guerre[3]. Car l’interdiction n’a malheureusement jamais empêché les femmes d’avoir recours à des procédés clandestins pour avorter, avec les risques très importants pour leur santé et pour leur vie que l’on imagine.

« Le nombre total d'IVG dans le monde en 2003 a été estimé à 42 millions, soit un taux de 29 IVG pour mille femmes en âge de procréer. Ce taux est de 12 ‰ en Europe occidentale, de 17 ‰ en Europe du Nord, de 18 ‰ en Europe du Sud, de 21 ‰ globalement aux États- Unis et au Canada, de 44 ‰ en Europe de l'Est. En France, chaque année (pour les années 2000) il y a environ 201.000 à 215.000 avortements, soit 14 pour 1000 femmes de 15 à 49 ans »[4].

Ce qui fait problème, c’est que près de la moitié (48 %) des avortements pratiqués dans le monde en 2003 l’ont été de manière clandestine et dans des conditions dangereuses pour les femmes. 97 % de ces avortements dangereux se situaient dans des pays en voie de développement. « Ce sont près de 20 millions d'avortements qui sont ainsi pratiqués chaque année en dehors de structures adaptées ou par des praticiens n'ayant pas les compétences requises, ou auto-administrés par la femme elle-même. 68.000 femmes en meurent chaque année, souvent à la suite d'hémorragies, de septicémies ou d'empoisonnements, et des millions d'autres femmes en gardent des séquelles »[5].

Willy Peers, médecin et militant

Lorsque Willy Peers commence sa carrière médicale, l’avortement est interdit en Belgique par une loi de 1827. Né le 17 mars 1924 dans la région namuroise, Willy Peers s’engage très jeune dans la Résistance durant la Deuxième Guerre mondiale comme « soldat sanitaire », rejoint le Parti communiste belge (PCB) et entame des études de médecine à l’ULB, qu’il termine en 1953, avant de devenir gynécologue en 1956 et de co-diriger le Centre d’obstétrique et de gynécologie de la province de Namur à partir de 1959.

Immédiatement, il décide d’utiliser ses compétences pour permettre aux femmes de mieux contrôler leurs grossesses et de mieux vivre leur accouchement. Dès les années 50, il parcourt le pays pour faire ces conférences concernant le droit à la contraception et l’accouchement sans douleur. Cela lui vaut une sanction de l’Ordre des médecins en 1955[6].

Le 16 janvier 1973, l’Affaire Peers éclate : « le gynécologue est arrêté sur dénonciation anonyme pour avoir procédé à l'avortement d'une jeune fille de 27 ans, souffrant d’un handicap mental. Or l'avortement est interdit par une loi de 1867. Incarcéré pendant 34 jours, Willy Peers défend un triple combat : l'introduction de la méthode de l'accouchement sans douleur, la lutte en faveur de la contraception moderne et de la modification de la législation. Le soutien au médecin est impressionnant. Pour sa défense, Willy Peers invoque le respect de la vie et de la personne humaine; il disait aussi ne pouvoir tolérer que des femmes soient mutilées ou meurent des suites d'un avortement clandestin. L'emprisonnement d'un médecin qui exerce sans esprit de lucre et dans des conditions maximum d'hygiène a le mérite de poser clairement le problème de la dépénalisation de l'avortement, en discussion au Parlement depuis 1971 et qui le sera encore pendant 20 ans »[7].

L’énorme mobilisation pour la libération du docteur Peers sera l’élément déclencheur d’un mouvement de fond en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Plusieurs grandes manifestations ont lieu : le 29 janvier 1973, 10.000 personnes défilent à Namur et Saint-Servais ; après sa libération (le 20 février), Peers conduit la manifestation de Liège, le 24 février, en présence de nombreuses personnalités scientifiques, politiques et syndicales. Une pétition de soutien recueille 120.000 signatures[8].

Désormais, l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) sera pratiquée au grand jour dans des structures médicales comme les plannings familiaux et les Collectifs Contraception, mais elle n’est plus poursuivie systématiquement[9].

Cependant, il faudra attendre le 3 avril 1990 pour que la loi Lallemand-Michielsens[10], dépénalisant l’IVG, soit votée par le Parlement, à la faveur d’un épisode politique inédit, le roi Baudouin ayant dû être déclaré « dans l’impossibilité de régner » pendant 24 heures pour que la loi puisse être votée sans son aval.

Contrairement à un certain nombre de « mythes » ou rumeurs mensongères répandues par les opposants à l’IVG, les effets de la loi dépénalisant l’avortement, appliquée depuis 24 ans, sont positifs. Le Rapport 2012 de la « Commission nationale d’évaluation de l’interruption de grossesse », rédigé à l’intention du Parlement, démonte certains de ces mythes.

Quelques exemples de « mythes »

Ainsi, il est faux de prétendre que :

Le nombre d’avortements ne cesse d’augmenter depuis l’adoption de la loi de 1990.

  • Malgré l’augmentation globale de la population et l’augmentation consécutive du nombre d’avortements, celui-ci reste stable (14 pour 1000 naissances) et particulièrement faible (24‰ aux USA et 58‰ en Guadeloupe).
  • Le nombre de femmes belges ayant avorté en Hollande est passé de 2794 en 1993 à 681 en 2010.

Les grossesses non désirées et les avortements concernent surtout des jeunes filles de 16 ans.

  • En 2009, 1517 des 2674 IVG pratiquées envers des jeunes femmes de moins de 20 ans, soit plus de 57%, concernaient des jeunes filles de 18 et 19 ans.

Si les lois autorisant l’avortement étaient abrogées, le nombre d’avortements diminuerait.

  • Le nombre d’avortements est le plus faible dans les régions où la législation est libérale : en Europe occidentale, le nombre d’avortements pour 1000 femmes en âge de procréer est de 12 contre 32‰ en Amérique latine.

L’avortement rend stérile.

  • L’infertilité est le résultat de complications infectieuses provoquées par des avortements clandestins.

Si tout le monde utilisait un moyen contraceptif sûr, l’avortement ne serait plus nécessaire.

  • L’OMS a évalué à 5,9 millions le nombre annuel d’avortements qui seraient pratiqués, même si tout le monde utilisait sans erreur les moyens contraceptifs, en raison des échecs inévitables de la contraception.

Un avortement perturbe la santé mentale.

  • Selon un rapport 2008 de l’American Psychological Association (APA), la prévalence des problèmes de santé mentale chez les femmes ayant subi un avortement est comparable à celle de la population en général.

L’avortement provoque le cancer du sein.

  • Plusieurs instituts réputés ont déclaré officiellement qu’il n’y avait pas de lien causal entre un avortement et le développement d’un cancer du sein[11].

Simone Veil, une femme de conviction

Rescapée du camp d’extermination d’Auschwitz, Simone Jacob, née en 1927, a vu toute sa famille disparaître durant la guerre, à l’exception de ses deux sœurs. Dès son retour en France, elle entame des études de droit et de sciences politiques et rencontre Antoine Veil qu’elle épouse en 1946. Ensemble, ils auront trois fils. En 1956, elle quitte le barreau, réussit le concours d’entrée dans la magistrature et devient haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire.

En 1974, après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République française, elle devient ministre de la Santé et porte à bout de bras le projet de loi légalisant l’IVG. Elle restera ministre de la santé jusqu’en 1979, dans les gouvernements de Jacques Chirac et de Raymond Barre.

Femme de forte conviction au caractère bien trempé, elle résistera à toutes les attaques (y compris celles venues de son camp) pour faire voter, le 29 novembre 1974, la loi dépénalisant l’IVG, qui sera promulguée le 17 janvier suivant. En juin 1979, elle est élue au Parlement européen où elle siègera jusqu’en 1993. Elle en sera la présidente de 1979 à 1982. De 1998 à 2007, elle siège au Conseil constitutionnel et, élue à l’Académie française en 2008, elle est reçue sous la Coupole le 18 mars 2010[12].

Des menaces sur les droits acquis par les femmes

L'actualité récente montre toutefois que, si les femmes sont capables de défendre leurs droits, elles ont aussi tout à fait intérêt à être vigilantes, car leurs adversaires ne sont pas toujours les premiers auxquels on pense !

Journée mondiale d’action pour la dépénalisation de l’avortement

Si le gouvernement de droite espagnol a finalement décidé d’abandonner son projet de loi très restrictif en matière de droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il reste qu’il était prêt jusqu’il y a peu à faire faire à la société espagnole un formidable bond en arrière dans le domaine des libertés fondamentales, des femmes en l’occurrence.

Les mouvements féministes et citoyens ne s’y étaient pas trompés et avaient protesté partout en Europe contre ce projet calamiteux. Petit rappel : le 29 janvier dernier, deux mille personnes avaient participé à Bruxelles à une marche aux flambeaux au départ d’un rassemblement devant l’ambassade d’Espagne.

On saluera donc le choix du 28 septembre comme « Journée mondiale d’action pour la dépénalisation de l’avortement ». Menée en Amérique latine et dans les Caraïbes depuis 1990 par des femmes qui réclament le droit à un « avortement libre, légal et gratuit, sans stigmatisation, ni criminalisation », cette campagne trouve son origine dans la loi brésilienne du « ventre libre » du 28/09/1871 qui « libérait tous les enfants nés de parents esclaves ».

Dès lors, les femmes d’Amérique latine et des Caraïbes veulent que la fin de l’esclavage soit aussi celle de l’esclavage du ventre !

Depuis peu, la campagne est devenue mondiale avec le soutien du « Réseau mondial des femmes pour les droits reproductifs » (RMFDR) et, pour l’Europe, de la plateforme Abortion Right ! On peut consulter le site (en anglais) de la « Campagne 28 septembre »[13].

Sur son site, Abortion Right ! appelle à signer son « Manifeste pour le droit à l’avortement »[14].

Sans revenir sur le cas de l’Espagne, « rappelons qu’en Europe, la Pologne conserve une des législations les plus restrictives en matière d’avortement ; que celui-ci reste interdit à Chypre et Malte, et que dans d’autres pays comme l’Irlande et la Hongrie, les entraves à l’IVG sont de plus en plus  fréquentes et multiformes ». Et qu’« en Equateur, le Président de la République Rafael Correa a récemment accru la répression contre l’avortement en créant dans le code pénal un nouveau délit, celui de ‘mauvaise pratique professionnelle’ dans le but d’effrayer les médecins  et de les dissuader de venir en aide aux femmes et aux filles en détresse » (communiqué de la campagne Abortion Right !).

En Belgique, la loi sur le sexisme déjà contestée

Il n’aura pas fallu longtemps pour que la loi belge condamnant le sexisme (une première sur le plan international !) soit contestée. Entrée en vigueur le 3 août dernier, elle s’est vue remise en cause le 1er octobre 2014 au JT de la RTBF non pas par le premier masculiniste venu, mais par Rik Torfs, le recteur de la KUL (Université catholique de Louvain néerlandophone), au nom de la défense de la liberté d’expression. « L’égalité entre les femmes et les hommes est certes importante, déclare en substance Rik Torfs, mais la liberté d’expression ne l’est pas moins. Elle est là pour protéger les choses que tout le monde dit, mais aussi les points de vue un peu minables, minoritaires. Cela fait partie de notre jeu démocratique ».

Pour rappel, cette loi a vu le jour après la diffusion retentissante d’un documentaire sur le sexisme ordinaire (Femmes de la rue), réalisé à Bruxelles par Sofie Peeters, une étudiante néerlandophone en cinéma. La nouvelle loi contre le sexisme précise que « désormais, tout geste ou comportement, qui méprise, gravement et publiquement, une personne en raison de son sexe, peut entraîner une comparution devant le tribunal correctionnel qui pourra prononcer une peine de prison d’un mois à un an et/ou une amende de 50 à 1000 euros » (site de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes-IEFH).

Sur le même site, on peut commander ou télécharger une brochure relative à la nouvelle loi[15].

Signalons cependant que la loi Moureaux de 1981 qui condamne les actes et paroles racistes et xénophobes a échappé jusqu'à présent aux critiques du recteur de la KUL, ardent défenseur de la liberté d’expression.


Pour citer cette analyse :

René Begon, "Willy Peers et Simone Veil, précurseurs de la lutte pour dépénaliser l’avortement", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2014. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/234-willy-peers-et-simone-veil-precurseurs-de-la-lutte-pour-depenaliser-l-avortement

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] CF. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae_fr.html

[2] Article « Interruption volontaire de grossesse » (Wikipedia-fr).

[3] Article « Droit de l’avortement » (Wikipedia-fr).

[4] Ibidem.

[5] Grimes (D.A.), Benson (J.), Singh (S.) et als, Unsafe abortion : the preventable pandemic, in Lancet, 2006, n° 68, pages 1908-1919 (cité par article « Interruption volontaire de grossesse », Wikipedia-fr).

[6] Cf. Article « Willy Peers » (Wikipedia-fr) et http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/peers-willy#.VHhS18mT1m8

[7] Cf. http://www.wallonie-en-ligne.net/1995_Cent_Wallons/Peers_Willy.htm

[8] Cf. www.ihoes.be/PDF/expositions/EXPO_Willy_Peers_humaniste_medecine.pdf

[9] Ibidem.

[10] Roger Lallemand (PS) et Lucienne Herman Michielsens (PVV-Parti libéral flamand)

[11] Cf. Rapport 2012 de la Commission (note 8) et Centre d’Action laïque, Droit à l’avortement en Belgique. Etat des lieux 2013, pages 4-5.

[12] Article « Simone Veil », Wikipedia, fr.

[13] http://www.september28.org/

[14] http://www.september28.org/wp-content/uploads/downloads/2014/09/Sept-28-updated-manifesto-FINAL_fr.pdf

[15] http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/anti-seksisme_gebruiksaanwijzing.jsp

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