Employabilité : Les travailleuse.eur.s comme marchandises
Qu’est-ce qu’être employable, notamment pour une femme confrontée à la précarité ? Cela consiste-t-il à se modeler sur les besoins du patronat ou cela-t-il peut laisser une place aux désirs d’épanouissement personnel ?
Cet article a l’ambition de faire le point sur cette question qui se pose de manière souvent urgente pour les femmes accompagnées par le CVFE.
Les femmes qui s’adressent au CVFE, dans le contexte de la lutte contre la violence conjugale ou dans celui de la formation, sont généralement victimes de précarité et désireuses de trouver un emploi. Mais, qu’elles aient quitté le domicile conjugal ou qu’elles fassent partie de ce qu’on appelle les « femmes rentrantes »[1], la question qu’elles se posent et que le CVFE désire les aider à se poser est : de quels atouts est-ce que je dispose pour entamer ma recherche d’emploi ? Dans ce contexte, la notion d’« employabilité » est souvent évoquée de nos jours pour caractériser les conditions d’accès des travailleuses/-eurs au marché de l’emploi. Mais sait-on vraiment ce que ce mot recouvre ?
Il existe plusieurs manières d’envisager cette notion, suivant qu’on se place du point de vue des employeurs ou de celui des travailleuses/-eurs. Nous allons d’abord replacer le concept d’employabilité dans le contexte économique actuel, notamment en référence aux choix mis en avant par les pays de l’Union européenne dans le cadre du Traité de Lisbonne. Nous nous pencherons ensuite sur la manière dont le terme s’inscrit dans une sensibilité du temps qu’on a appelée le « nouvel esprit du capitalisme ». Enfin, nous étudierons les principales définitions qui ont été données de la notion d’employabilité, en nous demandant dans quelle mesure elles accordent une place à l’autonomie de choix professionnels des individus, non sans avoir souligné l’absence de vision de genre dans les différentes approches étudiées.
1. L’Union européenne a choisi l’inflation contre le chômage
Adopté par les 27 pays membres de l’Union européenne le 13 décembre 2007, Le Traité de Lisbonne, modifiant le fonctionnement des institutions européennes, est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Parmi ses décisions, la définition de la BCE (Banque centrale européenne) comme une institution à part entière, au même titre que la Commission et le Parlement, mais par ailleurs tout à fait indépendante du pouvoir politique. Sa mission principale : faire en sorte que l’inflation (augmentation des prix) ne dépasse pas la limite de 2% annuels.
Malgré son caractère apparemment technique, cette décision a un impact fondamental en matière économique, ainsi que sur le plan du fonctionnement global de la société. En effet, depuis les travaux de l’économiste néo-zélandais William Phillips, on observe qu’il existe une relation inverse entre inflation et chômage.
« A l'origine, c'est le résultat d'une analyse historique sur l'Angleterre entre 1867 et 1957 menée par Phillips en 1958 qui montrait une relation négative entre la hausse des salaires et le chômage. Elle est ensuite (Lipsey, 1960) devenue une relation entre inflation et chômage avec le dilemme selon lequel les gouvernements devraient choisir un peu plus d'inflation pour faire baisser le chômage et, inversement, accepter davantage de chômage afin de venir à bout de l'inflation »[2].
En d’autres termes, la relation de Phillips met en évidence que « plus le chômage est faible, plus le marché du travail est tendu ; la difficulté de trouver de la main-d’œuvre engendre une concurrence entre les entreprises, ce dont profitent les travailleurs pour obtenir des hausses de salaires »[3]. Par contre, plus le chômage augmente moins la situation se prête à des augmentations de salaire.
Dès lors, entre lutter contre le chômage ou juguler l’inflation, l’Union européenne a donc choisi indirectement la deuxième solution, en assignant sa mission de base à la BCE. Cela veut dire que l’Union européenne a fait le choix d’une politique économique de contrôle des prix tout en sachant qu’elle s’accompagnerait d’un chômage important.
- Moins d’inflation protège les mieux nantis
Ce choix a été justifié par un souci de justice sociale (modérer l’augmentation du coût de la vie au profit des moins nantis), mais ce n’est finalement qu’un prétexte : en jugulant l’inflation, on limite la dépréciation des capitaux placés[4], ce qui est tout bénéfice pour les rentiers et les fonds d’investissement. Mais, comme on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, cette main secourable vis-à-vis des riches se traduira parallèlement par une détérioration des conditions de vie des personnes les plus fragiles sur le plan social.
Des économistes avisés ont calculé un indice utile pour les gouvernants : le NAIRU (Non Accelerating Inflation rate of unemployment), soit taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation : pour que l’inflation ne s’emballe pas, il convient que les politiques économiques s’arrangent de sorte que le taux de chômage ne dépasse pas ce NAIRU.
« En fait, dès que le taux de chômage descend sous le NAIRU, l’inflation s’accélère ; pour la stabiliser, il faut accepter un chômage plus élevé (TCEPA) ; pour la faire baisser, il faut un chômage réel au-dessus du NAIRU. Les gouvernements ont donc intérêt à prendre les mesures nécessaires pour ‘flexibiliser’ le marché du travail afin que le NAIRU soit bas. Selon le Bureau du Plan, le NAIRU se situerait actuellement autour des 13% ! Or, le taux de chômage réel est à 8,4%, soit en-dessous du NAIRU, en particulier en Flandre. Cela amène les critiques de la politique néo-libérale à penser que le but des mesures prises (activation des chômeurs âgés, augmentation du taux de participation, …) est d’augmenter le taux de chômage réel afin de l’amener plus près du NAIRU de façon à éviter les tensions salariales. Complot ? De même, en France, certains intellectuels n’hésitent pas à affirmer que le MEDEF (patronat français) est favorable à l’immigration de masse que nous connaissons, car elle contribue à maintenir un chômage élevé proche ou au-delà du NAIRU, tout bénéfice pour le entreprises »[5].
- Le chômage n’est pas une fatalité
Que déduire de ces différentes informations ? Tout d’abord, contrairement à ce qu’ils prétendent, les gouvernements européens, avec le soutien de la BCE, ne luttent pas réellement contre le chômage de masse dont la diminution entraînerait une augmentation de l’inflation, défavorable aux mieux nantis et au capital. D’autre part, ce qu’on appelle un « volant de chômage » n’est en rien une fatalité, mais le résultat d’une politique économique favorable au capital et qui reflète le choix d’une société prête à sacrifier la qualité de vie de sa composante la moins bien lotie.
L’existence d’un chômage important, traduisant le fait qu’il n’y a structurellement pas d’emploi pour tout le monde, entraîne un certain nombre de conséquences négatives :
- D’une part, ce que les économistes appellent pudiquement une « tension sur les salaires », c’est-à-dire que les travailleurs en place ont tendance à se contenter de ce qu’ils ont et ne réclament pas d’augmentations salariales, alors que les demandeurs d’emploi sont prêts à travailler au rabais[6].
- D’autre part, cette situation entraîne la mise en place d’une « culture de l’insécurité de l’emploi sur les marchés»[7] : la sécurité d’emploi est remplacée par les notions d’insécurité, de risque et de mobilité interne et externe à l’entreprise.
Dans un contexte où tout le monde ne peut pas avoir un emploi, une question se pose inévitablement : de quels atouts une travailleuse/un travailleur doit-elle/il disposer pour trouver un travail ? Cette question, c’est celle de l’employabilité, c’est-à-dire de savoir quelles sont les caractéristiques d’une personne « employable » et d’une autre qui ne l’est pas, ou pour le dire à la manière des agences d’emploi : comment distinguer les personnes proches de l’emploi de celles qui en sont éloignées. Avec en corollaire, la question suivante : est-il possible de mesurer l’employabilité d’une personne ?
Le contexte d’insécurité et de mobilité de l’emploi évoqué plus haut aura évidemment un impact sur la notion d’employabilité, à la fois chez les employeurs et chez les travailleurs. Du côté managérial se développe l’idée que l’employé doit se préparer à devenir mobile et à se conduire comme « employeur de soi-même », alors que, dans le chef des travailleurs, le principal affect sur le plan professionnel devient la peur de perdre son emploi et de ne pas en trouver un autre.
2. Employabilité et nouvel esprit du capitalisme
Le fait de renvoyer l’employabilité d’un individu à sa propre responsabilité n’a évidemment rien d’anodin, à une époque de crise économique et de chômage de masse. Dans le même esprit que celui de l’activation du chômage et des chômeurs, l’individu est rendu seul responsable de sa situation. Les contraintes extérieures, telles que la conjoncture économique, l’état du marché de l’emploi, ou des caractéristiques personnelles (le type de formation initiale, d’expérience professionnelle ou encore l’âge) ne sont prises en considération.
L’ouvrage de Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, fournit une analyse pénétrante de l’évolution récente des idées qui a conduit à un nouveau type de paradigme, de mentalité ou encore d’ethos, dans le contexte capitaliste, fondé sur la survalorisation de la responsabilité et de l’initiative individuelle[8].
Dès son titre, le livre de Boltanski et Chiapello s’inscrit dans une tradition prestigieuse des sciences sociales en se référant à l’ouvrage fondamental du sociologue allemand Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, œuvre marquante autant par la force de ses analyses que par la solidité de sa méthodologie[9].
Weber trouvait l’origine de l’« esprit » du capitalisme (ce qui est différent de l’origine historique du capitalisme) dans la réforme calviniste, combinaison de prédestination (il y aura des élus et d’autres qui ne le seront pas), de légitimation du travail acharné pour créer de la richesse, mais aussi d’ascétisme (ne pas jouir de ses richesses implique de les réinvestir pour s’enrichir davantage).
Pratiquant une sociologie pragmatique, orientée vers l’analyse des débats ou des « disputes » entre groupes sociaux, Boltanski et Chiapello ont cherché à définir un « nouvel esprit du capitalisme » en étudiant un ensemble d’ouvrages de management des années 70 et 80.
Selon eux, ce nouvel esprit met en avant l’activité individuelle, concrétisée par un fonctionnement par projets et la connexion avec un réseau : ces deux éléments fondent une nouvelle forme d’employabilité où chacun devient « entrepreneur de soi-même ».
« Il s’agit d’être ‘actif’, d’être ‘dans le coup’ d’une façon bien différente de ce qui prévalait dans l’esprit capitaliste ascétique et acharné au travail analysé par Weber. L’autonomie, la mobilité, la flexibilité, l’adaptabilité, la capacité à ne compter que sur soi-même sont les qualités qui font d’un individu un ‘grand’ dans la cité par projet. Au contraire, le ‘petit’ est attaché à un lieu et à une routine, peu capable d’autonomie et peu investi personnellement dans son travail. Désormais, le travailleur gagne son employabilité en se rendant perpétuellement disponible pour de nouvelles opportunités qu’on appelle des projets »[10].
Dans ce contexte, que signifie l’incapacité à maîtriser un réseau de contacts et de communication ?
« Celui qui, n’ayant pas de projet, n’explore plus les réseaux, est menacé d’exclusion, c’est-à-dire un effet de mort dans un univers réticulaire. Il risque de ne plus trouver à s’insérer dans des projets et de ne plus exister. Le développement de soi-même et de son employabilité (…), qui est le projet à long terme qui sous-tend tous les autres, ne sera plus mené à bien »[11].
- Entrepreneur de soi-même
Cette conception sonne le glas du salariat, en tant que dispensateur d’emplois stables et correctement rétribués. Quel peut-être l’état d’esprit d’un employé qui doit se rendre à tout moment disponible pour un nouveau projet, éventuellement découvert par l’intermédiaire d’un réseau, qu’il soit concret ou numérique ? Sur les couvertures des magazines branchés, certains seront peut-être comblés par la perspective de passer d’un projet à un autre, tous parfaitement adaptés à leur envie d’avancer dans la vie. Dans la vie réelle, les mêmes seront peut-être effrayés par l’incertitude de leur situation, inquiets par rapport à un avenir d’autant plus douteux qu’il ne reposera que sur des contacts personnels.
Toujours est-il que certain-e-s économistes orthodoxes n’hésitent pas à proclamer, dans des enceintes de haut niveau[12], que la mise sous pression des salarié-e-s est favorable à leur employabilité :
« Au cours de cette dernière[13], Valérie Leyldé (vice-présidente ressources humaines chez Meyrieux Nutrisciences), explique l'importance de "ne pas laisser les salariés dans une situation de confort". Une responsabilité de l'employeur, assure-t-elle, pour "favoriser l'employabilité des salariés" en les maintenant dans un processus d'apprentissage exigeant. Garder les travailleurs sur le qui-vive, c'est les tenir prêts pour une future recherche d'emploi. A ceux que l'idée pourrait heurter, elle répète à l'envi : "Ce n'est pas un tabou !" et se félicite de contribuer ainsi à la lutte contre le chômage »[14].
Le stade ultime de cette tendance semble atteint avec la vogue de l’auto-entrepreneuriat, dans lequel l’individu devient au sens propre « entrepreneur de lui-même ». Entré en vigueur en France le 1er janvier 2009, le statut d’autoentrepreneur avait séduit plus d’un million de travailleurs en 2016. Dans un article très documenté du Monde diplomatique, Jean-Philippe Martin démontre que, si ce statut intéresse les employeurs décidés à faire travailler de faux indépendants en lieu et place de salariés, il est peu intéressant pour ceux qui le pratiquent. En effet, l’INSEE a calculé que les micro-entrepreneurs avaient gagné en moyenne 410€/mois en 2013, soit moins que le RSA (revenu de solidarité active) et largement sous le seuil de pauvreté (846€)[15].
Quel est le grand gagnant dans le contexte de ce nouveau visage du capitalisme ? Le patronat, évidemment ! Déresponsabilisé, réduit à un rôle de pacha inactif, il sera toujours assuré de récolter les bénéfices au sein de son entreprise, d’autant plus si les employés font assaut les uns envers les autres d’un esprit concurrentiel fondé sur leur capacité à être « entrepreneurs d’eux-mêmes ».
Comme quoi, entre l’accomplissement de soi-même et l’auto-exploitation de sa force de travail au profit exclusif de l’entreprise, il peut n’y avoir qu’une légère nuance sémantique dissimulant un abîme inégalitaire.
3. Employabilité : de l’insertion socio-professionnelle à la responsabilisation individuelle
Définie au départ comme « la capacité d’un individu à être employé », la notion d’employabilité garde aujourd’hui son actualité dans un contexte caractérisé par quatre tendances principales :
« (1) la turbulence des marchés et l’environnement incertain qui conduit à de multiples restructurations, fusions des entreprises depuis une vingtaine d’années.
(2) les transformations actuelles des catégories d’emplois vers plus de précarité et de flexibilité (quantitative et qualitative).
(3) l’externalisation des marchés du travail : les parcours professionnels s’effectuent désormais ‘dans’ et ‘hors’ organisation. Un glissement s’opère donc de la notion de mobilité interne à employabilité.
(4) la croissance du chômage long terme et des personnes considérées en ‘sous-emploi’ »[16].
On le voit, dans le contexte de cette « culture de l’insécurité de l’emploi », la portée de la notion a tendance à s’élargir étant donné la tendance à la précarisation de l’emploi, y compris au sein des entreprises où l’idée de mobilité interne cède le pas à celle d’employabilité.
De l’employabilité dichotomique à l’employabilité interactive
Cela n’a pas toujours été le cas. Au départ, la notion s’apparentait davantage à un travail d’insertion socio-professionnelle
« Historiquement, l’employabilité est utilisée pour ‘classer’ les individus sur le marché du travail. Ainsi, selon la typologie définie par B. Gazier en 1999, que l’on s’inscrive dans une perspective d’employabilité dichotomique (politiques des années 30), ou d’employabilité de flux / médico-social (Années 50), l’idée est de pouvoir ‘caractériser’ les personnes les moins employables sur le marché, d’en identifier les raisons (médicales, sociales, économiques…) et de mettre en place des actions d’accompagnement de cette ‘non-employabilité’ via des politiques publiques actives (création de centre d’aides par le travail, développement de la formation etc.) ou passives (indemnisation des personnes handicapées par exemple) »[17].
Aux Etats-Unis, jusqu’à 1940, la notion servait donc à distinguer les personnes aptes à occuper un emploi et celles qui relevaient plutôt de l’aide sociale. C’est cela qu’on appelait employabilité dichotomique[18].
Depuis, la notion a évolué, mais il subsiste des différences entre les conceptions anglo-saxonnes et continentales, notamment autour de la vision individualisée de l’employabilité :
« Les développements les plus récents abordent l’employabilité comme la capacité individuelle à retirer un revenu sur le marché du travail, c’est l’employabilité performance attendue (Gazier, 1999). Elle s’inscrit dans une perspective dynamique des marchés et non plus statique comme précédemment. On y retrouve les écrits anglo-saxons les plus récents de l’employabilité sous l’angle des caractéristiques individuelles telles que les attributs de la personnalité, les prédispositions et/ou le réseau social (Fugate et ali, 2003, 2004, 2008). Dans cette approche de l’employabilité initiative, la responsabilité est uniquement appréhendée comme une capacité individuelle à ‘vendre’ son travail.
Cette vision s’oppose à l’approche développée par les économistes du travail en France et en Europe, pour lesquels les caractéristiques du marché du travail et le poids des différents acteurs (Etat, Organisations etc.) doivent être pris en compte. L’employabilité est alors étudiée dans une vision interactive (Gazier, 2005), comme ‘la capacité relative que possède un individu d’obtenir un emploi satisfaisant compte tenu de l’interaction entre ses caractéristiques personnelles et le marché du travail’ (Définition du Canadian Labor Force Development Board, Gazier, 1999) »[19].
- Marchandisation et précarisation
En somme, l’employabilité initiative désigne la faculté d’un travailleur ou demandeur d’emploi à s’adapter aux besoins des entreprises. Le travailleur est une marchandise qui est censé adapter son « offre » personnelle à la « demande » du marché de l’emploi. C’est une vision « individualisée » de l’accès au marché de l’emploi dans laquelle la responsabilité d’être employable incombe au travailleur.
Dans cette optique, les desiderata éventuels du travailleur, ses motivations et conceptions personnelles n’ont aucune importance. L’entreprise fait son marché, choisit l’élément qui correspond à ses besoins dans un ensemble de candidats. L’idée est qu’il est préférable d’« avoir un mauvais emploi que pas d’emploi du tout ».
Cette conception induit toujours l’existence d’un marché de l’emploi dual, qui distingue les travailleurs proches de l’emploi auxquels on offrira des conditions favorables pour qu’ils soient le plus vite possible performants (par des formations) et les autres, éloignés de l’emploi et auxquels on proposera plutôt un stage d’aide à la recherche d’emploi.
Dans le cas de l’employabilité « interactive », qui est plus répandue en France/Europe, le travailleur n’est pas seul responsable de son employabilité, les institutions le sont aussi, mais la conception reste identique : même encadré et aidé, le travailleur doit s’aligner sur les besoins du marché du travail.
Actuellement, la notion d’employabilité subit également l’influence de l’évolution du statut de salarié dans un contexte de précarisation de l’emploi :
« L’objectif d’employabilité visé par les politiques publiques ne doit plus se limiter aux seules catégories de chômeurs longue durée ou de sous-employés, mais devient un élément déterminant de l’ensemble des mobilités qu’un travailleur vit tout au long de sa vie professionnelle. Il s’agit donc de mettre en place des dispositifs de ‘sécurisation’ des parcours : les ‘marchés transitionnels’ selon Gazier, qui ‘consistent en l’aménagement systématique et négocié des mobilités sur le marché du travail, dans les et hors des entreprises’ (1999, p.7) »[20].
On en revient ainsi aux questions déjà abordées de l’insécurité du marché de l’emploi, qu’une vision entrepreneuriale préfère aborder à l’aide d’euphémismes comme « mobilité » ou « transition », là où les travailleuses/-eurs font plutôt l’expérience de la précarité généralisée et de la remise en cause du droit du travail.
Dès lors, à l’issue de ce parcours autour de la notion d’employabilité, il apparaît qu’elle est centrée sur l’intérêt des employeurs, en se préoccupant beaucoup moins de ceux des travailleurs. Reste à voir quelles sont les possibilités de concevoir une approche qui en prenne le contrepied, c’est-à-dire qui mette en exergue la liberté de choix du travailleur.
Cependant, avant d’aborder ce point, nous allons revenir brièvement sur la problématique initiale de cet article, à savoir la question de l’employabilité au féminin ou qu’est-ce que cela induit d’aborder la question de l’emploi du point de vue du genre ?
4. Une lacune : l’absence de vision de genre
Les chercheurs dont nous avons jusqu’à présent évoqué les écrits ne laissent aucune place à une analyse selon le genre de la question de l’employabilité. Or, il est fort probable que les inégalités qui existent entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’accès au travail ont une incidence en matière d’employabilité.
Quelques exemples :
- Le choix du métier est conditionné par les choix de formation et ceux-ci sont influencés par les « stéréotypes » existant à propos des garçons et des filles : les jeunes filles sont plutôt orientées vers les métiers de bureau, de l’habillement, de la coiffure ou des soins aux personnes (infirmières, assistantes sociales, garde-malade, etc.), alors que les garçons seront dirigés vers les métiers techniques comme ceux du bâtiment, de la mécanique, du bois ou les métiers d’ingénieurs, de chimistes, d’informaticiens.
- La ségrégation au niveau des choix scolaires a comme résultat une forte segmentation du marché de l’emploi entre les métiers masculins et les métiers féminins (ségrégation horizontale de l’emploi) : en Europe et aussi en Wallonie, on constate que, sur 400 métiers, 250 sont surtout masculins et que 37 secteurs masculins représentent 69% de l’emploi total contre 18 secteurs essentiellement féminins qui représentent 31% de l’emploi total et 70% de l’emploi féminin.
- L’emploi féminin est beaucoup plus concentré : beaucoup de travailleuses regroupées dans peu de secteurs.
- En Belgique, sur 100 offres d’emploi, 70 s’adressent plutôt à des hommes. Donc, même si elles ont la possibilité de postuler pour toutes les offres, un tiers d’entre elles seulement leur donne une chance vraisemblable de trouver un emploi. Conclusion : elles ont presque trois fois moins de chance que les hommes de trouver du travail[21].
Cependant, l’observation de données statistiques récentes publiées par l’IWEPS[22], met en évidence l’émergence de facteurs positifs par rapport au travail féminin (et à l’employabilité), mais également la persistance d’un certain nombre d’inégalités importantes[23].
D’une part, le taux d’emploi des femmes est en amélioration constante, à telles enseignes que l’IWEPS peut affirmer qu’elles sont devenues les principales contributrices au renouvellement de la force de travail. L’autre amélioration est que le taux de chômage féminin est actuellement inférieur au taux de chômage masculin, y compris chez les jeunes[24].
Un autre aspect positif est que les femmes sont désormais plus diplômées que les hommes : « En Wallonie, 45% des femmes sont en possession d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 33% pour les hommes (39% au total) »[25].
Par contre, la ségrégation horizontale persistante des secteurs professionnels cantonne souvent les femmes dans des métiers sociaux ou du care (métiers de soins), des métiers peu qualifiés et mal payés.
- Le travail à temps partiel : un piège pour les femmes
Le principal obstacle qui se dresse devant les travailleuses, c’est le travail à temps partiel non désiré, dont l’IWEPS dénonce très clairement le caractère de piège à l’emploi, désignant ainsi un emploi qui possède plus d’inconvénients que d’avantages :
« Les conséquences du temps partiel augmentent le risque de chômage, le risque d’avoir une faible pension, mais aussi le risque, pour ces femmes qui possèdent peu d’heures de travail, de vivre en situation de pauvreté en raison de la faible qualité des emplois proposés. Le travail à temps partiel se concentre, par ailleurs, dans quelques secteurs d’activité qui rassemblent des emplois à faible qualification, dont les horaires de travail sont souvent flexibles et/ou atypiques. Ces conditions de travail rendent l’articulation entre vie privée et vie professionnelle de plus en plus difficile.
On peut donc affirmer que certaines formes d’emploi à temps partiel relèguent les femmes dans des emplois précaires, les maintenant dans une forme de sous-emploi qui, en réalité, est plus proche du chômage que d’un emploi durable et de qualité qui leur garantirait les mêmes droits que les hommes, en terme de pension, de revenus, etc. »[26].
En matière d’employabilité féminine, le temps partiel contraint doit être considéré comme l’ennemi principal.
En résumé : une majorité d’emplois à temps partiel souvent contraints, des métiers peu qualifiés et mal rémunérés[27], un écart salarial de 23%, un taux de risque de pauvreté de 21,1%[28]. Les inégalités dont les femmes sont victimes sur le plan professionnel ont une conséquence inévitable : la précarité et même la pauvreté, d’autant plus grande pour les familles monoparentales. Une raison supplémentaire d’aborder avec prudence la question de l’employabilité féminine !
5. Marchandisation des travailleuse/-eurs ou liberté de choix ?
Par rapport aux deux visions « patronales » de l’employabilité qui ont été évoquées plus haut[29], on peut se demander s’il existe une autre approche, se souciant davantage de favoriser la liberté de choix du travailleur.
Pour le CVFE, qui se réclame du féminisme et de l’éducation permanente, il n’est pas question de défendre autre chose que la capacité de la/du travailleuse/-eur de négocier sa place productive dans la société, en fonction de sa propre situation et, surtout, de ses désirs et de ses ambitions. Pour notre association, le travail ne peut apparaître comme une forme efficace d’intégration sociale qu’à la condition de ne pas être une condition uniquement aliénante, c’est-à-dire de comporter un versant d’accomplissement personnel.
Nous aborderons cette problématique dans un autre article en nous référant à l’approche par les « capabilités », notion avancée par l’économiste indien Amartya Sen. La question posée dans cette hypothèse sera de savoir de quel espace de liberté et de choix le travailleur dispose par rapport à l’emploi. Dans cette vision, un travailleur qui est obligé d’accepter un emploi qui ne correspond pas à ses compétences ou de suivre une formation qu’il n’a pas choisie n’est pas respecté dans son droit à l’autonomie individuelle[30].
Cette conception a des conséquences déterminantes en matière d’accès à l’emploi, car elle s’oppose de manière frontale à la conception patronale du marché de l’emploi où les travailleurs sont des marchandises, ainsi qu’aux dispositifs actuellement à l’œuvre d’activation des chômeurs, qui font peu de cas des desiderata des demandeurs d’emploi.
En outre, en tant qu’organisation féministe, le CVFE s’interroge de manière critique sur l’absence d’approche de genre de la notion d’employabilité[31]. Si l’approche classique de l’employabilité considère tous les travailleurs comme des marchandises, ne peut-on pas supposer qu’une réification plus grande encore pèse sur les travailleuses : celle du déni, de l’effacement, qui occulte le fait de faire peser plus de contraintes sur les femmes que sur les hommes, induisant chez elles plus de précarité et de pauvreté, en plus de l’exploitation patriarcale traditionnelle de leur travail gratuit (domestique, reproductif).
Conclusion
Dans la société néo-libérale conçue par l’Union européenne, l’existence d’un taux de chômage important constitue un choix délibéré pour faire pression à la baisse sur les salaires en maîtrisant l’inflation. C’est dans ce contexte que nous avons réfléchi ici à la notion d’employabilité.
Après avoir servi au départ, dans le monde anglo-saxon, à distinguer les personnes proches de l’emploi des personnes qui en sont éloignées (et dès lors « inemployables »), dans l’optique d’une dualisation du marché de l’emploi, la notion d’employabilité a évolué, parallèlement à l’apparition du chômage de masse et à l’introduction des techniques de management des ressources humaines, vers des conceptions plus nuancées, mais souvent contradictoires, dans la mesure où elles reposaient sur une vision socialement ancrée ou très individualisante de la notion.
D’une façon générale, il est difficile de se départir de l’idée que la notion d’employabilité repose sur l’hypothèse d’une réification du travailleur qui, en tant qu’acteur sur le marché de l’emploi, constitue une marchandise dont l’intérêt est de correspondre aux désiderata du patronat. En définitive, ce dernier achète (ou loue, pour parler comme Marx) une « force de travail adaptative », dont les états d’âme professionnels sont sans objet. Rappelons en effet qu’un des slogans liés à l’employabilité est : « Il vaut mieux avoir un mauvais emploi que pas d’emploi du tout ».
A l’opposé de ce point de vue, le recours théorique à l’analyse fondée sur les capabilités, développée par l’économiste Amartya Sen[32] et reprise par la philosophe américaine Martha Nussbaum[33], peut constituer une piste intéressante à explorer en tant qu’alternative aux démarches d’activation des demandeurs/-euses d’emploi mises en œuvre en Belgique depuis 2004 dans l’esprit de l’Etat social actif, avec les dégâts sociaux qu’on connaît (Plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi).
De plus, concernant les publics féminins précaires, on peut supposer par hypothèse que cette approche serait de nature à contribuer à leur émancipation vis-à-vis des discriminations qu’elles subissent dans le cadre de la société patriarcale.
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Van Campenhoudt (Luc), Marquis (Nicolas), Cours de sociologie, Paris, Dunod, 2014, 348 pages.
Pour citer cette analyse :
René Begon, " Employabilité : les travailleuses/-eurs comme marchandises.", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2017. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/120-employabilite-les-travailleurse-eurs-comme-marchandises
Contact :
Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.
Notes :
[1] La notion de « femme rentrante » désigne généralement des femmes qui sont en recherche d’emploi après avoir cessé de travailler pour s’occuper de l’éducation de leurs enfants.
[2] Cf. http://www.melchior.fr/notion/la-courbe-de-phillips
La validité de cette thèse est controversée : elle semble se vérifier davantage à court terme qu’à moyen ou long terme. Certains économistes considèrent que la capacité d’anticiper l’inflation des acteurs économiques modifie l’influence de la relation de Phillips, alors que d’autres pensent qu’il n’y a pas de relation entre politique de l’emploi et politique monétaire.
[3] Fievet (Marc), Leçons d’économie, leçon 8, section 3, la relation inflation-chômage : la courbe de Phillips, Namur, FUNDP, 2016, page 25.
[4] Dans une situation d’inflation, le taux d’inflation doit être déduit du taux d’intérêt nominal en vigueur, ce qui réduit d’autant le rendement des capitaux placés. Cf. Fievet (Marc), op. cit., leçon 8, section 1, l’inflation, pages 2 et 11 : « Une forte inflation enrichit les débiteurs (et en particulier, l’Etat) : en effet, leur revenu augmente, mais pas les annuités de remboursement (sauf indexation), et la proportion de ces dernières par rapport au revenu diminue. A l’opposé, les prêteurs ou les rentiers sont défavorisés : l’argent qui leur est remboursé est déprécié ».
[5] Fievet (Marc), op. cit., section 3, la relation inflation-chômage : la courbe de Phillips, page 29.
[6] Cf. Supra, note 2.
[7] Mercier (Estelle), « Développer l’employabilité des salariés : rhétorique managériale ou réalité des pratiques », Université de Nancy 2, Cahiers de recherche, 2011-06, page 3.
[8] Boltanski (Luc) et Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
[9] Weber (Max), L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905), Paris, Flammarion, 2000.
[10] Van Campenhoudt (Luc), Marquis (Nicolas), Cours de sociologie, Paris, Dunod, 2014, page 167.
[11] Boltanski (Luc) et Chiapello (Eve), op. cit., page 168.
[12] En l’occurrence, il s’agit des « Journées de l’Economie » dont la 10e édition s’est tenue à l’Université de Lyon début novembre 2017.
[13] Une conférence sur le thème : « Dans le cerveau d’un chercheur d’emploi ».
[14] Bermond (Sylvain), « Les perles des Jéco 2017 », in Les blogs de Mediapart, 25/11/2017 (https://blogs.mediapart.fr/sylvain-bermond/blog/251117/les-perles-des-jeco-2017). L’INSEE est, en France, l’Institut national de la statistique et et des études économiques (https://www.insee.fr/).
[15] Martin (Jean-Philippe), « Microentreprise, une machine à fabriquer des pauvres », in Le Monde diplomatique, décembre 2017, pages 18-19. L’INSEE est en France l’Institut national de la Statistique et des Etudes économiques (https://www.insee.fr/).
[16] Mercier (Estelle), loc. cit., page 3.
[17] Ibidem, page 4.
[18] Saint-Germes (Eve), « L’employabilité : une nouvelle dimension de la GRH ? », Université de Montpellier 2, page 1888.
[19] Mercier (Estelle), loc. cit., page 5.
[20] Mercier (Estelle), ibidem.
[21] Les exemples cités ici sont extraits d’un entretien avec Ariel Carlier, ancienne responsable de la cellule « Ethique et diversité » du Forem. Cf. Lentini (Giovanni), « Egalité femme/homme : un combat toujours actuel », émission Regards FGTB, CEPAG, septembre 2006.
[22] Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (http://www.iweps.be).
[23] Egalité entre les femmes et les hommes en Wallonie. Photographie statistique, Namur IWEPS, 2017, 46 pages.
[24] Egalité entre les femmes et les hommes en Wallonie. Photographie statistique, op. cit., 2017, pages 14 et 20.
[25] IWEPS, « Les femmes dans un monde du travail en évolution mais toujours inégalitaire », communiqué de presse à l’occasion de la journée du 8 mars 2017, page 3 (https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2017/03/CP-8mars-version-finale.pdf).
[26] Ibidem, page 5.
[27] Egalité entre les femmes et les hommes en Wallonie. Photographie statistique, op. cit., 2017, pages 36-40.
[28] Femmes et hommes en Belgique. Statistiques et indicateurs de genre, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), Bruxelles, 2011, pages 63, 71, 73.
[29] Cf. supra, point 3, pages 7 sv.
[30] Jean-Michel Bonvin et Nicolas Farvaque, « L’accès à l’emploi au prisme des capabilités, enjeux théoriques et méthodologiques », Formation emploi, n° 98, avril-juin 2007, mis en ligne le 30 juin 2009, page 10 (http://formationemploi.revues.org/1550).
[31] Cf. supra, point 4, pages 9 sv.
[32] Droit (Isabelle), « Quel apport de l’approche des capabilités pour l’analyse des inégalités de genre », in Reboud (Valérie), (coord.), Amartya Sen, un économiste du développement ?, Paris, Agence française de développement, Département de la recherche, 2008, pages 127-149.
[33] Nussbaum (Martha), Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste ?, Paris, Climats, 2012, 301 pages.