Face à la violence conjugale, que peut l'espoir ?
Des femmes témoignent publiquement des violences qu’elles ont subies. Le spectacle ‘Paroles d’espoir’ est la réalisation d’un groupe de femmes qui a voulu aller au-delà du témoignage individuel pour construire collectivement une analyse des causes de la violence conjugale.
Motivées et autodidactes, elles ont discuté et exploré la littérature autour de ce sujet, puis elles ont mis leurs réflexions en textes, en images et en chansons, pour créer un spectacle qu’elles ont présenté sur scène au Foyer culturel de Seraing en mars 2016. Elles ont choisi comme nom de groupe ‘Les batelières de l’Espoir’.
Ce projet incarne l’importance de la mobilisation collective des femmes pour combattre la violence conjugale. Le spectacle ‘Paroles d’espoir’ signifie qu’il est possible de sortir positivement d’une telle relation. L’analyse ci-dessous met en forme les résultats des recherches menées par le groupe. Elle est rédigée à la première personne du pluriel, parce que le sujet ‘nous’ est représentatif du travail collectif dont elle est le fruit. La compréhension des causes sociales de la violence conjugale est susceptible de soulager les femmes de la culpabilité et de la honte. Elle libère en elles des capacités enfouies et les met en position de dire à d’autres femmes comment prévenir de tels actes.
Constituer un « nous, femmes », avec la volonté d’agir contre la violence
Nous qui avons participé au projet « Paroles d’Espoir » proposé par le CVFE, nous avons cherché ensemble des mots justes, des images adéquates pour décrire cette violence que l’on fait aux femmes, ses origines, ses mécanismes et ses issues.
De nos parcours personnels, un fil rouge s’est dégagé : D’où vient cette violence ? Que se passe-t-il quand elle se vit ? Comment en sortir ? Et ensuite, que faire pour se retrouver et vivre après cette violence ? Nous en avons tiré une présentation que nous avons voulue libératrice pour d’autres femmes confrontées à la violence conjugale.
Durant six mois, nous étions une dizaine de femmes à nous réunir chaque semaine pour réfléchir à nos histoires et en tirer un message d’espoir à transmettre aux autres femmes.
Le 18 mars 2016, nous sommes montées sur scène, au Foyer culturel de Seraing, avec notre spectacle : la remise en question d’idées toutes faites, les zones noires, les inégalités, les représentations culturelles qui nous assignent au rôle de victime. Cette présentation est notre mise en images et en mots de ce que chaque femme confrontée à de telles violences peut traverser comme doutes sur elle-même, comme souffrances et comme discriminations négatives.
Nous y avons aussi décrit les leviers personnels et collectifs sur lesquels une femme peut prendre appui pour se tirer vers le haut et s’extraire progressivement de la position de victime. Nous avons mis en évidence l’action collective, la solidarité et la reconnaissance de notre appartenance à une communauté de femmes qui, au-delà de leurs diversités, peuvent s’allier pour prendre conscience du sexisme et dénoncer le patriarcat, ce système qui fonde les inégalités subies par les femmes et légitime les violences dont elles sont l’objet partout dans le monde. Les émotions positives et la force que nous avons tirées de ce projet collectif, nous avons voulu en partager le ressenti.
C’est grâce à une recherche collective, faite de questionnements – Quelle parole d’espoir peut-on apporter ? Comment la porter ? - de réflexions et d’apports théoriques que nous avons atteint notre but. Le ‘nous’ inclut au même titre les participantes et l’animatrice, Marie-Jo, dont la position fut absolument et obstinément non-directive, centrée sur chaque personne et confiante dans ses possibilités d’exprimer son propre point de vue, d’apprendre de et à propos d’elle-même et des autres pour évoluer.
Non-directivité ne signifie pas neutralité, car l’animatrice a pris régulièrement position contre les violences faites aux femmes, en particulier quand nos propres mots et nos représentations nous piégeaient et les légitimaient. Son attachement aux relations égalitaires et à la force de l’action collective ont été un soutien pour notre groupe. Echapper au stéréotype de la femme victime et éternellement passive fut notre leitmotiv, un thème qui revint souvent dans les débats.
Les traces écrites et audio-visuelles que nous avons produites ont constitué le matériau dont est issue cette analyse. Les rapports de réunions, photos, textes rédigés, ressources bibliographiques utilisées et le montage audiovisuel présenté à Seraing témoignent de notre cheminement intellectuel et émotionnel.
Nous donner nos propres objectifs
«Il est possible de sortir de l’enfer de la violence conjugale, et de vivre heureuse et sereine par la suite».[1]
S’approprier le projet proposé par le CVFE nous a demandé de définir des objectifs. Après quelques réunions, nous avons décidé de mettre par écrit nos discussions pour permettre à chacune (présente ou absente) de rester en lien avec ce qui se fait dans le groupe. Trois d’entre nous se sont relayées pour rédiger des rapports après chaque atelier.
Dans le premier rapport, l’une de nous a résumé ce que représentait pour elle les trois séances précédentes :
« Me voilà présente dans ce groupe que je ne connais pas. Qui sont-elles ? Et vers quoi allons-nous nous diriger ? Nous nous sommes présentées et nous sommes parties à la découverte de cet espoir qui est notre fil conducteur durant cet atelier hebdomadaire. A partir du mot ‘espoir’, nous avons conçu une grande fresque où nous avons proposé une interprétation de ce mot. Ensuite, nous avons lu tous ces mots inscrits. Par la suite, nous avons réalisé notre propre arbre à espoir avec des mots, des images, des photos. Cet arbre, nous l’avons présenté au groupe. Pour terminer l’année, nous avons proposé de ‘saboter’ Noël, et cela s’est terminé pour certaines chez V. »
A ce moment, nous avons reformulé l’objectif comme ceci :
« Porter une parole d’espoir, notamment à toutes les femmes hébergées, qui vivent de la violence intrafamiliale ; parce que nous qui participons à ce groupe, nous savons déjà qu’il y a un après plus heureux qui est possible, mais pas elles … Ce qui serait intéressant, c’est de porter une parole de solidarité, mettre en évidence un socle de solidarité par rapport aux points suivants : le vécu commun -non, tu n’es pas la seule à vivre ce type d’expérience-, les violences institutionnelles et économiques, (…), un socle de solidarité contre la culpabilisation individuelle, proposer une réponse collective, par exemple un modèle local de résistance qui peut essaimer plus de solidarité, (…) quid de la déclaration universelle des droits humains ? »
Le groupe a vécu quelques turbulences pendant ces six mois, des conflits, des défections qui ont mis le projet en difficulté, mais un noyau dur de huit femmes s’était formé, motivé à aller jusqu’au bout. Nous avons chaque fois réadapté le projet en construction à la nouvelle situation. Comme l’a dit l’une d’entre nous :
« Je voulais aller jusqu’au bout parce que je sentais que c’était ma chance de sortir de l’enfermement et du silence. Me présenter devant ce public, c’était comme d’aller enfin à la rencontre de la société. Si ça ne marchait pas, je n’avais qu’à retourner dans le silence. »
En nous adossant à un arbre symbolique, libérer l’imaginaire et la parole
Nous voulions représenter le chemin qu’une victime parcourt pour aller vers du positif, le déplacement par lequel elle parvient à faire grandir l’espoir. Nous devions expliquer qu’il s’agit d’un processus d’aller-retour, avec des arrêts, des avancées et dire aussi qu’on a parfois besoin de recevoir de l’aide. Inventer de nouvelles façons de transmettre l’espoir tout en conscientisant les victimes de la violence conjugale aux causes profondes de celle-ci et aux inégalités de genre. Nous avons pensé que le mieux serait de montrer les résultats de nos recherches de façon symbolique, car un symbole peut être associé à des significations multiples, contradictoires et en évolution. Il n’y a pas une cause unique de la violence conjugale.
Nous avons cherché les symboles les plus appropriés et plusieurs idées ont été exploitées, comme la fabrication d’un pain, le pain qui nous permet de manger, symbole d’espoir avec le signe de l’infini par-dessus et des flèches plantées dedans, portant le vœu de chaque femme. Ou la corde qui évoque la valeur du lien : la nécessité de veiller à l’équilibre des forces entre deux personnes ou d’appartenir à une communauté. Les nœuds de corde ont aussi servi de symboles : ils nous relient aux autres, certains se dénouent aisément et nous permettent de quitter le port d’attache en toute liberté. Pour évoquer les ingrédients que nous jugeons indispensable pour vivre une relation égalitaire, nous avons dessiné une roue de la non-violence.
Finalement, c’est l’arbre que nous avons pris comme symbole principal pour notre présentation : il pouvait nous permettre de ne pas nous enfermer dans un discours linéaire et proposer une vision dynamique, ouverte, à la fois critique et optimiste du vécu de violence.
« L’arbre est un symbole de force. Il est vertical, il pousse, il perd ses feuilles et les récupère. Par conséquent il se régénère. L’arbre est aussi objet de contemplation en tant que forme et modalité biologique. L’arbre est le symbole par excellence de la vie en perpétuelle évolution. Le déroulement de son cycle annuel l’associe tout naturellement à la succession de la vie, de la mort et de la renaissance. L’arbre est donc le symbole parfait pour partager l’espoir à toutes les femmes qui ont subi des violences. »
Les différentes parties de l’arbre portent chacune des significations plurielles. Le feuillage est le symbole de vie fertile et d’amour.
« Le feuillage, c’est aussi de partager avec les autres, de créer des liens, de la solidarité qui rend fortes pour pouvoir faire des projets et les faire aboutir. »
Les racines sont ancrées dans le sol pour manifester la solidité de l’humain, sa capacité à résister et à absorber ce qui le nourrit depuis la naissance, ses expériences bonnes ou mauvaises.
Au niveau des racines, nous trouvons à la fois les causes de la violence, les nourritures bonnes qui assurent notre protection contre la violence et ses effets destructeurs, tout ce qui nous construit positivement et négativement : la famille, l’éducation, la société patriarcale, la domination masculine, les talents et les dons, les affections, les droits sociaux, l’égalité des droits.
Entre les racines et le feuillage se trouve le tronc épais et susceptible de se rompre à l’endroit de son talon d’Achille. Le tronc fait circuler la sève et permet la survie. C’est le tronc qui permet les allers-retours entre les feuilles et les racines.
Regarder en face ce qui nous freine ou nous donne le pouvoir d’agir
« Comment se défaire de ce mécanisme d’oppression invisible appelé ‘OVNI’ – objet violent non identifié-. Tu te sens mal, mais tu ne sais pas d’où ça vient. »
« Comment déclencher la prise de conscience et l’acceptation de son statut de victime ? Comment ne pas être dans le déni ? »
A partir de ces questions, nous avons cherché à formuler ce qui empêche les femmes de réagir.
Vivant dans une société patriarcale, nous développons au cours de notre existence des affects négatifs, renforcés par la violence conjugale, qui contribuent à faire obstacle à notre libération. La dépendance à l’agresseur, la dépersonnalisation[2], la sidération, la terreur, la culpabilité, l’isolement, la vulnérabilité, la honte, l’insécurité, le déni, la souffrance, le rejet, le mal-être …viennent-ils de nos racines ?
Nous avons formulé plusieurs idées à propos du déni, d’où il ressort que les sentiments de culpabilité et de honte sont prédominants et nous font taire. Les phénomènes d’emprise, d’aliénation et de dissociation résultant des traumatismes empêchent aussi les victimes de réagir.
Nous avons approfondi les impacts de la violence subie sur la mémoire : la violence crée des traumatismes et empêche le stockage des informations dans le cerveau, ce qui nous donne le sentiment d’être confuse, de perdre la mémoire et nous insécurise. Le comprendre permet à une femme victime de violences de se déculpabiliser.
« Les racines, c’est aussi sentir battre son cœur, être vivante, vivre des expériences. Les racines sont aussi formées de toutes les expériences positives de la vie, de nos belles rencontres, de tout ce qui nourrit notre force d’esprit. »
«Nous sommes plus fortes que nous le croyons.»
S’informer et s’éduquer permet de se responsabiliser et de sortir de la culpabilité. Nous avons cherché des idées dans plusieurs directions au cours des ateliers : dans l’histoire (les luttes sociales, le mouvement féministe, l’évolution du droit de la famille) ; dans la sociologie et la philosophie (les différentes conceptions de la violence, la domination masculine selon Bourdieu, le patriarcat, l’éducation des garçons selon les cultures et le rôle des mères dans la reproduction des inégalités et de la misogynie, le paradoxe de la mère toute puissante au rôle social si limité). Nous avons exploré la littérature avec des essais, des chants, des poèmes, les romans de Virginie Despentes (Baise-moi) et d’Elisa Brune (La Tournante). Nous avons fouillé dans la psychologie. Nous avons aussi discuté de l’actualité, par exemple lorsque des agressions de femmes ont eu lieu à Cologne lors du réveillon 2015.
Développer notre propre critique de la société ultra libérale et du système patriarcal
« Les racines, c’est pouvoir s’appuyer sur des droits sociaux. Il faut s’inquiéter car les droits sociaux acquis après de longues luttes sont mis en danger. »
L’emboitement ‘violences conjugales, violences institutionnelles, violences patriarcales’ permet de comprendre que le système patriarcal est à l’origine des violences que nous subissons en tant que femmes. Les inégalités proviennent de l’exploitation des dominés par une minorité de dominants. Par ailleurs, la pyramide des classes sociales montre que la plus grande partie de la population mondiale vit sous le seuil de pauvreté. Juste au-dessus, en Belgique par exemple, un grand nombre de gens sont dans la survie avec 850€ par mois. L’écart qui augmente entre les plus riches et les plus pauvres crée la fracture sociale. Ce système social contribue à la persistance de la violence conjugale. Plus particulièrement chez nous, le fait d’exclure une foule de femmes du chômage et des revenus d’insertion crée malheureusement des conditions défavorables à l’indépendance des femmes.
Que signifie vivre dans une société patriarcale pour une femme ? C’est être assignée aux tâches domestiques, travail dont les hommes se sentent exemptés ; c’est subir des violences conjugales, être contrainte à des rôles de genre : être traitée en objet, subir la culture du viol, les stéréotypes de genre, devoir accepter que les industries soient dominées par les hommes et propagent des canons de beauté irréalistes, subir le ‘slut shaming’[3], le ‘body shaming’[4], subir la misogynie, percevoir des salaires inférieurs, …
Ensemble, nous devons dénoncer les inégalités et les violences institutionnelles pour ne plus les subir chacune dans notre coin.
« Lecture de mon texte ‘Donne-moi’ : coup de gueule contre la société, envie d’espoir et de solidarité. Nous avons eu une discussion vive sur les violences institutionnelles, le CPAS, les lois qui mettent des obstacles devant nous, qui réduisent notre autonomie, nos visions douloureuses de la société. Crachat de nos désespérances qui cachent l’espoir. Mais, bon dieu, où peut se dessiner cette espérance ? Comment porter un message d’espoir si nous déclinons dans nos mots tant de colère et de ressentiment ? C’est bien là la gageure ! Pour moi, la solidarité devient une évidence pour aller plus loin ».
Regarder le monde qui nous entoure et, ensemble, oser le critiquer pour affirmer une pensée différente, cela nous renforce et nous met en mouvement. Le projet ayant démarré en novembre, nous avons vu s’approcher les fêtes de fin d’année et tout leur décorum consumériste. ‘Saboter’ Noël, c’est une idée jaillie du groupe. Beaucoup de femmes ont des ressources financières très limitées, certaines vivent seules. En sorte que, saboter Noël, c’est nous offrir la liberté de vivre cette période à notre façon.
Combattre les violences contre les femmes aboutit à critiquer un système où la persistance de ces violences se conjugue aux inégalités entre hommes et femmes, ainsi qu’à l’appropriation du corps des femmes par les hommes.
Naître fille sur la planète Terre oblige à surmonter beaucoup d’obstacles dès le départ et tout au long de l’existence: avortements sélectifs et infanticides de fillettes, mutilations sexuelles, moindre accès à la scolarité et taux élevé d’analphabétisme, mariages forcés, non accès à la contraception, aux soins gynécologiques, à l’avortement,… La violence conjugale fait partie de ce système patriarcal violent avec les femmes : en France, une femme meurt tous les 2,7 jours sous les coups de son conjoint. Et pour les plus chanceuses, il faudra encore se battre après pour obtenir l’égalité juridique, politique, professionnelle.[5]
Les médias sont envahissants, le sexisme y est répandu. L’industrie de la mode produit ses diktats, avec un idéal de beauté fabriqué par manipulation d’images. Comment se vivent les femmes qui n’ont pas des corps de mannequins, comment le regard des hommes et des femmes sur le corps féminin est-il formaté ?
C’est encore une violence sexiste que l’hyper sexualisation des petites filles, habillées comme des adultes, proposées à des concours de mini-miss, traitées en objet de désir. C’est une incitation à la prédation masculine que nous avons illustrée par une image représentant une fillette couverte de mains d’hommes.
Oser le changement et la bienveillance envers soi-même
Nos recherches nous ont permis de mieux comprendre les effets de la violence conjugale sur nous-mêmes, de nous appuyer sur la notion de résilience, d’imaginer des stratégies de protection, de comprendre le mécanisme de l’hyper vigilance (un état de sensibilité avancé lié au syndrome de stress post-traumatique) et de réfléchir aux façons de la transformer en quelque chose de positif, de constructif, pour lui donner une utilité sociale.
Il nous a été utile de comprendre comment agit en nous la peur du changement, même positif, et d’imaginer une « stratégie des petits pas » pour réduire cette peur et trouver comment assoir la puissance de nos choix et de nos actions.
Pour transmettre l’espoir, nous avons prôné la bienveillance vis-à-vis de soi :
« Se déculpabiliser, se pardonner, s’accepter, se pardonner avec bienveillance quelque chose de difficile »
Nous avons identifié ce qui, dans notre expérience personnelle, nous a poussées vers le haut ou au contraire tirées vers le bas :
« Tout ce qui permet de survivre et ce qui génère des rechutes possibles ».
Dans le discours dominant, la force est valorisée et la faiblesse méprisée. La soi-disant fragilité de la femme est un lieu commun qui justifie qu’elles soient sous-estimées, y compris par elles-mêmes :
« (…) Il faut être en permanence fort, beau, jeune (éternellement !), actif, autonome, en bonne santé, réussir tant au niveau professionnel que social et familial. Sinon, on est sans valeur, un nul, un assisté. Et pourtant, on sait tous que c’est impossible ! L’être humain est de par sa nature même fragile. (…) . Attention au piège de l’autosuffisance : l’humain se veut libre de tout, autonome, alors qu’il devient par là même prisonnier de son aveuglement, de sa fausse toute puissance. (…) Développer la force intérieure. (…) La force intérieure, oui, mais au service de notre fragilité (…)»[6].
Nous avons voulu mettre en avant les forces des femmes qui ne sont jamais reconnues (leur flexibilité, leur capacité de résistance, leur courage quand elles quittent un conjoint violent, etc.). La position sociale inférieure des femmes doit être reconnue comme un obstacle supplémentaire. Le conditionnement social des femmes les pousse à s’oublier et à subir. Il faut présenter aux femmes ce qui leur permettra d’échapper au sentiment de fatalité, au stéréotype d’un destin naturel de victime.
Reconnaitre et assumer notre besoin d’affiliation
Nous avons mis en valeur dans notre message la force du groupe et le sentiment de puissance que donne l’action collective. Partant de la pyramide des besoins de Maslow, nous avons porté une attention particulière à un des besoins existentiels de l’être humain, le besoin d’appartenance :
« Développer un réseau d’appartenance rend plus forte. L’important est de relier son expérience de vie ou soi-même à quelque chose, à quelqu’un, à d’autres personnes. Alors nous ne nous sentons pas toute seule face à l’adversité. Dans le cas de la violence, pour en sortir, se reconnaître comme victime de violence est un passage obligé. C’est seulement quand je me reconnais comme telle autre que je peux m’en sortir. La violence en miroir me permet de mettre en perspective mon vécu et de ne pas le laisser sans conscience sur une île déserte. »
Partager nos mots, faire entendre nos voix
Grâce à des personnes ressources, professionnels de la culture, nous avons mis en musique nos poèmes et travaillé la mise en scène et la voix.
En spectacle de clôture du festival femmes en état de guerre du Foyer culturel de Seraing, nous avons présenté en public notre vision de la violence conjugale, une vision de femmes concernées, afin que d’autres femmes victimes utilisent notre expérience pour tracer leur propre chemin, en ayant mieux conscience de ce qui est révoltant dans leur situation.
A chacune de créer son kit de survie, d’écrire des objectifs qui lui conviennent sur les feuilles de son arbre : Se faire confiance et faire confiance, développer son réseau relationnel, lire, faire l’amour, avoir du plaisir, ressentir de la joie, faire des projets, avoir un boulot, gérer les conflits, obtenir d’être reconnue comme victime, être indépendante, libre, obtenir la justice, réagir, fuir, avancer, protéger et éduquer les enfants, etc.
Nous conclurons cette analyse avec des ‘petites phrases’ glanées dans nos textes, pour ouvrir des perspectives et inspirer d’autres femmes :
« La survie, c’est aussi se retrouver dans le monde, tout assumer, se créer et utiliser un réseau relationnel, aller chercher de l’aide auprès de personnes bienveillantes et compétentes. »
« Sortir de la violence nécessite du courage pour trouver l’indépendance économique et financière illustrée ici par le fait d’avoir un travail. Et ainsi être libre, entrer dans la lumière et pouvoir prendre de bonnes décisions. »
« Il est interdit de piétiner les rêves. »
« Sortir de la violence, c’est pouvoir vivre toutes ses émotions sans contrainte, sans devoir les masquer ou les cacher derrière les autres. »
« Le meilleur, c’est pouvoir prendre du temps pour soi, prendre soin de soi, de pouvoir mettre des couleurs dans sa vie, de s’aimer, de s’affirmer, de laisser s’échapper de belles métamorphoses de papillons de projets et de toujours espérer. »
« Maintenant, j’ose et je fais. Il y a quelques années ? Je n’en aurais pas été capable. Ne fusse que participer à ce type de groupe. C’est vrai, j’ai un besoin d’acceptation du groupe. Je ne m’attendais pas à être entendue. J’ai demandé la permission de lire mon texte et maintenant, oui, le groupe me porte. »
Pour citer cette analyse :
Les Batelières de l'Espoir avec Marie-Jo Macors et Anne Delépine, "Face à la violence conjugale, que peut l'espoir ?.", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2016. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/113-face-a-la-violence-conjugale-que-peut-l-espoir
Contact :
Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.
Notes :
[1] Voici le texte de l’annonce qui a été rédigée par le groupe pour la représentation du 18 mars 2016 au Foyer culturel de Seraing, organisateur de la semaine « Femmes en état de guerre », avec les associations : « Oui, on peut vivre bien, sereinement après la violence conjugale ou intrafamiliale. Seul-e, c'est difficile. Ensemble, tout est possible. Elles le disent. »
[2] Symptôme dissociatif, perte de sens de soi-même dans lequel un individu ne possède aucun contrôle de la situation
[3] Agressions verbales et psychologiques à caractère sexuel adressées aux femmes
[4] Dévalorisation humiliante de l’apparence physique
[5] Voir la vidéo réalisée par la Fédération internationale des Droits de l’Homme : #BeingBornAGirl, à l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes – www.fidh.org.
[6] Tiré du texte La force intérieure comme éloge de la fragilité, Evelyne Sanier-Torre, Annecy, mai 2013, cf. http://www.collegeyoga.fr/135la_force_interieure.pdf, consulté le 3 novembre 2016.