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L'écriture inclusive : un pas de plus vers l'égalité?

 

L’écriture inclusive est une manière de renverser la règle grammaticale fondamentale que nous avons tou.te.s apprise à l’école : « Le masculin l’emporte sur le féminin ». Parmi les sources d’inégalité entre hommes et femmes, la langue française joue un rôle en renforçant la hiérarchie entre les deux catégories de sexe, masculin et féminin, façonnant la pensée et les représentations sociales autant qu’elle les traduit. En proposant un regard supplémentaire sur la question, à la fois historique et ancré dans le présent, notre objectif est moins de convaincre d’adopter cette écriture que de de rappeler qu’elle est, comme la langue en général, un terrain de lutte.

 

« Ecriture inclusive, écriture totale » – lundimatin #126 -11/12/2017                     

 

« La féminisation initiale est celle de la langue, car le féminin non distinctement établi sera toujours absorbé par le masculin »[1]

Jour après jour nous combattons les violences faites aux femmes, quelle que soit leur nature : psychologique, physique, sexuelle, économique, verbale… Il en est de plus ou moins subtiles, plus ou moins identifiables, plus ou moins socialement acceptées.  Aujourd’hui, nous sommes donc satisfait·e·s de constater que le mouvement #MeToo, a aidé à dépasser une certaine propension à la banalisation de ces violences, ou du moins à ramener plusieurs questions importantes sur le devant de la scène : harcèlement de rue, harcèlement sexuel au travail, objectification du corps féminin, etc.

#MeToo s’est répandu massivement et dans le monde entier dans le sillage de nombreuses autres initiatives féministes moins médiatisées, dont l’enjeu nourrit néanmoins des débats importants pour le féminisme. L’introduction de l’écriture inclusive[2], dans les manuels scolaires et au-delà, est de celles-là.

 

Inférioriser le genre féminin dans la grammaire constitue une violence symbolique

« Les questions de langue ne sont donc pas des amusettes pour esthètes désœuvrés ou pour aimables scrabbleurs : elles peuvent traduire de violents rapports de force (une violence dont les victimes ne sont pas conscientes, le langage dans lequel elle advient étant réputé celui de tous). »[3]

Au 17ème siècle, les grammairiens de la langue française ont imposé la supériorité du genre masculin, le qualifiant de genre noble, le mieux à même de représenter l’universel. Cette inégalité instaurée entre les genres masculins et féminins dans la langue française a la dent dure, 4 siècles plus tard, et résiste à la critique et à l’évolution.

En effet, à la rentrée 2017, a été publié chez nos voisin·e·s français un manuel[4] usant notamment du décrié point médian (comme dans le mot chef.fe, par exemple). Alors même qu’en 2016, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) approuvait déjà sa mise en application dans son « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe »[5], la publication de ce manuel, relayée massivement par les médias, a engendré une vive réaction au sein de la population française[6].

La langue française, comme beaucoup d’autres, s’est construite en distinguant deux genres, le masculin et le féminin. Au-delà de cette matérialisation linguistique de la différence de sexe, une hiérarchisation masculin/féminin s’est imposée dans les règles d’application, reflétant et légitimant la hiérarchie sociale en faveur du masculin. Le genre neutre, qui existe dans d’autres langues, n’existe pas en français. Le masculin y représente donc le neutre, mais aussi l’universel, contribuant à biaiser les représentations du réel par des mécanismes d’invisibilisation du genre féminin.

Ce sujet de débat actuel divise. Il clive les opinions, en miroir de la réalité qu’il aborde. Car l’invisibilisation des femmes dans notre manière de communiquer doit être considérée comme une autre violence à leur égard, symbolique cette fois. Tout simplement parce que la structure de notre langage à la fois reflète et influence nos représentations du monde, et par extension l’ordre social.

 

Restaurer une langue écrite qui ne soit plus discriminante pour le genre féminin

L’écriture inclusive est une méthode parmi d’autres mise à notre portée pour restaurer l’égalité entre les genres féminin et masculin en français.

L’utilisation de l’écriture inclusive a pour première vocation de respecter une meilleure représentation des hommes et des femmes dans les textes. Or, dans un contexte sociétal où subsistent de nombreuses inégalités entre les sexes (inégalité des salaires, charge mentale, poids de la contraception, double standard, violences conjugales, violences sexuelles, harcèlement, taxe rose[7]…) sans pour autant qu’elles soient reconnues par tou.te.s, rien d’étonnant à ce que l’écriture inclusive rencontre de nombreux·euses détracteurs·trices. Malgré tout, ce rejet massif d’une féminisation du français interpelle. La défense de la tradition, fut-elle le support d’inégalités contestables, parait plus forte que tout.

« Le masculin l’emporte sur le féminin » : voilà l’une des nombreuses règles grammaticales avec lesquelles nos professeur·e·s de français nous ont rabâché les oreilles lors de notre prime enfance. Autrement dit, un adjectif qualifiant plusieurs noms de genre différent s’accordera obligatoirement au masculin. Tout comme pour la majorité des autres règles, peu d’entre-nous pensent à remettre en question sa pertinence.

Au contraire, à force de la répéter, nous en avons fait un automatisme puissant, au-delà du non-sens que son application pouvait générer dans des contextes particuliers. D’ailleurs, qui n’a jamais ressenti une curieuse dissonance à l’évocation d’un « tous » ou d’un « ils » désignant un public majoritairement féminin ?

Dans notre quotidien, des exemples de ce type abondent immanquablement. Si nous lisons en Une d’un journal « Les chefs politiques se sont réunis vendredi afin de discuter de la sécurité intérieure », n’imaginons-nous pas des hommes en costume-cravate assis autour d’une table ? Au passage, cet exemple illustre bien le fait que cette règle participe à nourrir de nombreux stéréotypes, discréditant l’argument d’un masculin fondamentalement neutre. En revanche, écrire « Les chef·fe·s politiques se sont réuni·e·s vendredi afin de discuter de la sécurité intérieure » permet non seulement de saisir instantanément que la réunion accueillait à la fois des hommes ET des femmes mais aussi, et c’est essentiel, de donner à cette fonction de chef.fe une dimension…inclusive. 

La formulation de cette règle pose en outre un problème de réception. Comme l’exprime Titiou Lecoq[8], les enfants ne comprennent pas nécessairement la nuance entre la règle grammaticale, d’une part, et la hiérarchie sociale dans laquelle nous nous inscrivons toutes et tous, d’autre part. Autrement dit, dans un monde où beaucoup d’autres indices permettent de déduire la domination du genre masculin sur le féminin (force physique réelle ou imaginaire, postes à haute responsabilité, divergence de salaire, crimes d’honneur, temps de présence dans l’audio-visuel, etc.), il est malvenu (et hélas significatif !) de faire parvenir à leurs jeunes oreilles une affirmation aussi connotée.

C’est en tout cas ce qu’ont pensé les 314 membres du corps enseignant français qui ont signé en novembre 2017une tribune[9] intitulée « Nous n’enseignerons plus que ‘Le masculin l’emporte sur le féminin’ ».  Ces professeur·e·s, en s’opposant à une règle grammaticale dont ils.elles rappellent au passage l’origine politique, désirent lutter contre la propagation de représentations mentales discriminantes puisqu’elles portent « la nécessaire subordination du féminin au masculin »[10].

 

Langue française et rapports hommes-femmes : toute une histoire !

Pour comprendre comment une telle règle de grammaire s’inscrit depuis sa création dans des rapports de force entre les sexes, il est donc nécessaire d’effectuer un bond dans le temps, jusqu’à la Renaissance. 

A cette époque, il n’existait pas encore de guide permettant d’uniformiser la langue française, ainsi que son usage. Les dialectes étaient légion, chacun présentant sa propre logique comme son propre vocabulaire. Ainsi, de célèbres auteurs français tels que Montaigne ou Rabelais usaient de leur propre orthographe, de leur propre grammaire et de leur propre syntaxe[11].

C’est suite à l’invention de l’imprimerie et au succès de la littérature[12] que le clergé et la classe savante réalisent que l’orthographe peut être utilisée comme levier de pouvoir si elle permet de distinguer les membres de la haute société du reste de la population. Le Cardinal de Richelieu fonde l’Académie Française en 1634. Elle se verra chargée de rédiger le premier dictionnaire et devra aussi « prendre soin de la langue » sous bien d’autres aspects : grammaire, syntaxe, rhétorique, poésie etc. La composition de l’Académie française reste exclusivement masculine jusqu’en 1981.[13] Dans les cahiers préparatoires de ce tout premier dictionnaire nous pouvons lire : « L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes »[14].

L’Académie va ainsi délibérément complexifier l’orthographe (intégrer des doubles consonnes, par exemple) et arbitrairement sélectionner des consonnes étymologiques latines et grecques (ph et th) en évacuant des formes germaniques, italiennes et arabes afin de donner l’illusion que le français descend uniquement de ces deux langues mortes, considérées plus « nobles » que les autres (le latin et le grec, donc). L’ensemble de ces démarches visant à normaliser et perfectionner la langue, du moins en apparence. 

L’Histoire de la langue, si chère à nos élites intellectuelles, ne correspond donc pas, comme elles aimeraient tant qu’on le croie, au reflet de « l’Histoire de la Nation »[15]. C’est-à-dire que l’évolution du langage ne s’est pas effectuée spontanément, dans un mouvement ascendant prenant comme point de départ les us et coutumes du peuple pour se propager jusqu’à ses dirigeants. Au contraire, ces quelques dirigeants, porteurs d’une idéologie élitiste discriminante, ont choisi de ne pas tenir compte des habitudes du peuple mais de lui imposer leurs conventions arbitraires. Et ce avec d’autant plus d’efficacité que l’école élémentaire deviendra obligatoire, en 1793 pour la France et en 1842 pour la Belgique.

Nous constatons effectivement, en remontant aux fondements de la structuration du français moderne par une poignée d’hommes lettrés, que son histoire correspond à une volonté politique d’écrasement des langues régionales pour renforcer un pouvoir politique centralisé, aux mains des classes dominantes (noblesse, clergé). Un modèle qui servit de tremplin aux académiciens pour asseoir davantage leur domination (et la domination des hommes en général) sur la gent féminine.

 

La codification de la langue française aux mains d’une élite masculine.

A ce stade en effet, nous pouvons effectuer un parallèle entre la volonté de réformer la langue française par et pour la noblesse, et l’intention latente de désavantager certaines minorités sociales, en particulier les femmes.  L’Académie, dès sa création, a ainsi démontré de grandes capacités en mépris de classe, dont les relents se ressentent encore de nos jours, mais aussi en mépris de leurs congénères féminines.

Car auparavant, celles qu’ils nommaient « les simples femmes » occupaient une place plus importante dans le discours populaire. Et les usages en vigueur ne proposaient pas du tout la prédominance du genre masculin.

D’une part, l’accord de proximité prévalait à l’écrit. Ce dernier stipulait que « l’adjectif qualificatif s’accorde avec le mot le plus proche auquel il se rapporte ».  Par conséquent, on accordait au féminin une série de termes de genres différents si cette liste se finissait par un nom féminin (par exemple : « Le chapeau, le parapluie et la veste sont bleues »). Il se peut que de telles formulations sonnent étrangement à notre oreille moderne, tant nos habitudes langagières sont ancrées, mais elles semblaient bien plus logiques et simples à appliquer pour la population du 17ième siècle.

D’autre part, les doubles féminins des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades étaient employés quotidiennement dans les échanges : artisane, savante, feronne, abbesse, régente, surintendante, archière, tavernière, inventrice, procureuse…[16] Le Manuel d’histoire d’Hatier, que nous évoquions dans l’introduction de ce texte, a d’ailleurs fait le pari de réintroduire ces mots de vocabulaire oubliés. 

Cependant, les académiciens, dans leur volonté de « purifier la langue » ont pris plusieurs décisions, dont la suppression de l’accord de proximité (le remplaçant par l’accord au masculin actuel) ainsi que l’abolition des formes féminines des métiers dits « nobles » (autrice, philosophesse, peintresse, mairesse, générale…), pourtant totalement admises jusque-là.

L’effacement du féminin prend donc racine de façon arbitraire dans les infléchissements de la langue française adoptés par l’Académie de 1635 à 1694 (date de sortie du premier « Dictionnaire de l’Académie Française »). Plusieurs déclarations d’hommes influents apparaissent comme autant de justificatifs allant dans ce sens :

  • «Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif.»[17] 
  • « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte »[18]
  • « Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». [19]

Les changements ne seront adoptés dans un premier temps que par les élites sociales. Il faudra attendre près de 150 ans et le cœur du XIXème siècle pour que la bourgeoisie investisse réellement les propositions de l’Académie et offre à l’orthographe française l’aura et l’importance qu’on lui connaît aujourd’hui. Il en est de même pour les diverses règles à caractère sexiste, qui s’implantèrent réellement à la même période. L’école, comme nous l’évoquions précédemment, faisant office de socle solide pour l’objectif d’harmonisation de la langue.

 

Ecriture inclusive et réforme orthographique : même combat ?

Comme le démontre brillamment le spectacle humoristique « La Convivialité »[20], créé et mis en scène par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron en déconstruisant les idées reçues à propos de l’orthographe et de ses origines, toute approche critique de la langue passe par une mise en perspective historique et une déconstruction des enjeux de domination qui la traverse. C’est autant le cas pour l’orthographe que pour les questions qui nous préoccupent autour de la place des femmes et du féminin dans notre langage.

C’est pourquoi il nous semble opportun de procéder ici à une rapide mise en parallèle de deux phénomènes à la fois distincts et complémentaires : l’écriture inclusive et la réforme orthographique.

Car, en réalité, les francophones rechignent tout autant à féminiser leur langue qu’à accepter la réforme orthographique du 6 décembre 1990[21]. Cette dernière, qui prévoyait globalement de simplifier l’usage du français à l’écrit (en supprimant, notamment, accents circonflexes et traits d’union, ou encore en acceptant plusieurs orthographes pour un même mot), aura pourtant provoqué de vifs émois, en particulier en France.

Le débat autour de la réforme de 1990 a été ranimé en 2016[22] alors que le ministère de l’Education nationale annonçait la concrétisation prochaine des modifications orthographiques, volonté appuyée par plusieurs éditeurs du milieu scolaire[23].

Or, la première caractéristique de cette réforme est qu’elle ouvre les possibles sans figer les usages : chacun et chacune est libre d’appliquer l’orthographe qu’il.elle choisit. Les 2400 mots pour lesquels une alternative orthographique a été reconnue varient de ce fait sans qu’aucune forme ne puisse être pointée comme erreur (par exemple, « Week-end » ou « Weekend », « Nénuphar » ou « Nénufar », « Maîtresse » ou « Maitresse » sont autant d’orthographes valides).

Pour beaucoup[24], les modifications proposées semblent malgré tout vécues comme autant d’attaques du patrimoine culturel et historique du pays, ou encore comme un signe de nivellement par le bas de l’enseignement.  

Ce qui vaut la peine d’être souligné, c’est que plusieurs des arguments invoqués contre la réforme orthographique se retrouvent dans le discours décrédibilisant l’écriture inclusive : appauvrissement de la langue, troubles de l’apprentissage à prévoir, perte culturelle et historique, lourdeur langagière, inesthétisme …

L’Académie Française, quant à elle, a défendu l’orthographe d’usage au motif que celle-ci a l’avantage de ne pas porter atteinte au « génie de la langue »[25].

Toutefois, en ce qui concerne l’écriture inclusive, la grandeur de la langue française n’est sans doute pas le seul bastion que les conservateur·rice·s tiennent à défendre. Nous pensons, comme le journaliste Geoffrey Roger[26], qu’il s’agit  davantage de maintenir un statu quo octroyant une place prépondérante aux hommes de pouvoir dans notre civilisation. L’écriture non sexiste représenterait ainsi une menace pour l’ordre établi par et pour les classes dirigeantes –et largement masculines- depuis des décennies[27].

 

Pour conclure : sortir du carcan élitiste 

Peut-on continuer à considérer un système d’oppression vieux de quatre siècles comme un référentiel adéquat pour répondre aux réalités contemporaines ? Car le bagage linguistique porté par « les sages » de l’Académie est encore un moyen utilisé de nos jours pour cataloguer ce.lles.ux qui ne maitrisent pas suffisamment ce savoir, ce.lle.ux qui seront peut-être incapables d’obtenir un emploi, une augmentation, un service, une reconnaissance… du fait de leurs lacunes en orthographe française. De même, notamment en considérant le genre masculin comme neutre, ce bagage continue d’être employé pour rendre partiellement invisibles les femmes dans nos interactions verbales, et plus largement dans nos représentations.

Pourtant, notre rapport à la langue a évolué au cours du temps. Son évolution fut lente, mais des modifications effectives sont apparues peu à peu, en fonction d’usages spontanés (c’est-à-dire de l’emploi régulier de certains termes ou expressions, notamment issus des milieux populaires) et d’enrichissements culturels divers provenant d’autres langues (pensons aux nombreux anglicismes intégrés à notre dictionnaire). La langue est vivante, en tant que produit de dynamiques socioculturelles se modifiant sans cesse, elle ne peut qu’être elle-même en constante évolution. Pour reprendre Eliane Viennot dans une interview[28] de Cheek Magazine : « La langue bouge en même temps que la société, quand personne ne l’en empêche ».

Par conséquent, face à une Académie Française conservatrice veillant inlassablement sur « le bon usage » de la langue depuis 1635, tel un Gollum protégeant son précieux anneau dans la célèbre œuvre de Tolkien[29], dans quelle mesure pouvons-nous agir afin de nous libérer de cette forme de déterminisme social ?

Les marges de liberté existent pour modifier les conventions de langage : d’une part, les académicien.ne.s, si leur point de vue reste influent, ne font tout de même pas figure d’autorité légale en ce qui concerne l’usage du français (ni en France, ni a fortiori dans les autres pays francophones) et, d’autre part, comme nous l’avons vu, il est possible d’expérimenter d’autres manières d’utiliser le langage dans notre pratique courante, sans attendre pour cela que les institutions montrent la voie.

Comme l’a souligné à juste titre l’opposition à l’écriture inclusive, son adoption ne suffira pas à changer les mentalités. En effet, les combats doivent se jouer sur différents plans en même temps, dont le langage fait partie. Mais il n’empêche que la langue, puisqu’elle « reflète la société et sa façon de penser le monde »[30], constitue un point d’appui important pour ce.lles.ux qui désirent donner à réfléchir sur nos représentations et les faire évoluer.

Une citation du linguiste liégeois Jean-Marie Klinkenberg nous aidera à conclure en résumant le lien fondamental entre les questions abordées au fil de cette analyse et la justice sociale qui est l’idéal vers lequel nous tendons : « Le combat langagier n’est donc qu’un paragraphe d’un long texte dont on ne voit pas la fin : le grand livre des luttes pour la justice. Un paragraphe modeste. Mais quand on sait le rôle que jouent les représentations lorsqu’il s’agit des rapports sociaux, on se convainc que, modeste, ce paragraphe est indispensable. »[31]

 

Bonus.

L’écriture inclusive : comment ça marche ?

Il n’existe pas de règles unanimement admises vis-à-vis de l’écriture inclusive. Les divers guides mis à disposition du grand public sont par conséquent à considérer comme des repères, des conseils plus ou moins officiels.

Pour résumer la pensée commune des différentes équipes ayant travaillé sur la structure de l’écriture inclusive, nous vous en présentons les principales recommandations.

L’écriture inclusive implique :

1. L’accord au féminin de tous les noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades.

2. L’usage du féminin ET du masculin pour désigner des groupes composés à la fois d’hommes et de femmes. Plusieurs options possibles[32]:

  • Par la double flexion, c’est-à-dire en nommant les deux formes, procédé régulièrement adopté par la sphère politique (« Toutes et tous », « Concitoyens et concitoyennes »…). Pour éviter toute forme de favoritisme, on suivra l’ordre alphabétique. Seul inconvénient : elle allonge le discours.
  • Par des noms, adjectifs et expressions épicènes, c’est-à-dire dont la forme est unisexe (adulte, élève, efficace, sympathique, gourmet, personne, victime, gens, anonyme…).

C’est le cas des mots d’origine grecque avec une terminaison en -crate, -gène, -mane, -naute, -pathe, -phile, -graphe, -iatre, -logue, -nome, et -phobe.

Ensuite, une grande partie des adjectifs se terminant par –ique, -ible, et -able sont également épicènes.

Enfin, vous pouvez utiliser certaines expressions comme « le corps professoral », « les personnalités politiques », « le service du feu », « l'équipe technique »…

  • Contracter les formes féminines et masculines en un seul mot, autrement dit user du point médian ou point milieu selon la formule suivante :

Si vous préférez, l’usage d’un E majuscule ou celui d’un tiret sont également admis comme désinence du féminin (auteurE, mineurEs, ingénieur-E-s, procureur-e). En revanche, la parenthèse est écartée car celle-ci renvoie à une « mise en parenthèse » péjorative du féminin.

3. L’évitement des antonomases (noms communs utilisés comme des noms propres) d’« Homme » et de « Femme » au profit de concepts plus englobants : êtres humains, droits humains, population française,…

4. L’accord des adjectifs et des participes passés selon :

  • L’accord de proximité: accord avec le mot le plus proche (« Les mocassins et les chaussettes sont mal rangées », « Les lumières et le chauffage est éteint »).
  • L’accord de majorité: accord avec le plus grand nombre de personnes, quel que soit leur genre (« Les étudiantes, les professeures et l’éducateur sont bien arrivées », « Dix femmes et deux hommes étaient présentes à la réunion », « Les nombreux chauffeurs et deux policières se sont rendus sur les yeux »).

5. Faire preuve de créativité en équilibrant les termes masculins et féminins pour désigner des êtres humains dans un texte ou un discours.

En réalité, un peu comme dans le cas de la réforme orthographique, les français ont le choix d’adopter ou non ces recommandations dans leur vie de tous les jours, ou bien seulement partiellement.

Se tenir informé·e auprès de sources fiables est à la base d’une bonne compréhension du concept d’écriture inclusive, il est ensuite possible de l’adopter en préservant son esprit critique.

Ainsi, celui ou celle qui n’est pas à l’aise avec l’ensemble de ces propositions peut « faire son marché » en conservant uniquement celles qui lui semblent les plus pertinentes. C’est notamment le cas de beaucoup de journalistes de presse, qui appréhendent très différemment le langage inclusif selon leur sensibilité.

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Pour citer cette analyse :

Floriane Namêche, "L'écriture inclusive : un pas de plus vers l'égalité ?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2018. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/188-l-ecriture-inclusive-un-pas-de-plus-vers-l-egalite

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

 Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Hubertine Auclert, 1899, citée par Baider, Khaznadar et Moreau dans « Les enjeux de la parité linguistique », Nouvelles questions féministes, n°26, pp.4-12 (https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2007-3-page-4.htm)

[2] Vous trouverez au bas de ce document quelques notes de présentation de

[3] Jean-Marie Klinkenberg, « Quelle écriture pour quelle justice ? », carte blanche dans Le 15ème jour du mois, mensuel de l’ULiège, décembre 2017, n°269 (http://le15ejour.uliege.be/jcms/c_53595/fr/quelle-ecriture-pour-quelle-justice)

[4] Sophie Le Callennec et Émilie François « Magellan et Galilée -Questionner le monde- CE2 » Editions Hatier Enseignants (2017).

[5] «  Pour une communication publique sans stéréotype de sexe » - Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes – La Documentation Française - 2016 (http://bit.ly/2fejwZ7).

[6] Lire par exemple : https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/apprendre-l-ecriture-inclusive-a-l-ecole-aux-enseignants-d-etre-vigilants/89391

[7] Différence de prix injustifiée entre des services et produits commerciaux étiquetés pour femmes et étiquetés pour hommes.

[8] Titiou Lecoq, « Si seulement mes enfants pouvaient ne pas apprendre le masculin l’emporte toujours sur le féminin » -– 29.09.2017 (http://www.slate.fr/story/151880/masculin-emporte-toujours-feminin).

[9] «Nous n'enseignerons plus que "le masculin l'emporte sur le féminin"» - Slate.fr – 07.11.2017 (https://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs-professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin).

[10] Ibid.

[11] « La langue de Rabelais et la langue de Montaigne », Actes du colloque de Rome (septembre 2003), éd. Franco Giacone, Genève, Droz (« Études rabelaisiennes » 48), 2009, 608p. ISBN 978-2-600-01239-3.

[12] Coline Barthélemi & Christiana Charalampopoulou, « Retour d’atelier : l’écriture inclusive dans le monde scientifique » -22.06.2018 – Transitions (https://transitions.hypotheses.org/234).

[13] ibid.

[14] « Dictionnaire de l’Académie », Eudes de Mézeray, 1660.

[15] « En défense de l’écriture inclusive » - Mimosa Effe – NPA National – 12.10.2017 (https://npa2009.org/idees/culture/en-defense-de-lecriture-inclusive).

[16] D’après les recherches d’Eliane Viennot, citées dans « Retour d’atelier : l’écriture inclusive dans le monde scientifique », op.cit.

[17] Dupleix, Liberté de la langue françoise, 1651.

[18] L’abbé Bouhours en 1675 cité dans l’article du journal Le Monde, « Genre, le désaccord », Anne Chemin - 28.03.2017 (https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/01/14/genre-le-desaccord_1629145_3246.html).

[19] Beauzée, Grammaire Générale, 1767.

[20] https://www.laconvivialite.com/

[21] http://www.vjf.cnrs.fr/orthographe/PDF/JODA.pdf

[22] « Réforme orthographique, circonflexe : reprenons tout depuis le début » ; Yann ; 21/02/2018 (https://www.superprof.be/blog/pour-tout-savoir-sur-la-reforme-orthographique/).

[23] « Réforme de l'orthographe : ce qui change vraiment » - Juliette Deborde – Libération – 04.02.2016.

[24] On pense aux réactions médiatiques de l’essayiste et animateur Raphaël Enthoven à celle d’Adrien Louis, professeur à l’université Paris-Est (« Ecriture inclusive et moralisme » disponible sur https://www.cairn.info/revue-commentaire-2018-2-page-469.htm?contenu=resume) ou encore aux propos de Michael Edwards, membre de l’Académie Française (https://philitt.fr/2017/12/06/michael-edwards-la-langue-inclusive-est-un-begaiement-cerebral-1-2/).

[25] « Déclaration de l’Académie française sur la réforme de l’orthographe» - Académie Française.fr – 11.02.2016 (http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-la-reforme-de-lorthographe).

[26] « Débat : L’écriture inclusive, un « péril mortel », vraiment ?» - Geoffrey Roger – The Conversation - 07.11.2017 (https://theconversation.com/debat-lecriture-inclusive-un-peril-mortel-vraiment-86522).

[27] Signalons par exemple que l’Académie elle-même n’a admis qu’en 1980, avec l’écrivaine Marguerite Yourcenar, une première femme dans ses rangs. Et que, depuis lors, seulement 8 autres lettrées furent élues académiciennes, malgré de très nombreuses candidatures.

[28] « 5 arguments contre l’écriture inclusive démontés par l’historienne féministe Eliane Viennot » - Cheek Magazine – 12.01.2018 (http://cheekmagazine.fr/societe/eliane-viennot-demonte-arguments-contre-ecriture-inclusive/)

[29] « Le Seigneur des Anneaux » - J. R. R. Tolkien – 1954-1955

[30] «  Pour une communication publique sans stéréotype de sexe » - Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes – La Documentation Française – 2016 (http://bit.ly/2fejwZ7)

[31] « Quelle écriture pour quelle justice ? » Jean-Marie Klinkenberg, op.cit.

[32] « Écriture inclusive : pourquoi et comment s'y mettre » - Margot & Dinon – Roseaux – 25.10.2017 (http://roseaux.co/2017/10/ecriture-inclusive-pourquoi-comment/)

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