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Campagnes de prévention des violences faites aux femmes destinées aux hommes alliés : Masculinisation de la prévention ou prévention masculiniste ?

Depuis les années 2000, de plus en plus d’initiatives de prévention primaire et secondaire s’adressent aux hommes, considérés aujourd’hui comme partenaires nécessaires dans la lutte contre les violences faites aux femmes. La plupart de ces initiatives reposent sur un essentialisme stratégique, qui vante les qualités desdits hommes. Si ces discours flatteurs de « masculinité positive » facilitent la mobilisation des intéressés, dans quelle mesure ne constituent-ils pas aussi un terrain glissant vers une auto-célébration masculine, peu propice à une remise en question des inégalités structurelles entre les femmes et les hommes ? Comment éviter cet effet contre-productif ?

   Photo tude masculinisation de la prvention

                                                                                                                                                                                               

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Resumé en 10 slides de la publication

Introduction 

« Sois un homme, respecte les femmes », « Ma force, ce n’est pas pour faire mal », « Les vrais hommes ne maltraitent pas les femmes »… Les slogans de campagnes de sensibilisation aux violences faites aux femmes mobilisent bien souvent les représentations de ce qu’est un « vrai homme », et des qualités (innées ?) qui seraient associées à cet état. Il est vrai que l’exercice est particulièrement périlleux : comment tenir compte de la dimension genrée des violences (soit la surreprésentation des hommes parmi les auteurs et la surreprésentation des femmes parmi les victimes, ainsi que le contexte d’inégalités structurelles dans lequel celles-ci s’inscrivent) sans braquer le public cible ? Comment concilier questionnement critique par rapport à la reproduction de rapports de domination et message positif susceptible de capter l’attention des hommes et même d’éveiller leur intérêt ?

Eveiller leur intérêt, tel est précisément un point de bascule à ne pas négliger. Car la question bien légitime et stratégique de « comment communiquer pour éviter un rejet immédiat du message » ne doit pas être confondue avec « comment permettre à un groupe dominant de protéger ses intérêts ». Or, l’analyse d’une série de campagnes de prévention primaire et secondaire adressées aux hommes dans différents pays révèle le risque de glissement d’un questionnement critique vers une auto-célébration. Certes, les discours de « masculinité positive » ont de quoi charmer le public cible et le rendre dès lors réceptif à ces initiatives, mais quels sont leurs effets ? À vouloir épargner l’égo des hommes destinataires du message, ne risque-t-on pas d’oublier qui sont (ou devraient être) les destinataires finales de la campagne, à savoir les femmes ? Rappelons que ce sont bel et bien elles qui sont particulièrement exposées aux violences, qu’elles soient sexuelles ou conjugales (20% des femmes belges ont subi un viol (Dedicated 2019), 24% ont subi des violences conjugales (Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne 2014), taux probablement sous-estimés en raison du chiffre noir des violences).

Cette étude se base sur une série de campagnes de prévention primaire et secondaire menées dans différentes régions (Belgique, France, Géorgie, Etats-Unis, Australie) et sur une large littérature (notamment en études des masculinités) afin de mettre en discussion cette tension inhérente à l’ « essentialisme stratégique » qui caractérise les affiches et spots analysés, et de formuler quelques pistes afin d’éviter que l’appât du discours de « masculinité positive » ne se traduise par un effet contreproductif, à savoir le renforcement de l’hégémonie masculine... à l’origine des violences faites aux femmes.

 

Masculinisation de la prévention

 

      Prévention primaire, secondaire et tertiaire, kézako ?

Prévenir les violences faites aux femmes est une obligation qui découle de la Convention d’Istanbul, ratifiée par la Belgique en 2016. La prévention consiste à « faire évoluer sur le long terme les attitudes et comportements qui sont influencés par des préjugés, des stéréotypes de genre négatifs et des pratiques sexistes, qui peuvent entraîner, justifier, banaliser et minimiser la survenue de ce type de violence » (Conseil de l’Europe 2022, p. 7). Les campagnes de sensibilisation constituent l’une des nombreuses possibilités d’action en matière de prévention, aux côtés par exemple de la formation des professionnel·les ou encore de l’auto-défense féministe.

On distingue plusieurs niveaux de prévention : primaire, secondaire et tertiaire. Nous reprenons ici les définitions proposées par le Conseil de l’Europe en matière de prévention des violences à l’égard des femmes et des filles fondées sur le genre. Les interventions primaires ont pour objectif d’éviter que la violence ne se produise et s’attaquent ainsi aux facteurs de risque de la violence (sociaux, culturels ou structurels) ; les interventions secondaires entendent « réduire les effets de la violence qui s’est déjà produite ou ciblent des individus qui présentent des signes précoces de violence ou qui sont vulnérables à la victimisation (par exemple, le soutien aux victimes, l’intervention des témoins pour séparer la victime et l’auteur des violences, la formation de professionnels amenés à intervenir face à des situations de violence) » ; les interventions tertiaires, enfin, « portent sur la violence une fois qu’elle a été commise ou tentent d’empêcher que la violence ne se reproduise. Elles fournissent une réponse sur le long terme et/ou contribuent à gérer les effets de la violence (par exemple, le conseil ou le suivi après la prise en charge de la victime, la sensibilisation de la population, les programmes de prise en charge des auteurs de violence) » (Ibid., p. 21).

Cette distinction n’étant pas si aisée à comprendre, et encore moins à appliquer aux initiatives de sensibilisation, penchons-nous également sur d’autres définitions. En matière de santé publique, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Krug, Dahlberg, Mercy, Zwy, Lozano-Ascencio 2002), la prévention primaire a pour objectif d’éviter que la violence ne se produise, la prévention secondaire désigne les réponses apportées immédiatement après les violences (comme les soins proposés dans les centres de prévention des violences sexuelles (CPVS), par exemple), et la prévention tertiaire porte quant à elle sur les soins dispensés à long terme (tout ce qui permet d’atténuer les traumatismes, par exemple). Comme dans les définitions du Conseil de l’Europe, on y retrouve une distinction basée sur la temporalité (avant, après dans l’immédiat, après sur le long terme). À noter que l’OMS regrettait dans son rapport, en 2002, que la prévention primaire soit le parent pauvre de la lutte contre les violences et appelait de ses vœux un plus grand investissement en ce sens.

En criminologie, la prévention a pour objectif de réduire la sévérité et la fréquence des infractions criminelles. La prévention primaire entend modifier « les conditions qui, dans l’environnement physique et social, peuvent mener au crime » ; la prévention secondaire « cible des personnes et des groupes à risque d’être incriminés ou victimisés. Elle repose sur un dépistage précoce, suivi d’interventions sur les individus considérés à risque d’être impliqués dans un crime ». Enfin, la prévention tertiaire a pour objectif la réduction de la récidive et se concentre sur les effets du crime (il s’agit de détecter, condamner, punir… les personnes incriminées)[1]. Comme dans les définitions proposées par le Conseil de l’Europe, on y retrouve une distinction basée sur le public ciblé (à risque pour la prévention secondaire, déjà impacté pour la prévention tertiaire).


Si les campagnes de sensibilisation sont souvent considérées comme des initiatives de prévention primaire (voir par exemple Chung, Zufferey, Powell 2012), puisqu’elles visent à faire changer les mentalités et, idéalement, les comportements, selon nous, une distinction doit néanmoins s’opérer entre :

  • les campagnes de sensibilisation qui visent à éviter que les violences ne surviennent et prennent le mal à la racine (que nous considèrerons ici comme de la prévention primaire) ;
  • les campagnes de sensibilisation qui s’adressent à des personnes ou groupes à risque, où le mal est déjà en partie enraciné mais où il est encore temps d’agir (considérée ici comme de la prévention secondaire) ;
  • les campagnes de sensibilisation qui s’adressent à des personnes qui ont déjà eu des comportements violents, afin d’éviter la récidive (que nous considèrerons comme de la prévention tertiaire et qui feront l’objet d’une publication ultérieure).

En réalité, la prévention primaire peut être difficile à distinguer de la prévention secondaire. Bob Pease, spécialiste australien en étude des masculinités, partage son scepticisme face à la qualification de « prévention primaire » d’initiatives à destination des hommes (Pease 2008). En cause : l’application du modèle de santé publique aux questions de violences faites aux femmes. En santé publique, la prévention primaire passe par une modification des attitudes et comportements. Ce modèle conceptuel ayant été transposé aux violences faites aux femmes, une analyse des rapports structurellement inégaux entre hommes et femmes a, selon Pease, cédé du terrain à un focus sur les attitudes et comportements individuels. En d’autres termes, la prévention « primaire » en serait réduite à panser les plaies du patriarcat plutôt qu’à le détricoter comme elle est censée le faire, en s’attaquant aux causes sociales et économiques des violences faites aux femmes, telles que les inégalités de revenus, d’emploi, ou encore le manque d’accès aux ressources matérielles, soit les facteurs qui facilitent la perpétuation des violences. C’est ce que préconise l’organisme australien de prévention de la santé VicHealth (the Victorian Health Promotion Foundation), qui a appliqué le cadre de prévention primaire issu des politiques de santé publique aux violences basées sur le genre (Carmody, Salter, Presterudstuen 2014), en veillant manifestement à articuler à la lutte contre les violences une déconstruction des inégalités structurelles entre les femmes et les hommes. Le rapport mondial de l’OMS, que nous évoquions ci-dessus, insistait lui aussi sur le besoin de s’attaquer simultanément aux normes de genre et aux inégalités de genre. Néanmoins, comme l’observe le sociologue Michael Flood (2022), dans la pratique, les initiatives de prévention en Australie se sont beaucoup plus focalisées sur le micro (les individus et l’aspect relationnel) plutôt que sur le macro (le niveau structurel et institutionnel), ce que corrobore le criminologue Michael Salter (2015). Cette dépolitisation de la lutte contre les violences sème ainsi le trouble entre prévention primaire et secondaire. C’est la raison pour laquelle nous consacrons une publication à ces deux niveaux de prévention sans chercher à attribuer précisément les différentes campagnes à l’un ou l’autre. Nous retiendrons néanmoins cette critique de la majorité des initiatives de prévention dite « primaire », perçue le plus souvent comme le travail « sur les attitudes, les valeurs et les croyances des hommes qui sous-tendent les violences, plutôt que sur les interventions relatives aux inégalités de genre structurelles » (Pease 2008, p. 4, notre traduction), sur laquelle nous reviendrons.

 

      L’implication grandissante des hommes dans la prévention

L’article 13 de la Convention d’Istanbul requiert des États parties qu’ils mènent des initiatives de sensibilisation visant à prévenir les violences faites aux femmes. En 2015, le Conseil de l’Europe observait déjà un élargissement du spectre pour cibler davantage les hommes en tant qu’auteurs (potentiels) ou alliés :

"De nombreuses initiatives de sensibilisation à la violence envers les femmes menées par des organes gouvernementaux ou par des organisations de la société civile s’adressent – explicitement ou implicitement – aux femmes en tant que victimes (potentielles) de différentes formes de violence. Cependant, depuis quelques années, on reconnaît de plus en plus qu’il est également important de chercher à sensibiliser les hommes et les garçons, non seulement en tant qu’auteurs (potentiels) d’actes de violence mais aussi en tant que membres de la société pouvant jouer un rôle important parmi leurs pairs dans la lutte contre le sexisme et la violence masculine à l’égard des femmes." (Conseil de l’Europe 2015a, p. 21)

Loin d’être anodine, cette évolution révèle en creux une prise de conscience par rapport au message que pouvait renvoyer, implicitement, une focalisation sur les comportements à adopter par les seules victimes (de violences masculines, dont les violences sexuelles), et au sujet de laquelle le Conseil de l’Europe (2015b, p. 22) est très explicite :

"Traditionnellement, de nombreuses actions de prévention du viol et des agressions sexuelles ciblaient les femmes en particulier, afin de les conseiller sur la manière de se protéger. Mais ces campagnes, qui tendent à dire aux femmes comment elles « devraient » se conduire, laissent penser que le viol et les agressions sexuelles sont un aspect inévitable de la société et font peser la responsabilité de ces phénomènes davantage sur les femmes que sur les auteurs, ce qui peut en réalité aggraver les attitudes problématiques au lieu de les faire reculer."

Peu à peu, même si les hommes y restent minoritaires, les initiatives de lutte contre les violences faites aux femmes se sont masculinisées. La sociologue Kristine Claire Macomber (2012) observe qu’aux Etats-Unis, vers les années 70, quelques hommes proféministes ont constitué des groupes et organisations anti-sexistes, qui critiquaient les notions de masculinité traditionnelle basées sur le stoïcisme émotionnel, l’agression et la domination des femmes. Ces hommes, assez rares, étaient inspirés par l’idée du militant John Stoltenberg qui exhortait à « refuser d’être des hommes ». On verra toutefois que les campagnes « My Strength » qu’il a initiées sont loin de véhiculer un message aussi radical… Selon Francis Dupuis-Déri (2018, p. 302), « la tendance proféministe si importante au début du mouvement des hommes des années 1960 et 1970 est aujourd’hui minoritaire, voire pratiquement inexistante ».

Jusqu’aux années 1990, les hommes étaient rarement mentionnés, et uniquement en tant qu’auteurs (potentiels). Par la suite, les discours sur le rôle positif des hommes alliés dans la lutte contre les violences faites aux femmes et la promotion de l’égalité de genre ont commencé à se répandre, et depuis les années 2000, les interventions impliquant des hommes ont proliféré dans le monde, motivées par la reconnaissance des liens entre les normes sociales de genre, la masculinité et les violences (Jewkes, Flood, Lang 2015). Si les femmes restent largement majoritaires parmi les activistes anti-violences de genre, le cadre conceptuel des « hommes comme alliés » constitue selon Macomber un développement majeur au sein du mouvement, et les efforts pour impliquer les hommes et les garçons dans les actions de prévention ont considérablement augmenté, qu’il s’agisse de participer à des programmes éducatifs, d’être la cible de campagnes de marketing social ou d’agir comme décideurs politiques et comme activistes. Au point de considérer aujourd’hui l’engagement des hommes comme une étape incontournable pour mettre fin aux violences (Macomber 2012).

Qu’en est-il en Belgique ? À différents niveaux de pouvoir, les plans d’action visant à lutter contre les violences faites aux femmes ou, plus largement, à atteindre une plus grande égalité femmes-hommes intègrent bel et bien les auteurs de violences (conjugales, sexuelles…) parmi les groupes cibles. Ainsi, le plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre (2021-2025) prévoit des « actions de sensibilisation (…) et de responsabilisation des auteurs ». L’un des objectifs de ces actions de prévention étant d’améliorer la compréhension des violences basées sur le genre, mais également d’outiller les groupes cible de sorte que « chacun et chacune soit informé sur la manière d’agir face à cette violence qu’il en soit victime, auteur ou témoin » (p. 36)[2]. Le plan Droits des femmes du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles entend « agir sur les causes et les déterminants de la violence », « y compris dans le chef des hommes qui commettent des actes de violence » (p. 9). Il prévoit ainsi, notamment, de « développer une campagne de sensibilisation spécifique à destination de tous les hommes et jeunes garçons en tant que potentiels auteurs de violences mais aussi en tant que témoins, afin de viser un changement des valeurs et des attitudes qui sous-tendent les violences basées sur le genre. Cette campagne aura par exemple pour objectifs de souligner l’importance du rôle de témoin ou de faire connaitre les lignes d’écoute téléphoniques notamment destinées aux auteurs de violences » (p. 10). Enfin, le plan bruxellois de lutte contre les violences faites aux femmes 2020-2024 prévoit de développer des campagnes de sensibilisation « qui s’adressent également aux auteurs » (p. 61), et répond ainsi, avec son homologue de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à la demande de la Coalition « Ensemble contre les violences ».

Jetons un œil, pour clôturer cette brève contextualisation politique, au plan du Gouvernement flamand 2020-2024 (p. 16-26), centré, lui, sur la lutte contre les violences sexuelles. L’un des objectifs du plan consiste en une plus grande accessibilité de l’information relative aux services d’aide, pour les victimes comme pour les auteurs. Des campagnes de sensibilisation insisteront, notamment, sur l’importance de chercher de l’aide, en tant que victime ou en tant qu’auteur (potentiel) ; les auteurs (potentiels) sont cités parmi les groupes cible possibles des campagnes de sensibilisation à venir.

 

      Quelques pour, quelques contre

Qu’est-ce qui justifie que les alliés masculins soient devenus des incontournables ? Cette évolution repose notamment sur des fondements scientifiques. Des recherches montrent, en effet, que les hommes ont une influence significative sur le comportement de leurs pairs. Ainsi, la perception de l’adhésion ou non de leurs homologues masculins au respect du consentement joue un rôle déterminant dans la volonté des hommes d’intervenir ou non dans une situation susceptible de mener à une agression sexuelle ; la certitude que les normes de tolérance zéro sont largement partagées (par les femmes et a fortiori par les hommes, dont le soutien au respect du consentement serait davantage sous-estimé) a un impact positif sur l’adhésion des hommes à ces normes et sur leur volonté de s’engager comme alliés (Fabiano et al. 2003). Dans son versant négatif, cette corrélation indique que les relations sociales avec des pairs qui adhèrent à des mythes inhérents à la culture du viol (tel qu’une représentation de la sexualité comme un dû), voire encouragent les violences jouent un rôle prédictif dans la perpétration de violences physiques et sexuelles. Selon Michael Flood (2011), les programmes de prévention destinés aux hommes sont davantage susceptibles de fonctionner s’ils mettent en scène des hommes en premier plan, et les hommes non violents peuvent jouer un rôle important dans ce travail d’éducation des pairs.

Prometteuses, les initiatives de prévention destinées aux hommes ? Il est en réalité assez difficile de se faire une idée précise de leur efficacité. En effet, peu d’initiatives de prévention primaire ont été évaluées, et les évaluations existantes manquent parfois de rigueur et de fiabilité : elles évaluent par exemple les attitudes (voire la satisfaction) des participants, ce qui n’informe pas nécessairement des changements de comportement[3], loin s’en faut (Jewkes, Flood, Lang 2015) ; elles sont fatalement limitées dans le temps et dans l’espace, or il peut exister un effet rebond où les attitudes reviennent à leur niveau pré-intervention un ou deux mois après, voire ont empiré par rapport à leur état initial (Ibid.), et il arrive aussi qu’un programme de prévention des violences sexuelles se traduise par une diminution des viols dans la zone ciblée contrebalancée par une augmentation des viols dans la ville voisine (Zeilinger 2008), dans un effet de vase communicant qui a de quoi décourager. Enfin, certaines initiatives ont un impact positif, mais l’ampleur du changement est selon Flood souvent très limitée. En Belgique, le plan Droits des femmes entend d’ailleurs pallier ce manque en finançant « la recherche scientifique et des projets pilotes pour créer, évaluer et améliorer des programmes de prévention primaire qui s’adressent aux garçons et aux hommes et qui visent à développer des masculinités alternatives et positives et à diminuer leurs comportements violents » (action 1.15). Ces recherches s’avèreront particulièrement précieuses pour amplifier l’impact des campagnes de sensibilisation qui leur succèderont, quoique la mobilisation du concept de « masculinité positive » invite, comme nous le verrons, à une grande prudence.

Si les initiatives de prévention ouvrent de plus en plus les bras aux hommes, cet engouement ne fait pas toujours l’unanimité parmi les mouvements féministes, pour différentes raisons : ainsi, Macomber (2012) observe un « privilège masculin dans le travail anti-violence », qui se traduit par une plus grande reconnaissance symbolique et financière des militants au détriment des militantes ; les inquiétudes sont vives, également, par rapport à la marginalisation des voix des femmes et au « détournement de fonds » destinés à la base aux victimes et survivantes de violences ; enfin, et surtout, l’engagement des hommes, quoique souhaité par certaines, suscite parfois la méfiance des mouvements féministes. En effet, si le groupe dominant qui se mobilise est censé, en tant qu’allié, contribuer à saper le privilège dont il jouit, dans les faits, cet engagement s’avère plus ambivalent, et peut se traduire par une difficulté à remettre en question ledit privilège et les attitudes et comportements qui y sont associés… voire mener à une collusion entre hommes qui ne fait, malgré les intentions pro-féministes initiales, que raviver les discours patriarcaux (Dupuis-Déri 2018).

Cette fâcheuse tendance des groupes dominants (qu’il s’agisse des hommes pro-féministes ou encore des personnes blanches anti-racistes), même pétris de bonnes intentions, à tout mettre en œuvre pour maintenir leurs privilèges plutôt que d’y renoncer, invite à une certaine vigilance. Des spécialistes de la mobilisation des hommes pro-féministes tels que Bob Pease (2008), tout en reconnaissant les avantages que cette mobilisation peut apporter, mettent ainsi en garde contre une possible cooptation, c’est-à-dire un détournement de la lutte à leur avantage.

 

      Le corpus

Nous avons analysé une série de spots et d’affiches de prévention primaire et secondaire destinés aux hommes, en Belgique, en France, en Géorgie, aux Etats-Unis et en Australie ; nous n’avions pas d’autres critères de sélection, et nous avons donc analysé autant d’outils que le temps imparti nous permettait.

  • 1 spot « Georgian rugby players say no to violence against women », réalisé par ONU Femmes en 2010 en partenariat avec l’Union Géorgienne de Rugby
  • 2 affiches et 1 spot vidéo de la campagne Ruban blanc « Sois un homme, respecte les femmes » (17e édition), réalisées par la Ville de Liège en 2019
  • 2 affiches de la campagne Ruban blanc « La violence envers les femmes est l’arme des faibles » (18e édition), réalisée par la Ville et la Police de Liège en 2020
  • 8 affiches de la campagne “My strength is not for hurting” (Men can stop rape, USA, 2000) et 1 spot vidéo réalisé en 2010 par le Tennessee Coalition Against Domestic and Sexual Violence and Verizon Wireless, basée sur la même campagne
  • 10 affiches et 1 Spot de la campagne “My strength is for defending” (Défense militaire US, 2009)
  • 1 affiche « Real men don’t abuse women » (CFMEU, Australie, 2013)
  • 1 affiche “Real men don’t hit women” (City of Grapevine, Texas, 2007)
  • 1 spot de la campagne « Tu seras un homme mon fils » menée par la Fondation des Femmes en France en 2018
 
Le vrai gentilhomme qui pourfend la masculinité toxique

 

« (…) vu que les hommes étaient initialement définis comme « l’ennemi » (…) et sont toujours « la cause » du problème aujourd’hui, il est surprenant que l’engagement des hommes ait pris une telle ampleur » (Macomber 2012, p. 34, notre traduction) … Il y a en effet de quoi s’étonner, avec Macomber, du succès de certaines campagnes masculines de lutte contre les violences de genre[4]. A-t-on jamais vu des dizaines de milliers de patrons se rassembler pour affirmer la nécessité de distribuer plus équitablement les richesses ? Comment expliquer cette place grandissante des hommes dans la prévention des violences faites aux femmes, alors même que la violence est un outil qui permet de perpétuer la domination masculine, qui profite dès lors aux hommes, même non violents (les fameuses masculinités complices, décrites par Raewyn Connell) ? Comment la mobilisation de nombreux hommes est-elle rendue possible ? Une brève contextualisation s’impose.

 

      Marketisation et médicalisation des campagnes de prévention

Selon le sociologue américain Michael Messner (2016), les années 60 et 70 ont marqué un tournant dans la conception du viol, considéré jusqu’alors, le plus souvent, comme des actes déviants commis par quelques hommes mauvais. Les analyses féministes ont caractérisé le viol, a contrario, comme une manifestation normale de la « masculinité patriarcale ». Les années 80 et 90, marquées par l’institutionnalisation et la professionnalisation de la lutte contre les violences sexuelles, ont coïncidé à la fois avec une médicalisation des définitions des violences sexuelles et une marketisation des efforts de prévention. Un changement de paradigme difficilement compatible avec les analyses féministes, qui appréhendaient les violences sexuelles comme une manifestation répandue d’un système patriarcal et non comme le fait de quelques hommes atteints d’une pathologie quelconque (et qui insistaient donc sur les origines sociales et non médicales du problème). En toute logique, cette évolution dans l’appréhension du viol a influencé la façon dont sont façonnées les initiatives de prévention adressées aux hommes. C’est ainsi que, dans les années 90 et 2000, a émergé l’approche de l’ « homme bon » et de l’homme qui a un rôle à jouer en tant que témoin, qui a, toujours selon Messner, renforcé la mobilisation des hommes tout en appauvrissant la politisation de cet enjeu, initialement ancré dans une perspective de justice sociale et non de santé publique.

L’approche féministe des années 70 et 80, adoptée par des hommes militants et axée sur la lutte contre les inégalités structurelles et un questionnement critique des masculinités « dominantes », s’est adoucie vers les années 90. En cause : le ton perçu comme culpabilisant, voire misandre, par de nombreux hommes et garçons, peu propice selon eux à un dialogue constructif. La stratégie de mobilisation a alors changé de façon à séduire les hommes plutôt qu’à les rebuter, et l’objectif de transformation sociale s’est mué en objectif de changement d’attitude, empreinte de « masculinité positive ». Il s’agissait pour les individus de s’inscrire dans le bon camp, celui des gentils hommes (par opposition à ce qui était vu dans ce paradigme de santé publique comme une minorité d’hommes mauvais, les violeurs, ceux qui battent les femmes…), et non plus pour un groupe dominant d’adopter un questionnement critique visant à déconstruire les rapports de pouvoir en leur faveur.

La médicalisation de l’approche préventive va de pair avec sa marketisation. Une série d’articles, de livres, de consultant·es ont alors émergé pour définir les approches les plus susceptibles de toucher un public cible masculin sur les questions de viols ou plus largement des violences faites aux femmes. Un consensus s’est peu à peu dessiné parmi les sociologues, les professionnel·les de la santé publique et les organismes de services sociaux pour privilégier des approches non conflictuelles (Murphy 2010). L’antidote aux discours culpabilisateurs et refroidissants : les pitch de « masculinité positive ». L’homme qui participe à la violence (notamment sexuelle) à l’égard des femmes n’est plus « théorisé comme étant en sur-conformité par rapport aux conceptions dominantes de la masculinité. À la place, il est transformé en une personne peu socialisée aux relations saines basées sur une communication respectueuse autour du consentement » (Messner 2015, p. 6, notre traduction). Il faut lui apprendre, en quelque sorte, à devenir un homme bon. Cet homme bon possède certaines vertus spécifiques.

 

      L’homme fort et courageux

L’homme bon, c’est celui qui réprouve les violences faites aux femmes et montre l’exemple. Selon Macomber (2012), l’émergence de cette figure de l’acteur moral était vouée à susciter des vocations militantes proféministes auprès des hommes : « En dépeignant les hommes comme dotés de qualités spéciales, les activistes ont offert aux hommes des incitants qui satisfaisaient leur désir de se voir comme forts et courageux » (p. 33, notre traduction). La force et le courage sont en effet le leitmotiv de nombreuses campagnes destinées aux hommes, qui se conforment ainsi à un idéal de masculinité hégémonique afin de séduire le public cible. Le soubassement théorique de cette rhétorique est simpl(ist)e et a priori séduisant. Comme souligné par le Conseil de l’Europe (2022), « S’il n’y a pas qu’une seule manière d’être un homme et s’il existe une multitude de masculinités dans des contextes différents, l’idée que la domination et le contrôle sont des aspects souhaitables de la masculinité est une idée souvent répandue dans la société », et à laquelle les hommes sont socialisés dès le plus jeune âge : « les enfants en âge d’aller à l’école primaire peuvent identifier alors la force, les prouesses physiques et la supériorité par rapport aux filles comme des caractéristiques « de garçon » » (p. 23). Puisque les violences faites aux femmes s’enracinent dans la conformisation à des idéaux hégémoniques de masculinité associés à « la domination et au contrôle des hommes ainsi qu’à la soumission et à la passivité des femmes » (Ibid.), il s’agit d’opérer un remodelage sélectif de ces normes de masculinité et de les « détoxifier » : on garde ce qui est considéré comme l’essence même du masculin – la force, le courage, le leadership – mais en le mettant au service du bien, en l’occurrence : le respect des femmes.

La rhétorique de masculinité positive qui en découle fait face à un défi important : celui de « mobiliser les idéaux de masculinité hégémonique que sont la force et la protection sans activer simultanément des normes plus problématiques de puissance hétérosexuelle, bienveillance patriarcale et faiblesse féminine » (Salter 2015, p. 10, notre traduction). Nous tâchons ici d’analyser la façon dont les différentes campagnes de sensibilisation composent avec ce défi, en analysant d’une part le flou et les signes contradictoires qui cristallisent cette tension, et la rhétorique du conflit et de la récompense.

  • Le flouflou

Certaines campagnes, telle celle du Ruban blanc menée par la Ville de Liège en 2019[5], ne mobilisent pas explicitement le concept de force, mais choisissent des protagonistes qui correspondent à cet idéal masculin hégémonique de la force physique (en l’occurrence, le footballeur Eden Hazard et le boxeur Ryad Merhy – photo[6] ci-contre). Associé au slogan « Sois un homme, respecte les femmes », ce choix de représentation renforce l’idée selon laquelle un vrai homme est doté de certaines compétences physiques. Notons néanmoins qu’un spot vidéo développé dans le cadre de cette même campagne, sur lequel nous revenons ci-dessous, met en scène de jeunes sportives liégeoises qui affirment verbalement et visuellement leur force.

hockey 2D’autres campagnes, comme celle du Ruban blanc menée par la Ville de Liège en 2020 ou celle de l’équipe géorgienne de rugby, ne mobilisent pas les concepts de la force et du courage, mais leur versant négatif, soit la faiblesse (à travers le slogan « La violence faite aux femmes est l’arme des faibles » - sur l’affiche[7] ci-contre, ou les propos tenus par les rugbymen, comme « La violence à l’égard des femmes, c’est de la faiblesse ») et la lâcheté (pour les joueurs de rugby, « Maltraiter une femme est lâche »). Ici aussi, le choix comme rôles modèles d’hommes musclés pratiquant un sport de contact considéré comme « viril » entretient l’idéal masculin encore répandu (dans certains secteurs du moins – nous y reviendrons) de la force physique. Si ONU Femmes avait pour idée de « partager des messages critiques aux hommes et aux garçons à propos des stéréotypes » (ONU Femmes 2012, notre traduction) à travers non seulement le spot des rugbymen, mais aussi des interventions dans les médias et auprès de jeunes détenus dans la capitale Tbilissi, cet objectif contraste avec le choix de souligner visuellmuscleement, dans le spot, les attributs de force physique – en atteste le zoom sur le biceps à la seconde 11’’, voir photo ci-contre -, éternel emblème de la masculinité traditionnelle. Cette naturalisation de la force masculine est bien ce que retiennent certains jeunes exposés à la campagne, comme Sandro, 13 ans, qui déclare « Tous mes amis rêvent de devenir des joueurs de rugby. Ils sont forts et gentils, comme des vrais hommes, et je veux être comme eux » - ce qu’ONU Femmes considère comme le signe que « le message de masculinité positive a pris racine » (Ibid., notre traduction).

Toutefois, les slogans de ces deux campagnes élargissent indirectement la portée du concept de force à travers ces prémisses :

  • Les hommes violents sont lâches et faibles
  • Je m’oppose à ces violences
  • Je suis fort et courageux

On déduit donc, par syllogisme, que les hommes qui s’opposent aux violences faites aux femmes sont forts et courageux. Un leitmotiv d’ailleurs affectionné par les mouvements d’hommes alliés, selon Macomber, qui dépeignent souvent les « vrais hommes » comme « assez forts, assez courageux et assez braves pour se dresser contre le sexisme et les violences envers les femmes » (Macomber 2012, p. 35, notre traduction).

D’autres campagnes encore, tout en surfant sur cet élargissement de la notion de force physique pour y inclure la force morale, élaborent une stratégie plus complexe, qui consiste à essayer de re-signifier les concepts associés à un modèle masculin traditionnel, en l’occurrence la force. Telle est la voie suivie par MCSR (Men Can Stop Rape), une organisation américaine de prévention des violences masculines créée en 1997, active dans des programmes éducatifs à destination des jeunes, des services de consultance ou encore des campagnes publiques. L’une d’elles, la campagne « My Strength is not for hurting » (« Ma force, ce n’est pas pour faire du mal »), créée en 2000 et largement diffusée et acclamée, consistait selon Michael Salter (2015) à « étendre les conceptualisations de la force masculine et de l’autorité pour inclure des attitudes de non-violence et de respect dans les relations » (p. 11, notre traduction). Vu l’ancrage profond, dans les mentalités, d’une représentation stéréotypée de la force comme étant masculine et liée aux prouesses physiques, l’élargissement de cette notion nécessite des efforts pédagogiques ou communicationnels. En attestent par exemple les propos tenus par un ambassadeur de la campagne Ruban blanc dans un discours tenu au Parlement en Australie en 2013, selon lequel « les vrais hommes sont dotés de la force et de la taille, mais cette capacité physique est faite pour protéger, pas pour rabaisser ou agresser les femmes » (cité dans Ibid., p. 10, notre traduction) - propos qui activent une autre représentation stéréotypée, celle de la force physique des hommes comme cause des violences faites aux femmes, qui découleraient ainsi de différences biologiques[8]. Quelles sont les « visions alternatives de la force masculine » chères à MCSR ?

Selon leur site web, MCSR promeut « une masculinité saine », et érige en modèles « les partenaires et alliés, qui font preuve de force sans être violents »[9]. Précédemment, leur site indiquait que MCSR éduquait les jeunes hommes à « remettre en question les aspects nocifs de masculinité traditionnelle, à valoriser des visions alternatives de la force masculine, et à assumer leur rôle vital d’alliés des femmes et des filles en favorisant des relations saines et l’égalité de genre » (Murphy 2009, notre traduction). Néanmoins, dans la pratique, la notion de force reste entourée d’un certain flou.

Certes, des témoignages de participants aux programmes éducatif destinés aux jeunes hommes (les MOST club – Men of Strength Clubs) à tous les niveaux d’enseignement semblent corroborer la thèse de l’élargissement de la force physique à la force mentale : « J’ai vraiment appris ce que c’est que d’être un homme, une vraie définition de l’homme. Ce n’est pas avoir beaucoup de muscles et une grosse voix, et tout ça… C’est vraiment ce qu’il y a à l’intérieur, c’est dans ton cœur ». Ou encore : « Être un homme fort, ce n’est pas toujours une question de force physique », « tant que tu te respectes toi-même et que tu respectes les autres, ça fait de toi un homme de force » (Hawkins 2005, respectivement p. 10 et 11, notre traduction). Mais la force physique reste quand même un point de référence (« beaucoup de muscles », « pas toujours une question de force physique ») ; par ailleurs, quand il est question de cette fameuse force mentale, qui se traduit par le respect envers « les autres », la dimension de genre se volatilise. Cette dé-genrisation de la notion de respect dans une campagne pourtant destinée à lutter contre les violences faites aux femmes se retrouve également dans un spot vidéo créé en 2010 par la Tennessee Coalition Against Domestic and Sexual Violence and Verizon Wireless dans leravissement cadre de la campagne « My strength is not for hurting » initiée par MCSR. Alors que la première moitié de la vidéo met en scène des hommes et femmes en couple, seuls des hommes sont représentés dans la seconde partie, où ils entretiennent un dialogue pour le moins mystérieux, mais qui percute tant les protagonistes qu’ils s’arrêtent net dans leur partie de basketball. Ce dialogue, qui consiste à répéter en boucle pendant 30 secondes, en interaction les uns avec les autres, « Si tu montres du respect, tu montres ta force », « Montre ta force, montre du respect », « Oui, j’aime bien, ça ! »[10], provoque, malgré le flou qui le caractérise, une illumination chez les protagonistes, dont le regard s’éclaire tout à coup, accompagné d’un sourire de ravissement face à une lucidité nouvelle (photo ci-contre).

La tentative de re-définir la force mobilise aussi d’autres valeurs que le respect. Le témoignage de Kris K., ancien participant d’un MOST club, explique quant à lui que « Le club était masculin, parce qu’il soulevait la question de ce que cela signifie d’être un homme et comment les hommes peuvent utiliser notre force pour créer un monde meilleur pour les hommes et les femmes qui y vivent. De cette expérience, j’ai appris à utiliser ma force individuelle afin de prendre de meilleures décisions dans la vie, et à guider les autres par l’exemple. (…) La devise du groupe est « Ma force, ce n’est pas pour faire du mal » ; mon extension personnelle à cela, c’est « Ma force, ce n’est pas pour faire du mal, c’est pour aider ceux qui ne comprennent pas à comprendre »[11]. Ici, la force est associée à l’agentivité, soit la capacité à agir sur les choses et les êtres pour les transformer (« créer un monde meilleur », « prendre de meilleures décisions ») et au leadership (« guider les autres par l’exemple », « aider ceux qui ne comprennent pas à comprendre »), soit deux qualités souvent considérées comme masculines.

En 2010, des WISE (Women Inspiring Strength and Empowerment) Clubs, l’équivalent des MOST clubs destinés aux jeunes femmes, ont vu le jour. Si l’un des objectifs poursuivis est que les jeunes femmes « reconnaissent leur potentiel infini et leur force »[12], ce qui pourrait dé-genrer le concept de force, on observe néanmoins un traitement différencié subtil, ne serait-ce que via l’octroi du superlatif « most » (« le plus ») aux clubs masculins ; par ailleurs, les intitulés des clubs eux-mêmes semblent indiquer que les hommes disposent déjà de cette force (Men of Strength), tandis qu’il s’agit d’une simple éventualité pour les femmes (Women Inspiring Strength) – dans le meilleur des cas, car sont-ce les femmes que ces clubs inspirent, ou ces clubs de femmes contribuent-ils à inspirerWISE les hommes pour leur donner de la force ? L’intitulé laisse planer le doute. Par ailleurs, la polysémie du concept de « WISE » (la sagesse, en français) le rend ambivalent : positif pour déconstruire les inégalités de genre quand il se réfère à une connaissance fondée sur l’expérience et à une clairvoyance, il l’est beaucoup moins quand il désigne la conduite ou le comportement « plein de modération », et plus particulièrement « la docilité, le calme, la tranquillité »[13]. Or, en faveur de quelle acception les illustrations choisies par le site web font-elles pencher la balance ? Contrairement aux images illustrant les MOST clubs (où des garçons à la mine généralement sérieuse sont le plus souvent debout et en mouvement), les photographies de présentation des WISE Clubs montrent un groupe de jeunes femmes le plus souvent statiques, figées, sagement rangées, qui sourient de toutes leurs dents en inclinant joliment la tête).

MOST

Les hommes agissent, les femmes paraissent. S’il y a bien une tentative de re-signifier la force, elle reste plutôt l’apanage des hommes, à qui elle est directement accordée, et les nouvelles acceptions vers lesquelles les témoignages renvoient mobilisent en réalité de nouveaux stéréotypes de genre positifs pour les hommes (l’agentivité, le leadership), ou une valeur censée être mise à profit des femmes, mais qui est dé-genrée (le respect) – là où le slogan de Ruban blanc « Respecte les femmes », était sans ambiguïté.

Mais revenons-en aux affiches de la campagne « My strength is not for hurting » : si la force traditionnelle masculine conçue coMCSR 2mme une musculature impressionnante est re-signifiée en force mentale, que cela nous apprend-il des représentations des violences sexuelles véhiculées dans cette campagne ? En quoi consiste cette force mentale, dans les situations décrites (par exemple, dans l’image ci-contre[14], « Donc quand elle m’a demandé d’arrêter, j’ai arrêté ») ? Ce qui requiert manifestement beaucoup de courage de la part de la gent masculine consisterait donc à… ne pas violer. De quoi raviver une idée reçue inhérente à la culture du viol, selon laquelle les hommes auraient des besoins presque irrépressibles, des ardeurs terriblement difficiles à réfréner, qui les conduiraient presque naturellement au viol. Heureusement, avec des efforts surhumains, il est possible de contenir cette libido démesurée, et les héros représentés ici montrent l’exemple.    

Enfin, certains outils de campagne sont plus francs dans leur déconstruction genrée du concept de force. Ainsi, le spot vidéo développé par la Ville de Liège en 2019[15].

On y voit des jeunes femmes, et parfois des jeunes hommes, qui pratiquent le rugby, basket, judo, hockey, handball, sporttennis, athlétisme, ainsi que la boxe, la gymnastique et de l’escrime (cas très intéressant où un garçon et une fille s’affrontent, ce qui déconstruit d’autant mieux les stéréotypes garants d’une hiérarchisation sexuée) – les jeunes femmes crient face caméra des propos propices à l’empowerment - « Je suis forte », « Je ne suis pas le sexe faible », « Je suis une battante », et les garçons renchérissent « Elles sont fortes », « Ce sont des battantes ». Le spot parvient à la fois à dé-genrer le concept de force (physique) et à l’étendre à la force morale (« battante »).  

Dfense 1La campagne « My strength is for defending » (« Ma force, c’est pour défendre »), diffusée (avec quelques variantes) au sein de différentes branches des forces armées aux Etats-Unis (l’armée, le Corps des Marines, la Marine, les forces aériennes), a également opté pour une mixité parmi les protagonistes (voir photos[16] ci-contre) pour illustrer les comportements associés à la force, implicitement redéfinie ici aussi comme le courage d’intervenir. Cette campagne s’adresse en effet aux témoins de comportements problématiques susceptibles de déboucher sur des violences sexuelles, prévenir ces violences étant considéré, selon le slogan, comme faisant partie de leur devoir (« duty »). Le Dfense 2contraste avec les autres campagnes, axées sur l’approche de « l’homme bon » et qui dépeignent exclusivement des figures héroïques d’hommes qui condamnent les violences, s’avère efficace pour déconstruire les représentations de la force comme étant une qualité étroitement associée au masculin.

La campagne n’échappe pas, néanmoins, à un traitement différencié en termes d’attitudes, qui a trait à la rhétorique du conflit et de la récompense.

  • La rhétorique du conflit et de la récompense

Malgré une représentation quantitativement paritaire, potentiellement efficace pour dé-genrer le concept de force, la mise en scène privilégiée par les campagnes My Strength (« My strength is for defending » et « My Strength is not for hurting ») reproduit des schémas inégalitaires et stéréotypés, sur lesquels nous reviendrons au fil de l’étude.

Michael Murphy formule ainsi ce constat :

"L’une des caractéristiques les plus frappantes et les plus constantes des affiches My Strength est l’engagement des modèles masculins vis-à-vis de la caméra, qui semblent regarder hors de l’image pour interpeller directement le spectateur ou la spectatrice. Comme tous les garçons le savent, du moins depuis que leur père leur a appris à serrer les mains, le contact visuel direct est une convention de la culture masculine, un moyen pour les hommes de se reconnaitre l’un l’autre comme pairs, revendiquer la possession de personnes et de biens, affirmer les limites de son espace personnel, communiquer un intérêt sexuel, et menacer ou initier de la violence physique" (Murphy 2009, p. 4-5, notre traduction)

Sur les affiches « My strength is not for hurting » ci-dessous[17], en contrepartie du renoncement sacrificiel masculin, le regard empli

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de tendresse des femmes et la posture de leur corps, en quête de contacts physiques, semblent, selon Michael Murphy, promettre des rapports sexuels ultérieurs.

S’opposent ainsi, dans un rapport dialectique, « le regard masculin actif [qui] revendique toujours la subjectivité qui voit et désire comme une prérogative masculine » et « les femmes [situées] comme objets dépendants, accessoires marginaux d’une conversation entre sujets masculins ; à la fois ceux représentés et ceux du public », dans une « société suprémaciste qui considère habituellement les femmes comme objets du fantasme, désir et plaisir masculin » (Murphy 2009, p. 6, notre traduction). Avec l’auteur, nous nous interrogeons : « Est-ce que l’accès au sexe en guide de récompense est le seul moyen d’obtenir des jeunes hommes qu’ils respectent le droit fondamental des femmes à l’intégrité physique et à la sécurité émotionnelle ? (…) Est-ce que l’absence de viol est tout ce qui est requis pour que fleurissent des relations hétérosexuelles, mutuellement affectueuses ? » (Ibid., p. 7-8, notre traduction). FaitMCSR hommes 2 intéressant : la seule affiche qui représente un couple de façon plus égalitaire, où les protagonistes regardent tous les deux l’objectif et où aucun n’enlace tendrement l’autre, est aussi la seule affiche qui représente deux hommes (en couple)… Alors que la pédagogie de « l’homme bon » appelle les jeunes hommes à respecter leurs partenaires sexuel·les en tant que sujets à part entière (Messner 2015), dans cette campagne, on voit que selon qu’on se situe d’un côté ou de l’autre de ce point médian, l’accès au statut de sujet parait plus ou moins accessible (et cela malgré certains aspects de la campagne que Murphy caractérise d’homophobe). On notera déjà à ce stade que, selon les discours masculinistes, les femmes doivent être « attentives, attentionnées, coopératives, pacifiques et douces – et dépendantes des hommes » (Dupuis-Déri 2018, p. 17)[18]. Les apprentis séducteurs, masculinistes notoires qui « reprochent aux féministes et aux femmes de leur refuser des relations amoureuses et surtout sexuelles, ou au contraire d’être trop entreprenantes et de contrôler la relation » (Ibid., p. 224) n’auraient donc pas grand-chose à craindre de ces affiches.

Notre analyse des affiches « My strength is for defending » corrobore celle de Murphy. Sur celles qui représentent un homme et une femme, il est frappant de constater que l’homme fixe l’objectif tandis que la femme fixe… l’homme (voir photos ci-dessous[19]), d’un regard plein de reconnaissance et de dévotion qui héroïse celui-ci.

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La posture conflictuelle en réponse aux violences faites aux femmes se retrouve de façon plus nette dans d’autres campagnes, comme celle menée en 2013 par la CFMEU en Australie[20], où trois hommes fixent l’objectif, sourcils froncés et bras croisés, manifestement prêts à en découdre avec les auteurs de violences. Ou encore dans la campagne menée en 2007 par la ville de Grapevine au Texas qui met en scène un fonctionnaire municipal, un pompier ou encore un policier ; ce dernier pointe un index accusateur vers l’objectif et jette au public cible un regard sévère (la menace suprême étant, d’après le slogan, de ne pas être reconnu comme un « vrai homme » si l’on commet des violences)[21]

conflit 1conflit 2

Comme l’observe Michael Salter (2015), « la possibilité de violence masculine est fortement insinuée par les expressions menaçantes, les doigts pointés et les uniformes des hommes représentés. La suggestion est que la prévention de la violence envers les femmes sera atteinte par la menace de violence contre les auteurs masculins » (p. 9, notre traduction). L’auteur mentionne notamment un spot vidéo issu d’une campagne australienne (de The Shwartz Foundation) de 2006, où le criminel Mark « Chopper » menace explicitement les auteurs. Plutôt que de déconstruire les masculinités agressives, ces campagnes, parmi d’autres, entendent plutôt mobiliser cette agressivité dans un combat pour une cause perçue comme noble, soit le conflit violent contre des perpétrateurs de violences faites aux femmes, ce qui a pour effet de légitimer cette attitude conflictuelle. Michael Salter observe, plus largement, que, même dans des campagnes qui ne prônent pas le recours à la violence pour s’opposer aux violences faites aux femmes, les expressions très répandues de « standing up » (« se lever » pour protester), « manning up » (expression sexiste que l’on pourrait traduire par « Prendre les choses en mains » ou « être courageux » - se comporter « comme un homme », en somme), « challenge » (« défier »), etc. semblent « empêtrées dans des pratiques d’auto-glorification masculine » (Ibid., p. 10, notre traduction), qui reposent notamment sur la représentation de la protection des femmes comme une prouesse masculine. La récompense de ce comportement est claire : s’affirmer (et être reconnu par ses pairs) comme un homme véritable. Ces campagnes construisent ainsi les hommes auto-proclamés « non violents » comme « plus authentiquement masculins que les autres hommes » (Macomber, citée dans Salter 2015, p. 11, notre traduction). C’est ce que dit aussi, en substance, la campagne Ruban blanc qui met en scène Eden Hazard et Ryad Merhy, à travers le slogan « Sois un homme, respecte les femmes ». Aux questions proféministes de l’Australien Anthony McMahon « Sommes-nous prêts à ne plus être des hommes, mais seulement des êtres humains comme les autres qui ne seraient pas supérieurs en raison de leur sexe ? Sommes-nous prêts à considérer la combativité, l’autonomie, la solidarité et l’entraide comme des valeurs ou des attitudes humaines, et non pas masculines ou féminines ? » (cité dans Dupuis-Déri 2018, p. 300), une réponse assez nette se dessine.

Les joueurs de rugby géorgiens qui disent « non » aux violences faites aux femmes développent une rhétorique similaire à travers le slogan « Let women abusers come and scrum with us » (« Laisse les agresseurs de femmes venir et faire une mêlée avec nous » (ONU Femmes 2012, notre traduction)), où le processus de légitimation des violences est cette fois double : comme précédemment, la violence est réorientée vers une cause perçue comme noble – pourfendre les auteurs de violences – mais elle n’est pas anodine dans un contexte de sport de contact de haut niveau, où la violence peut être valorisée. En effet, de nombreuses initiatives de sensibilisation adressées aux hommes mettent en scène des sportifs, mais pas de n’importe quelles disciplines. Il s’agit de sports considérés comme « virils », que la sociologue Nathaly Gagnon (1995) décrit comme des sports particulièrement valorisés dans la société, donc associés au masculin, et qui comportent bien souvent une dimension d’agression physique : ces « sports d’équipe de type agressif », en tant que « lieux importants de pratiques de masculinisation », « sont typiquement des institutions où la force physique et la capacité de se battre sont célébrées, où la solidarité mâle, et surtout la solidarité parmi les mâles agressifs et dominants, est aussi célébrée, ce qui renforce les contraintes sur des garçons qui voudraient expérimenter d’autres manières de devenir des hommes » (p. 48). Malgré une timide tentative d’élargir, indirectement, l’acception du concept de force, la représentation des masculinités dans cette campagne n’a en réalité rien de contre-hégémonique ; ce ne sont pas des alternatives à la force physique qui sont valorisées, mais plutôt une maitrise de la force physique, qui conditionne le prestige social dont jouissent les athlètes. En effet :

"on peut sans doute affirmer que dans la société actuelle, certains sports – hockey, rugby, soccer, boxe, football – sont des enclaves de l’expression socialement acceptable, ritualisée et plus ou moins contrôlée de la violence physique et que cela confère un prestige social aux hommes qui peuvent se battre physiquement". (Gagnon 1995, p. 49)

Le portrait dressé est doublement valorisant pour les joueurs de rugby :

  • d’une part, ils s’auto-situent au-dessus de la mêlée (sans mauvais jeu de mots). On passera rapidement sur la caractère osé, risqué et – on peut l’affirmer après une recherche en ligne en quelques clics à peine - mensonger de l’affirmation « Rugby players never do it », (« les joueurs de rugby ne commettent jamais [de violences à l’égard des femmes] », à la seconde 9’’ du spot). Outre le fait que des affirmations aussi grossières tournent ce genre d’initiative de sensibilisation en ridicule dès que des faits viennent contredire les discours (ce qui ne manque jamais de se produire : si une femme sur 7 subit de la violence domestique en Géorgie (ONU Femmes 2018), comme s’assurer que les femmes de joueurs de rugby y échappent ?), on peut aussi se préoccuper, dans ce cas, d’une difficulté potentiellement accrue pour les victimes à obtenir justice : dans quelle mesure ériger, sans réel fondement, des célébrités en figures de lutte contre les violences faites aux femmes ne risque-t-il pas de compliquer la tâche de qui aura le courage de dénoncer les violences perpétrées par ces hommes présentés comme des modèles de vertu ? Selon Bob Pease (2008), les craintes selon lesquelles certains hommes impliqués dans la prévention des violences commettraient eux-mêmes des violences sont malheureusement fondées.
  • d’autre part, ils s’érigent en figures morales de gentilshommes forts tout en soulignant en creux leur aptitude à maitriser la violence et à l’utiliser, eux, de façon noble, en bons sportifs professionnels.

Il en va de même des joueurs de hockey représentés en pleine prouesse sportive dans la campagne du Ruban blanc, selon laquelle « La violence envers les femmes est l’arme des faibles ». Ainsi, la récompense pour les hommes qui osent « se dresser contre » les violences faites aux femmes est double, dans ces contextes de « sports d’équipe de type agressif » : la critique sévère des hommes faibles qui, d’après ces représentations, utilisent leur force à mauvais escient permet de s’affirmer non seulement comme un « vrai homme », mais aussi comme un vrai sportif.

Selon quels critères un homme peut-il entrer dans le club très sélect des « vrais hommes » ? Un vrai homme se définit par ce qu’il est (fort, courageux), par ce qu’il ne fait pas (violenter les femmes), mais aussi, comme on commence à le voir, par ce qu’il fait. Contrairement aux deux premiers critères, le troisième est verbalement implicite, mais visuellement explicite.

 

      L’homme qui fait des activités d’hommes

Ce ne sont pas des hommes en train de soigner un enfant malade ou de laver le linge qui exhortent leurs pairs à se conduire comme de vrais hommes. Dans les campagnes analysées, les hommes s’adonnent à des activités « d’hommes » - le sport, le travail de chantier, des métiers d’armes.

Il y a une raison tout à fait objective à cela : le constat selon lequel les violences sexuelles sont endémiques dans les milieux militaires, sportifs, les écoles et les universités (Messner 2015) - la campagne « My strength is not for hurting » a d’ailleurs été conçue pour les écoles et les universités, puis adaptée à différentes branches de la Défense sous le nom « My strength is for defending ». En matière de sport, la corrélation avec les violences faites aux femmes s’étend même au contexte de réception : aux Etats-Unis, la journée du Super Bowl serait la plus violente de l’année pour les femmes (Gagnon 1995), et une hausse des violences est également constatée en Belgique lors de la Coupe du monde de football…

Les secteurs considérés comme masculins n’ont pas le monopole des violences faites aux femmes. Ainsi, ces violences sont aussi fréquentes dans des secteurs largement féminisés, où la ségrégation verticale favorise le harcèlement sexuel (Chung, Zufferey, Powell 2012). Néanmoins, les violences à l’égard des femmes dans des « emplois situés dans des chasses gardées masculines » (Legault 2001, §22) recèlent des spécificités, étroitement liées à l’infériorité numérique marquée des femmes, elle-même corrélée à la célébration de « la masculinité traditionnelle » en vigueur dans ces secteurs. En effet, les femmes courent davantage de risques de subir des violences « dans les contextes professionnels qui valorisent les comportements et les traits traditionnellement masculins (par exemple, le sport et l’armée), qui ont aussi vraisemblablement des ratios inégaux d’employé·es hommes : femmes » (Carmody et al. 2016, p. 33, notre traduction). Il en va de même au sein de la police et des forces de sécurité, comme le rappelle Michael Flood (2011), selon qui

"il existe des preuves que les sous-cultures à prédominance masculine et axées sur l’homosocialité dans certains sports, lieux de travail et groupes sociaux informels impliquent des risques élevés de normes favorisant la violence et la perpétration de violences entre partenaires intimes". (p. 370, notre traduction)

Outre les violences sexistes et sexuelles vécues au travail, a fortiori donc dans des secteurs peu féminisés, la discrimination des femmes sur le marché de l’emploi les expose également davantage aux violences conjugales. Le lien entre division sexuelle du travail et violences conjugales est, en effet, bien établi : cantonnées au travail gratuit ou mal rémunéré, les femmes (et particulièrement celles à la croisée de plusieurs rapports de domination) sont davantage exposées que les hommes à l’insécurité financière, et donc à la dépendance économique vis-à-vis d’un partenaire (Weismann 2007).

Le choix de représenter ces secteurs considérés comme masculins représente-t-il dès lors une aubaine pour mettre un terme aux différentes formes de violences faites aux femmes ? L’examen de ces campagnes au prisme de la place qu’y occupent (ou non) les femmes fait plutôt songer, a minima, à une occasion manquée. Passons rapidement en revue les différents secteurs représentés dans notre corpus.

  • Le sport

Comme évoqué précédemment, le sport fait partie des institutions au sein desquelles et via lesquelles l’hégémonie masculine se construit et se perpétue. Ainsi,

"le sport sert à soutenir rituellement un aura de supériorité et de compétence masculine pour des habiletés publiquement acclamées, comme il soutient le monopole des hommes sur l’agression et la violence. L’inverse de ce processus mène à l’infériorisation des femmes et de leurs habiletés ainsi qu’à leur exclusion de la base ultime du pouvoir social, la force physique." (Gagnon 1995, p. 48)  

L’échec des campagnes mobilisant des figures sportives à dé-genrer la force physique (au contraire réaffirmée comme une qualité intrinsèquement masculine), qui exclut de facto les femmes de cette « base ultime du pouvoir social », va de pair avec leur exclusion de nombreux spots et affiches. Dans le matériel de campagne évoqué jusqu’ici, les boxeurs, joueurs de football, hockey (les campagnes Ruban blanc de la ville de Liège) et rugby (la campagne d’ONU Femmes en Géorgie) représentés sont exclusivement des hommes.

Nathaly Gagnon soulève trois hypothèses sur les liens entre culture sportive et violences faites aux femmes : le sport, en tant que l’un des principaux lieux de construction sociale de la masculinité, véhicule, promeut et naturalise des normes comportementales (la société encourage les garçons à être agressifs, forts et dominateurs, et les filles à être obéissantes, passives et soumises, ce qui tend vraisemblablement à les exclure de la culture sportive) ; la valorisation de ces comportements masculins présents dans le sport contribuent au maintien des « modèles de privilège masculin et de subordination féminine (en fait, les structures de domination) qui existent en dehors du sport lui-même » (Ibid., p. 43) ; enfin, « le sport contribuerait en fait à la formation de modèles historiques du pouvoir masculin sur les femmes » (Ibid., p. 38). On voit comment des campagnes qui représenteraient uniquement des hommes dans des pratiques sportives risquent d’entériner l’assignation des femmes à la docilité et la passivité, et la légitimation de l’agressivité chez les hommes.

Heureusement, comme évoqué précédemment, en 2019, en plus des affiches qui mettent en vedette les parrains de la campagne Ruban blanc, Eden Hazard et Ryad Merhy, la ville de Liège a développé, en collaboration avec 14 clubs sportifs locaux un spot vidéo[22] « afin de mettre en avant les filles et les femmes dans le sport, la place à part entière qu’elles occupent dans les différentes disciplines, la reconnaissance et le respect réciproque qui doivent être une réalité »[23], ce qui contribue à déconstruire les stéréotypes excluants pour les femmes ; le spot a privilégié une mixité, ce qui est vraisemblablement la stratégie idoine pour s’adresser en priorité à un public masculin sans invisibiliser les femmes. Les inégalités y sont cette fois dénoncées sans fard, à travers les propos énoncés avec force par les filles (« Je fais ce que je veux », « Je suis ton égale », « Je décide », « Respecte-moi », « Ne m’insulte pas » ou encore « Je fais ce que je veux »), mais aussi par les garçons, qui soutiennent leurs propos (« Elle est mon égale », « Respecte » ou encore « Ne les insulte pas »). L’asymétrie qui caractérise les rapports sociaux de sexe apparait nettement, ainsi que la responsabilité des hommes pour y mettre un terme. Les deux groupes, quel que soit leur genre, exhortent : « Ose, parle, dénonce ». C’est donc à la fois en tant qu’auteurs potentiels et en tant que témoins que le public cible masculin est apostrophé.

Il s’agit selon nous d’une excellente initiative, car comme le souligne la sociologue Christine Mennesson (2007) : « Malgré la progression quantitative de la pratique des femmes et leur entrée dans des disciplines « masculines », le monde sportif reste un domaine social où les rapports de pouvoir sont globalement très défavorables aux femmes » (p. 19). Dans ce spot, la déconstruction de la force physique comme qualité intrinsèquement masculine va pas de pair avec une valorisation de pratiques sportives moins associées à l’agressivité (par exemple, la gymnastique, l’athlétisme, le tennis…). En effet, selon Nathaly Gagnon (1995), il est impératif « que nous offrions aux garçons et aux filles des expériences similaires d’empowerment qui permettent de développer habileté et force physique par des sports non agressifs » et que nous « célébr[ions] ces qualités plus que les capacités d’agresser autrui » (p. 48).

Nous formulerons ici trois constats, qui sont autant de pistes d’amélioration : nous avons dû un peu fouiller pour dénicher cet outil de campagne, quand les posters d’Eden Hazard et Ryad Merhy apparaissaient très vite dans nos recherches (ces posters figurent également, d’ailleurs, dans le spot vidéo) ; à ce sujet, on peut aussi noter que les jeunes sportives sont absentes des affiches, dont on peut supposer qu’elles touchent un plus large public (d’autant que la vidéo est longue, 3’10’’) ; enfin, les disciplines sportives déconstruisent les stéréotypes associés aux femmes davantage que ceux associés aux hommes – dans ce spot, ni dans aucun autre porté à notre connaissance, ne sont représentées des pratiques sportives qui reposent sur d’autres codes et célèbrent moins la force physique et le combat (quid de danseurs ou patineurs artistiques - ou de gymnastes masculins, puisque leurs homologues féminines apparaissent dans le spot - qui dénonceraient également les violences faites aux femmes ?). Ce choix de représentation a trait à la perpétuation d’une masculinité hégémonique basée sur la force et la violence physique, soit tout ce qu’il faut pour « apprendre à être un homme sur les terrains sportifs » (Gagnon 1995, p. 20) - ce que le slogan « Sois un homme, respecte les femmes » vient corroborer, malgré une représentation paritaire dans le spot. Le spot contribuera donc à lutter contre « l’exclusion et la domination des femmes », mais moins contre « la compétition et la hiérarchie entre les hommes », ce que Raewyn Connell (citée dans Ibid.) identifie comme les deux types de structuration des rapports sociaux de sexe dans l’organisation institutionnelle du sport.

Du côté d’ONU Femmes, on notera que l’initiative mettant en vedette les joueurs de rugby géorgiens a inspiré à la fédération géorgienne de football l’organisation d’un tournoi de football féminin autour du thème de la lutte contre les violences faites aux femmes (ONU Femmes 2012), qui va dans le même sens d’une visibilisation des sportives actives dans des disciplines considérées comme masculines, sans contester pour autant l’association exclusive entre masculinité hégémonique et la pratique de « sports d’équipe de type agressif ». Par ailleurs, ici aussi se pose la question d’une visibilité différenciée, entre un spot vidéo facilement accessible en ligne et un tournoi dont on ignore s’il a laissé des traces autres qu’une simple mention dans des articles de presse.

Si cette campagne ne s’adresse pas aux hommes mais plutôt au grand public, le spot[24] moldave créé en 2012 par l’OSCE (Organization for Security and Co-operation in Europe) pousse un (tout) petit peu plus loin la déconstruction : il met en scène des champion·nes d’haltérophilie et une championne de lutte, un champion de boxe, mais aussi un champion qui s’illustre, une fois n’est pas coutume, dans une discipline sportive qui ne mobilise pas l’agressivité physique, à savoir la natation. Ici aussi, le leitmotiv du « vrai homme [qui] ne bat pas les femmes » est mobilisé.

On retiendra que ces spots montrent que les femmes peuvent faire « comme les hommes », davantage qu’ils n’ouvrent le champ des possibles des masculinités. L’analyse d’une émission australienne relative au rugby abonde dans ce sens : elle révèle comment cette émission créait « un archétype de la masculinité qui est basé sur les caractéristiques masculines traditionnelles de la virilité, de l’agressivité et de l’anti-féminité » (Murray et al. 2016, p. 5, notre traduction), et comment les discours autour du rugby reproduisent dès lors l’ordre de genre et la hiérarchisation sexuée. Dans les 3 épisodes composant le corpus, tout trait associé à la féminité ou à un défaut de masculinité était tourné en ridicule, qu’il s’agisse de chaussures violettes portées par un joueur ou de disciplines sportives considérées comme moins viriles dans ce contexte (le surf, et particulièrement la danse). Nous pouvons facilement établir un parallèle entre l’anti-féminité qui se déploie dans ces discours, et l’évolution au fil du temps d’une campagne de sensibilisation aux violences faites aux femmes lancée en 2010 par the British charity Women’s Aid : des hommes anglais, notamment des sportifs et autres célébrités, prenaient la pose vêtus d’un t-shirt « I’m a real man », certains portaient des tutus roses, sacs à main ou autres « signifiants féminins », le tout sur fond rose. Comme le souligne Michael Salter (2015),

"La campagne était délibérément comique dans sa juxtaposition d'hommes célèbres et prospères adoptant un comportement ostensiblement non masculin tout en portant un t-shirt proclamant leur masculinité. (…) Plus généralement, la campagne a activement encouragé les garçons et les hommes à remettre en question de manière ludique les notions fixes de genre et de sexualité." (p. 12, notre traduction) 

Ce détournement subversif du genre n’a pas résisté à l’épreuve du temps, ou plutôt à la puissance de l’ordre de genre : dans les années qui ont suivi, le contraste humoristique entre signifiant (les accessoires « féminins ») et signifié (la notion de « vrai homme ») a diminué en intensité, jusqu’à être réduite à peau de chagrin, au profit d’une campagne classique d’hommes qui, via leur t-shirt, affirment plutôt que contestent l’existence d’une authenticité masculine. La « caractérisation de la masculinité comme diverse et ouverte à la réinterprétation » n’a pas fait long feu et la campagne, « réorientée autour des représentations conventionnelles de la masculinité, [s’est] finalement terminée par le cliché du sexisme bienveillant » (Ibid., notre traduction), à travers la figure du vrai homme qui protège les femmes. Une explication possible à cette évolution réside, selon l’auteur, dans le refus de célébrités de mettre en jeu leur masculinité hégémonique, gage de « leur capital culturel et marketabilité ». Le risque de perdre les privilèges que leur position privilégiée (de genre, de classe…) leur confère aurait ici délimité l’engagement des hommes alliés.

 

  • Les métiers d’armes

Outre le sport (et certaines disciplines en particulier), les métiers d’armes constituent par excellence des activités associées au masculin dans les représentations collectives. Quelle place les campagnes actives dans ce champ thématique octroient-elles aux femmes ?

Pour ce qui est de l’initiative de la ville de Grapeville au Texas, nous n’avons retrouvé la trace que d’une seule des trois affiches, celle du policier qui pointe un index accusateur vers l’objectif. Nous savons néanmoins via Salter (2015) que les autres protagonistes - le pompier et le fonctionnaire municipal - sont également des hommes qui s’adressent aux hommes.

Du côté de la campagne My Strength menée par différentes branches de l’armée américaine, la place des femmes se caractérise, comme nous allons le voir, par une certaine ambivalence. Certes, elles sont représentées, mais une analyse plus approfondie révèle un traitement différencié, en termes d’occupation de l’espace et de distribution genrée des protagonistes selon les slogans.

Sur les affiches de la campagne (voir photos ci-dessous[25]), en effet, l’homme occupe l’avant-plan de l’image et la femme est reléguée à l’arrière-plan, ce qui renforce a minima le leadership masculin et un rôle de protecteur, qui « re-genre » les concepts éponymes de force et de protection (« My strength is for defending »), dont la déconstruction n’est décidément que partielle.

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derrire femmeOn peut d’ailleurs remarquer que, sur l’affiche mettant en scène 2 femmes[26], le retrait est moins marqué : la marine de droite oblique l’épaule pour permettre à sa collègue de se placer presque sur le même plan.

Même constat pour le spot vidéo issu de cette campagne[27] : sur les 4 extraits qui représentent à la fois un homme et une femme, tous placent le soldat au premier plan. Si, selon la voix off – masculine - « il y a beaucoup de façons d’être un héros » et que « prévenir les agressions sexuelles est l’une d’elles », les représentations inégales en termes d’occupation de l’espace veillent à ce que le héroïsme soit associé à un genre plus qu’à un autre.

 

Pas que le héroïsme, d’ailleurs : est-ce le hasard ou un biais de genre qui fait que les affiches où les femmes sont les moins représentées sont celles où les professions sont explicitement nommées ? Si une femme parvient vaille que vaille à montrer le boutwingmen de son nez sur l’affiche des matelot·es (« sailors ») (voir poster ci-dessus), les femmes sont absentes de l’affiche des ailiers (« wingmen »), ci-contre[28]. Celle-ci cultive l’ambigüité en mobilisant à demi-mot l’argument classique du « vrai homme », à travers le slogan « Real wingmen act » (« les vrais ailiers agissent »). Le terme « wingwoman » ne figure pas au dictionnaire - loin de désigner une ailière (soit une pilote qui en soutient un·e autre lors d’un vol)[29], son acception communément partagée le réduit au rôle de la femme qui aide un ami à séduire une femme, fait linguistique révélateur s’il en est. On pourrait donc imaginer que le terme « wingmen » doit être lu comme un masculin générique (ce qui serait de toutes façons problématique). Et en même temps, l’affiche illustrant les matelot·es ne développe pas un argument similaire qui consisterait à qualifier de « vrai·es matelot·es » celles et ceux qui agiraient contre les violences faites à leurs collègues. Il est donc difficile de ne pas voir dans le slogan des ailiers une réactivation du leitmotiv du « vrai homme », mobilisé dans de nombreuses campagnes.

Cette analyse qualitative donne l’impression que, si les femmes sont tolérées dans ces professions, elles restent néanmoins l’apanage des hommes (ce que suggérait déjà le regard plein d’admiration et de reconnaissance des femmes envers leurs collègues masculins, évoqué plus haut). Or, selon Justin-Ryan Abueg (2016), pour être réellement efficace, une politique de prévention des violences sexuelles dans l’armée doit se recentrer sur une approche critique de la masculinité et de la domination masculine[30], à l’origine des inégalités dans l’armée, elles-mêmes causes et conséquences des violences sexuelles. Ces inégalités se traduisaient par exemple, jusqu’à récemment, par « des règles et règlements [qui] interdisaient aux femmes d'être placées dans des branches dont le but direct était le combat ». Bien que cette interdiction soit aujourd’hui levée, « il n'y a pas encore eu d'intégration à grande échelle où les femmes se sentent socialement acceptées pour rejoindre ces branches en grand nombre » (p. 30, notre traduction).

Alors même que, toujours selon Abueg, l’hégémonie masculine constitue l’une des principales causes de la prévalence des violences sexuelles au sein de l’armée, le traitement différencié observé dans la campagne « My Strength is for defending » semble la perpétuer (quoique subtilement), plus que de la déconstruire.

  • La construction

Du côté du travail sur chantier, la représentation sur l’affiche du CFMEU est 100% masculine. On y retrouve le fil conducteur de nombreuses campagnes, évoqué précédemment, à savoir l’archétype du « vrai homme » : si l’on s’en tient à la communication verbale, les vrais hommes sont ceux qui ne maltraitent pas les femmes ; mais l’affiche informe aussi d’un point de vue visuel l’essence de cette authenticité masculine. Comme le souligne Salter (2015), cette approche essentialiste est paradoxale dans une campagne de prévention des violences faites aux femmes. En effet : 

"Dans l’approche de cette campagne, la « vraie masculinité » est incarnée par les hommes dans les emplois à prédominance masculine de la classe ouvrière. Le message est clair : les « vrais hommes » ont de « vrais boulots » et ne frappent pas les femmes. Ces représentations de « vrais hommes » s'accordent avec des logiques sociales tenues pour acquises sur les masculinités respectables de la classe ouvrière, mais il s'agit d'une approche problématique pour les campagnes qui prétendent prévenir la VFF [NDLR : violence faite aux femmes] pour de multiples raisons. Ces campagnes ont pour but de célébrer la « réelle masculinité » des hommes dans des effectifs à prédominance masculine dont les femmes ont été historiquement exclues. C'est précisément la marginalisation des femmes dans certaines sections de la main-d'œuvre qui augmente la probabilité de harcèlement sexuel et promeut des cultures de travail favorables à la VFF (Chung, Zufferey et Powell, 2012)." (p. 8, notre traduction – c’est nous qui surlignons)

Comme évoqué précédemment, la discrimination au travail expose davantage les femmes aux violences conjugales également. On voit à quel point des affiches qui tentent de déconstruire la division sexuelle du travail auraient été bienvenues dans une campagne de prévention. Le moins que l’on puisse dire est que le leitmotiv du « vrai homme » associé à une représentation exclusivement masculine du travail de construction ne va pas tout à fait dans ce sens. Cette rhétorique s’avère au contraire efficace pour renforcer la chasse-gardée d’un secteur traditionnellement masculin ; elle réactive au contraire « une certaine conception du bâtiment ; celle d’emplois pénibles physiquement, si pénibles que les femmes – catégorie socialement, historiquement et physiquement construite comme faible (Mathieu 1985 ; Dowling 2001 – seraient dans l’incapacité d’y travailler (Gallioz 2006a) » (Gallioz 2009, p. 56). Ici aussi, la question de la force physique, sans être citée, cristallise la réaffirmation du secteur de la construction comme un bastion masculin.

On constate ainsi selon les campagnes une graduation dans la naturalisation de la force masculine et dans l’exclusion et/ou la subordination des femmes (comme promesse d’une sexualité florissante ou comme faire-valoir de l’héroïsme masculin). Parmi ceux que nous avons évoqués jusqu’ici, seul le spot vidéo du Ruban blanc réalisé par la Ville de Liège semble y échapper. D’où la question : cet essentialisme stratégique, dont le leitmotiv transversal du « vrai homme » est le moteur, à qui profite-t-il exactement ?

 
Un essentialisme stratégique… pour le mauvais groupe social ?

 

Si Murphy considère que les discours de masculinité positive en vue de mobiliser les hommes alliés s’apparente à de l’essentialisme stratégique, une contextualisation de ce concept s’impose afin d’éviter de le dévoyer. Forgé par la philosophe postcoloniale Gayatri Spivak, ce concept désignait la possibilité de déconstruire théoriquement les catégories qui permettent l’oppression de certains groupes sociaux (les femmes, les personnes racisées, etc.), tout en mobilisant dans la pratique ces catégories à des fins politiques d’empowerment. En effet, toute action de lutte présuppose la formation de collectifs, qui se forment sur la base de catégories socialement construites tout en contestant cette catégorisation (et la hiérarchisation qui suit)[31]. Ainsi,

"Bien qu’aucune conception positiviste ou déterministe de l’identité ne soit désirable, Spivak en autorise toutefois l’usage occasionnel, dans un contexte spécifique et bien défini, pour les besoins de son entreprise. Lors d’un combat aux buts ciblés et spécifiques, il est ainsi justifié de postuler l’identité d’un groupe possédant des caractéristiques communes afin d’en promouvoir les intérêts tout en continuant de discuter et de contester l’hégémonie de l’essence identitaire." (Bahri 2010, §24)

L’essentialisme stratégique doit permettre l’expression politique des subalternes, concept emprunté à Gramsci et qui désigne les groupes sociaux dominés et sans identité de classes.

Appliqué à un groupe qui détient le pouvoir (en l’occurrence, les hommes – sans nier l’hétérogénéité de cette catégorie), le concept d’essentialisme stratégique peut nous entrainer sur un terrain glissant. À force de mettre en scène presque exclusivement des hommes qui parlent à d’autres hommes, ne risque-t-on pas d’oublier qui sont ou devraient être les vraies bénéficiaires de ces campagnes de prévention ? Michael Flood avertit que « la mobilisation pro-féministe sur des questions de genre [est] une forme délicate d’activité politique, puisqu’elle implique la mobilisation de membres d’un groupe privilégié dans le but de saper ce même privilège » (cité dans Macomber 2012, p. 14, notre traduction). Ainsi, en toute logique, la mobilisation des hommes alliés doit représenter un coût pour eux. Qu’en est-il ?

 

      Un coût pour les hommes ?

Nous avons vu précédemment qu’en règle générale, parfois malgré les intentions initiales, les campagnes réaffirment plus qu’elles ne contestent la force physique comme une qualité intrinsèquement masculine. Elles entérinent plus qu’elles ne déconstruisent la division sexuelle du travail. La survisibilité du concept de force n’est d’ailleurs pas surprenante, au regard des secteurs professionnels représentés : alors que, dans la plupart des institutions, « la force physique a perdu beaucoup de son importance dans le maintien de la domination masculine »[32], celle-ci reste le principal garde-chasse dans certains bastions masculins tels que :

  • de nombreux sports où « la puissance exigée (…) fonctionne comme une preuve matérielle et symbolique de la suprématie masculine» (Mennesson 2007, p. 20) ;
  • le secteur de la construction, où « une grande majorité de la main-d’œuvre y voit une compétence indispensable à l’exercice du métier» - l’engagement de femmes pour effectuer le même métier ouvrier peut alors être vécu comme un affront, une remise en question de la légitimité exclusive des hommes sur un chantier (Gallioz 2009, p. 64) ;
  • l’armée, où « Les propriétés définissant le militaire correspondent ainsi étroitement à celles attribuées aux hommes (la force physique et morale, le courage, l’autorité, la fermeté, la maîtrise de soi, etc.) » (Prévot 2010, p. 86). On voit donc que, même si la force physique est re-signifiée pour englober la force mentale, cela ne suffit pas toujours à dé-genrer le concept. Par ailleurs, l’analyse de la segmentation horizontale en vigueur à l’armée apporte un éclairage nouveau à notre analyse de la dévotion des femmes envers leurs collègues masculins sur les affiches « My strength is for defending », puisque « Même affectées à des unités combattantes, elles occupent principalement des emplois de soutien (auxiliaire sanitaire, secrétaire, fourrier, etc.) » (Ibid., p. 84-85).

Alors que « c’est en féminisant des métiers requérant traditionnellement de la force physique que l’on remet en cause cette ‘compétence’ (…) comme source de construction identitaire » (Gallioz 2009, p. 64) dans ces bastions masculins, l’absence des femmes comme sujets à part entière pose question.

Mais le focus sur la force physique, qui reste subtilement ou grossièrement associée aux hommes, n’est pas le seul message que véhiculent les campagnes. Le leitmotiv du « vrai homme », associé à l’absence presque totale de femmes sujets, fonctionne comme garant de l’homosocialité masculine inhérente aux secteurs professionnels représentés. Or, comme l’observe Margaret Maruani, « Ce ne sont pas tant les problèmes de résistance physique qui gênent [les femmes], mais plutôt ceux liés aux rapports avec les collègues et la hiérarchie masculine : pour ces quelques femmes perdues dans un monde d’hommes, les phénomènes d’exclusion sont le lot quotidien, sauf lorsqu’elles forment un groupe » (citée dans Legault 2009, §109). En réaffirmant que les vrais hommes sont ceux qui ne maltraitent pas les femmes, mais aussi ceux qui ont un vrai travail d’homme, les messages flatteront sans doute le public cible, mais quels sont ses effets sur le reste du public, féminin, qui sera lui aussi exposé à ces campagnes ? La plupart des concepteurs ne semblent pas y avoir réellement réfléchi.

Il en va de même de l’objectif pédagogique. Si certaines initiatives donnent des exemples concrets de comportements à adopter - arrêter parce qu’elle a changé d’avis, ne pas considérer qu’elle lui doit quoi que ce soit parce qu’il a réglé l’addition (My Strength is not for hurting), proposer de reporter les faits au service concerné (My Strength is for defending) – les outils analysés véhiculent souvent des propos assez généralistes (« Respecte les femmes », « Je condamne les violences », « Les violences sont inacceptables »…) qui, d’une part, visent un changement d’attitude plus qu’un changement de comportement et, d’autre part, échouent à outiller le public pour qu’il comprenne mieux le continuum des violences (le slogan contre-productif « Un vrai homme ne bat pas sa femme » entérinant la représentation stéréotypée des violences conjugales comme étant avant tout physiques).

Si la notion de respect est souvent mobilisée, elle n’est jamais réellement définie ou illustrée à travers des exemples concrets. Que signifie « respecter les femmes », au juste ? Faire preuve de galanterie et leur tenir la porte ? De nombreux hommes (et femmes) considèrent en effet que le sexisme bienveillant est une marque de respect envers les femmes. Les rares fois où une campagne donne des exemples concrets, le respect du consentement est tourné de façon à objectifier les femmes et renforcer le statut de leader de l’homme au sein du couple (« My Strength is not for hurting »). Dans les différentes campagnes, la définition de ce que recouvrent les termes de « respect » ou « violences », ou plus précisément des « violences physiques, psychologiques et sexuelles », est ainsi laissée à la libre appréciation de chacun. Et c’est bien le problème : parce que chacun s’auto-positionnera du bon côté de la « ligne » qui sépare les « vilains » des « mecs bien », pour reprendre la métaphore de l’écrivaine et actrice australienne Hanna Gadsby traduite en images par la dessinatrice Emma[33]. Cette ligne, chacun va la déplacer selon les circonstances afin de toujours se trouver du bon côté, comme ce personnage qui déclare « Mon pote Adrien ? Ok il est un peu rustre avec sa femme, mais on peut pas dire qu’il est violent ! » - exemple qui se prête très bien à notre analyse – et qui, « comme tous les hommes, [est] persuadé d’être du bon côté ». Dans son discours « The good men », en 2018, repris dans la BD d’Emma, Hanna Gadsby déclarait ainsi : « Devinez ce que ça donne quand tous les « mecs bien » s’octroient le droit de tracer cette ligne ? Ça donne le monde actuel. Un monde plein de mecs qui font de très mauvaises choses, tout en croyant du fond du cœur qu’ils sont bons, puisqu’ils n’ont pas dépassé la ligne. Vu qu’ils l’ont redessinée à leur avantage ». C’est ce que permet le flou qui caractérise de nombreux outils de campagne décrits précédemment, qui conforteront vraisemblablement le public cible dans une vision manichéenne des violences faites aux femmes (le fameux #notallmen), qui ignore le continuum des violences et le rôle qu’y jouent les hommes… oui, même ceux qui ne sont pas des violeurs ou qui ne tabassent pas leur femme. En effet, si l’on objecte souvent que « la plupart des hommes ne sont pas violents physiquement avec leurs partenaires », néanmoins, « la plupart des hommes sont susceptibles d’avoir commis de la maltraitance psychologique ou verbale à certains stades de leur vie » (Pease 2008, p. 4, notre traduction). L’ « humour » à caractère sexiste, ou la dévalorisation des femmes, considérées comme moins compétentes dans certains domaines, par exemple, sont des violences particulièrement répandues… que beaucoup d’hommes n’identifieront pas comme telles.

Si les initiatives risquent souvent d’avoir pour effet de conforter les membres du public cible dans leur conviction qu’ils sont des « bons hommes » plutôt que d’adopter un auto-examen critique, et si les discours mobilisateurs peuvent « en réalité renforcer, plutôt que combattre l’inégalité » (Macomber 2012, p. 29, notre traduction), peut-être devrions-nous poser la question du gain, plutôt que du coût, que représentent ces discours pour le patriarcat.

 

      Un gain pour le patriarcat ?

On a vu que les discours de masculinité positive analysés réaffirment indirectement la légitimité de la division sexuelle du travail, pourtant le principal terreau des inégalités. Si les outils de campagne cherchent à déconstruire les pratiques masculines négatives – cristallisées autour des violences faites aux femmes – ils essentialisent bien souvent les qualités associées aux hommes (la force, le leadership, le courage, l’action…), qui leur réserve une place de choix dans les domaines représentés. Ce qui confirme que « les hommes peuvent co-opter les campagnes anti-violence pour leurs propres fins » (Pease 2008, p. 8).

Mais pour bien comprendre toutes les implications possibles des discours de masculinité positive, il est intéressant de s’intéresser un instant aux initiatives complémentaires à certaines campagnes de sensibilisation, en l’occurrence les programmes de prévention de MCSR (anciennement Men Can Stop Rape), souvent considérés comme un modèle en la matière, et très répandus aux Etats-Unis. Nous aborderons ici la question de l’empowerment des hommes, et de leur rapport au care.

  • L’empowerment… des hommes ?

Les rapports d’évaluation biannuels de ces programmes apportent des informations complémentaires quant aux objectifs poursuivis. Dans le rapport d’évaluation 2004-2005, certaines des affirmations avec lesquelles les participants doivent marquer ou non leur accord ont de quoi étonner par leur caractère essentialiste (« Cela m’ennuie quand un gars se comporte comme une fille » ou « A quelle fréquence est-il acceptable de dire à un autre garçon qu’il lance comme une fille ») (Hawkins 2005, p. 13-14, notre traduction). Mais les rapports ultérieurs soulèvent encore davantage de problèmes.

Le rapport d’évaluation 2009-2010, par exemple, évalue les connaissances et croyances relatives aux « récits dominants de la masculinité » (qui désignent les représentations de ce que serait la masculinité traditionnelle) et aux « contre-récits de la masculinité » (définis comme « résist[ant] aux valeurs et aux attentes contraignantes des histoires dominantes de la masculinité » (Anderson 2011, p. 3, notre traduction)). Les participants devaient marquer leur accord ou désaccord plus ou moins fort avec des affirmations telles que « Parfois, les violences sont les seules façons d’exprimer nos sentiments » ou « Les hommes sont nés pour être forts et dans le contrôle » (récit dominant de la masculinité), ou des propos tels que « le viol et la violence sexuelle blessent les hommes et les garçons autant que les femmes et les filles » (!!!), « Quand les hommes essayent de montrer qu’ils sont « de vrais hommes », ils se blessent souvent eux-mêmes ou les personnes autour d’eux » ou encore « Ecouter ce que les autres disent ou ce dont ils ont besoin est important pour moi » (contre-récit de la masculinité) (Ibid., p. 5, notre traduction).

La polysémie de l’affirmation selon laquelle « le viol et la violence sexuelle blessent les hommes et les garçons autant que les femmes et les filles », à laquelle il est attendu que les garçons adhèrent, est particulièrement problématique. Compréhensible si elle souligne la souffrance des hommes victimes de viol, cette phrase laisse malheureusement la porte ouverte à d’autres interprétations : il serait douloureux d’être un violeur, ou les hommes seraient autant concernés par le viol que les femmes d’un point de vue quantitatif.

Cette affirmation devient encore plus choquante quand elle figure parmi les critères d’évaluation non plus seulement des MOST clubs destinés aux jeunes hommes, mais également des clubs WISE destinés aux jeunes femmes. En effet, dans le rapport d’évaluation 2016-2017[34], plusieurs items correspondant aux « contre-récits de la masculinité » présentés dans le rapport 2009-2010 sont repris pour évaluer les clubs des jeunes hommes… et les clubs des jeunes femmes ! La référence à ces « contre-récits de la masculinité » n’y apparait plus, mais ce sont bien, en partie, les mêmes affirmations à l’aune desquelles l’impact des programmes est évalué quel que soit le genre des participant·es, comme « Ecouter ce que les autres disent et ce dont ils ont besoin est important pour moi » ou « Le viol ou la violence sexuelle blessent les hommes et les garçons autant que les femmes et les filles ». Dans l’enseignement secondaire supérieur, la participation aux MOST clubs a presque triplé le pourcentage de garçons tout à fait d’accord avec cette dernière affirmation (10,31% à 27,94%). C’est moins que le ratio pre et post programme relatif la conviction selon laquelle « Les hommes et les garçons peuvent arrêter le harcèlement sexuel et la violence sexuelle » (1,9). Cette différence est encore plus marquée dans l’enseignement secondaire inférieur : le taux de garçons d’accord avec la première affirmation (problématique) double (33,33% à 66,67%), mais n’augmente même pas de 50% pour la seconde, axée sur la possibilité d’arrêter de violer (30% à 44%). Qu’en est-il des filles ? Dans l’enseignement secondaire supérieur (seul niveau qui les concerne), au terme du programme, elles sont… 100% à être complètement d’accord avec l’idée que les violences sexuelles affectent autant les hommes que les femmes (contre 78,05% avant). Une belle réussite ? 

Pour certains items, la dimension de genre semble s’être volatilisée : l’épicène « les autres » dans « Ecouter ce que les autres disent ou ce dont ils ont besoin est important pour moi » est pourtant assez problématique : écouter un autre homme s’exprimer ne posera généralement pas de problème aux hommes. Face à une autre affirmation passablement dé-genrée - « Si je vois quelqu’un blesser quelqu’un d’autre, j’ai l’impression que je sais comment arrêter ça » - on se pose la question si la lutte contre les violences masculines faites aux femmes est encore bien l’objectif du programme.

Enfin, faire de l’écoute des autres et de leurs besoins un objectif d’émancipation des femmes est pour le moins paradoxal, quand on sait à quel point les femmes sont assignées au travail de care. De même pour l’objectif de savoir dominer sa colère pour ne pas blesser les autres, qui jusqu’à preuve du contraire correspond plutôt à une pratique de masculinité hégémonique. Ce qui semble constituer les clés d’une « compréhension saine de la féminité »[35] est ainsi calqué sur le « contre-récit de la masculinité ». Comme le discours de crise de la masculinité, le discours de la masculinité positive « évacue l’expérience des femmes » (Dupuis-Déri 2018, p. 168).

Se dégagent ainsi de ces rapports d’évaluation un lissage des différences en termes d’expositions aux violences basées sur le genre, mais aussi en termes de reproduction de ces violences (les filles doivent manifestement apprendre à mieux dominer leur colère et à mieux écouter les autres), ainsi qu’un déni des rapports structurellement inégaux entre les hommes et les femmes (traduit par le recours aux épicènes). Au final, le programme semble établir une symétrie entre le vécu des hommes et celui des femmes, ce que traduit bien la création du concept de « féminité saine » en réponse à celui de « masculinité saine ».

On peut dès lors raisonnablement se poser la question : ces clubs visent l’émancipation de qui, au juste ? Les témoignages des participants mis en exergue sur le site de MCSR sont édifiants : si un certain Vincent confie avoir mieux compris ce que les femmes traversaient et comment certains agissements des hommes peuvent les blesser[36], Aaron insiste quant à lui sur sa « maturation en un jeune homme conscient de lui-même et confiant »[37]. La confiance en soi serait-elle une qualité qui manquait aux hommes en tant que groupe social ?

Le témoignage d’un participant à une formation sur la « masculinité saine », soigneusement mis en évidence sur le site pour souligner les bienfaits de ce programme, ne laisse plus de doute par rapport à son caractère masculiniste. Adde affirme ainsi à qui veut l’entendre, en mobilisant une nouvelle conception tout à fait originale du concept d’allié, qu’il « recommanderai[t] la formation à toute personne qui veut construire les garçons et les hommes comme des alliés, des individus forts, réfléchis et connectés participant à une société qui rabaisse souvent les garçons et les hommes »[38]. Voilà qui est dit.

Heureusement, dans cette « société qui rabaisse souvent les hommes », les programmes visant à construire des masculinités positives sont là pour les aider à braver les obstacles. On apprend ainsi – sur la page d’accueil du site - que « 85% des participants au programme MCSR de développement des jeunes augmentent leur performance académique et réduit leurs suspensions, expulsions et incidents critiques »[39], ce qui n’est pas sans rappeler la cristallisation des discours masculinistes autour de l’enjeu de la réussite scolaire chez les garçons (Dupuis-Déri 2018). Comme l’observe Bob Pease, lorsque nous appréhendons la lutte contre les violences « en termes de désavantages subis par les hommes sous le patriarcat, nous risquons de soutenir les défenseurs des droits des hommes, qui visent à réfuter les revendications féministes relatives au privilège des hommes » (Pease 2008, p. 10, notre traduction) - comprenez : soutenir les groupes masculinistes.

Où est-il question des femmes, dans ce programme féministe ? Pas dans le témoignage vidéo[40] de ce participant anonyme qui dure pourtant près d’une minute, et insiste sur les relations fortes qu’il a nouées avec ses homologues du MOST club – il est vrai que le « soutien des pairs » figurait parmi les objectifs évalués dans le rapport 2009-2010, sans qu’il soit rattaché à la création de nouvelles normes sociales plus égalitaires (« J’ai des pairs sur qui je peux me reposer pour m’aider si j’en ai besoin », « J’ai des pairs qui se préoccupent de mes sentiments et de ce qui m’arrive », (Anderson 2011, p. 5, notre traduction)). Vu sous cet angle, un garçon qui couvrirait son ami violeur pourrait donc tout à fait répondre aux attentes du programme.

  • Les hommes et le care : une histoire d’amour très théorique

Ce même rapport oppose des exemples de « récit dominant de la masculinité » à ce vers quoi la société devrait tendre, les contre-récits. La place qu’occupent les femmes dans ce discours est très révélatrice : face au récit dominant qui prétend que « seuls les hommes devraient être présidents des Etats-Unis parce que les femmes sont trop émotives ; que les hommes profiteront toujours sexuellement des femmes ; et que les hommes font de piètres instituteurs maternelle et soignants », le rapport plaide pour un contre-récit qui inclue l’opposé de ces exemples : « les hommes sont aussi émotifs que les femmes ; la majorité des hommes ne profitent pas sexuellement des femmes ; et beaucoup d’hommes ont la capacité d’être de bons instituteurs maternelle et soignants » (Ibid., p. 3, notre traduction). On peut constater que le contre-discours ne consiste pas à affirmer la rationalité des femmes et leur compétence pour gouverner un pays, mais plutôt la capacité des hommes à exprimer des émotions. Plus largement, plusieurs recadrages s’imposent : si les hommes ne se tournent pas vers le secteur du care, ce n’est pas parce qu’ils doutent de leurs compétences pour le faire, mais parce que ce travail difficile est dévalorisé symboliquement et financièrement. Au contraire, les hommes qui évoluent dans des secteurs considérés comme féminins bénéficient d’une évolution de carrière fulgurante (via un « escalator de verre »). S’ils doivent effectivement faire face aux moqueries à l’extérieur, ils tendent plutôt, dans la sphère professionnelle, à être très valorisés. Quant à l’idée selon laquelle « la majorité des hommes ne profitent pas sexuellement des femmes », elle mérite aussi d’être problématisée : si l’on prend en compte les consommateurs de porno, de prostitution, les hommes qui tirent des faveurs sexuelles d’une compagne trop précarisée ou au statut migratoire trop incertain pour les quitter, les harceleurs sexuels ou les violeurs, la proportion est-elle encore réellement si faible ?

Alors que, dans les discours de masculinité positive, les hommes (en l’occurrence, les participants aux programmes de MCSR) semblent s’inquiéter de leur perception comme étant incompétents pour le travail de care, il est paradoxal que leur légitimité en tant que pourvoyeurs de care ne soit jamais représentée dans les outils destinés au grand public. Auraient-ils peur d’un possible effet performatif qui se traduirait par un engagement des hommes dans le care plus seulement dans les discours, mais aussi dans les faits ?

En réalité, les discours de la masculinité positive semblent mobiliser le champ des émotions davantage pour se parer théoriquement de ces vertus « féminines » que pour préparer leur investissement pratique dans le secteur du care. Alors même qu’un outil dans notre corpus illustrait des femmes dans des activités (sportives) « d’hommes », aucun ne donnait un exemple pratique d’homme en pleine dispense de soin ou de tâche domestique, rôle modèle de pourvoyeur de care susceptible d’inspirer le public cible. Or, s’il y a bien un secteur où les violences faites aux femmes sont endémiques, c’est à la maison ; par ailleurs,

"La recherche démontre que les hommes engagés dans des rôles de soin envers leurs enfants sont moins susceptibles de commettre des violences à l’encontre de leur partenaire (Esplen 2006). Ferguson et al. (2003, p. 40) citent une recherche globale qui démontre « que plus les hommes sont vus comme nourriciers et attentionnés et plus les femmes sont vues comme capables, rationnelles et compétentes dans la sphère publique, plus il est probable que l’agression empruntera d’autres voies »." (Pease 2008, p. 14, notre traduction)

Loin de donner des exemples concrets, les discours autour des compétences émotionnelles se caractérisent néanmoins, elles aussi, par un flou, comme dans ce témoignage d’un participant aux MOST clubs, cité précédemment : « J’ai vraiment appris ce que c’est que d’être un homme (…). C’est vraiment ce qu’il y a à l’intérieur, c’est dans ton cœur » (Hawkins 2005, p. 10, notre traduction). Le témoignage de Kris, membre d’un club d’alumni, explique quant à lui que l’ « objectif est de changer les stéréotypes négatifs masculins – en créant des opportunités pour la sensibilité »[41]. Voilà qui est bien mystérieux. N’y a-t-il pas déjà suffisamment d’opportunités pour que les hommes puissent faire preuve de sensibilité – soigner leurs proches malades, écouter avec empathie… ? Ainsi que d’autres actions concrètes auxquelles les hommes alliés peuvent avoir recours pour prévenir les violences faites aux femmes et qui requièrent également de la sensibilité – partager le travail domestique, soutenir la participation politique des femmes (Jewkes, Flood, Lang 2015) ?

Le concret ne semble pas être la principale préoccupation, puisque comme la « crise de la masculinité » (Dupuis-Déri 2018), la « masculinité positive » reste bien de l’ordre du discours. Ces discours affectionnent particulièrement le flou ; ainsi, « Le spécialiste de la masculinité Stephen M. Whitehead a constaté que le discours de crise de la masculinité (ré)affirme perpétuellement une différence et même une opposition entre le masculin et le féminin, mais par des notions floues et mal définies, des stéréotypes et des clichés » (Ibid., p. 15). La force, par exemple…

Ce témoignage d’un militant pro-féministe dans un autre contexte de mouvements d’alliés aux Etats-Unis est très emblématique du caractère purement discursif de cette masculinité nouvelle : un homme s’émerveillait ainsi, après un exercice consistant en une réflexion critique sur les assignations inhérentes à la socialisation masculine, qu’il soit « encore un homme, profitant de nombreuses choses que les hommes aiment faire : le basket, le football [NDLR : américain], la pêche (des parties amicales de poker avec mes potes). Que je p[uisse] faire tout ça tout en soutenant un monde qui soit sûr pour les femmes et les filles » (cité dans Macomber 2012, p. 6, notre traduction). Toute personne assignée au travail de care sait à quel point les loisirs, loin d’être neutres du point de vue du genre, mais aussi de la classe ou la « race », peuvent être inaccessibles. Au sujet d’autres initiatives mobilisant les hommes que MCSR, Macomber observe que

"Des conversations similaires, dans lesquelles des activistes masculins décrivaient comment ils se sentaient démunis pour et/ou privés de vivre une vie émotionnellement et psychologiquement bien remplies, se produisaient régulièrement. Le travail d’EM [NDLR : Engaging Men, le nom de la section qui rassemble ces activistes] ne consistait donc pas seulement à améliorer la qualité de vie des femmes ; il s’agissait aussi d’améliorer la vie des hommes" (p. 39).

Ce qui pousse l’un des militants à s’écrier que « La libération des hommes fait partie du processus » (Ibid., p. 57). Ces considérations sur les émotions ne sont pas sans rappeler ces propos du masculiniste Roger Horrocks – « Ma thèse, c’est que les hommes sont puissants économiquement et politiquement, mais que les femmes sont puissantes émotionnellement », que Francis Dupuis-Déri (2018) qualifie de « pirouette intellectuelle pour évacuer la réalité institutionnelle et matérielle » (p. 39).

Il est vrai que la conformité avec les définitions dominantes a un coût, et que s’en distancer peut impliquer des relations plus épanouissantes avec les femmes et les enfants, de même qu’une diminution plus générale de la violence (civile, internationale) (Flood 2011). Des bénéfices insuffisants, selon Bob Pease, pour compenser la perte des privilèges dont la majorité des hommes jouissent – être bénéficiaires de care plutôt que pourvoyeurs. Privilèges qui seraient, d’ailleurs, au moins en partie, une conséquence des violences masculines envers les femmes. En effet,

"Le privilège masculin amène les hommes à croire qu'ils ont le droit de recevoir des services de femmes. Lorsque ces droits sont remis en question ou niés, ils peuvent adopter la violence en réponse (Keijzer 2004). Connell (2003a) qualifie les privilèges dont bénéficient les hommes de « dividende patriarcal ». Cela comprend le respect, l'autorité, les services des femmes, les avantages monétaires, le pouvoir institutionnel et le contrôle sur sa vie." (Pease 2008, p. 9, notre traduction)

Les violences masculines sont là pour essayer de ramener les femmes qui ne s’y conformeraient pas à leur place de pourvoyeuses de care ; « elles puisent leurs racines dans l’intime conviction de ces hommes que les femmes – à plus forte raison la leur – sont là pour les servir ». Ainsi, « la totalité du spectre de cette violence, depuis la contrainte la plus explicite jusqu’à la manipulation la plus insidieuse, vise une même finalité : asseoir le contrôle qui leur permet d’imposer leur volonté d’être servis et obéis »[42]. Repolitiser l’analyse des violences faites aux femmes montre bien les limites d’une approche communément partagée qui consiste à « montrer l’exemple » pour apprendre au public cible à devenir des gentilhommes.

Dans les discours, il est donc question de reprendre du pouvoir sur les émotions, sans jamais céder du pouvoir matériel. Or, la lutte contre les violences restera inefficace tant que les inégalités structurelles et matérielles perdureront. 

 

 

Pour une prévention masculine féministe

 

Les écueils soulevés précédemment poussent plusieurs expert·es à prôner un retour à une position plus radicale : Murphy (2009) conclut de son analyse des posters « My Strength is not for hurting » que ceux-ci « réinscrivent la masculinité hétérosexuelle dans un cadre très familier et limitant, renforçant par moments certains mythes bien ancrés qui soutiennent le viol et les agressions sexuelles » (p. 15, notre traduction). Dès lors, observe-t-il,

"Peut-être que notre tâche ne devrait pas consister en une re-signification de « la force » comme une vertu masculine, mais en une volonté d’abandonner entièrement les vertus traditionnelles de la masculinité qui sont désespérément entremêlées avec la culture du viol. Peut-être que nous devons être plus honnêtes avec les hommes par rapport à ce que mettre un terme au viol requiert réellement : la fin des « hommes », forts ou autres." (Ibid., notre traduction)

C’est donc bien la fin de la catégorie « hommes » que Murphy appelle de ses vœux, conscient que cette catégorisation – qui va toujours de pair avec la hiérarchisation - est la condition sine qua non à la perpétuation de la domination masculine[43]. Macomber défend également cette idée ; elle constate que les tentatives de redéfinition de la masculinité se sont faites au détriment de l’éradication du système de genre qui privilégie les hommes sur les femmes : « Le genre en tant que système inégalitaire n’était jamais remis en question. Ni la pensée dichotomique selon laquelle les femmes et les hommes sont des types de personnes essentiellement différents ». Elle déplore ainsi la « tendance des mouvements d’alliés à passer plus de temps à séduire le groupe dominant qu’à travailler dans l’intérêt des membres du groupe minoritaire » (Macomber 2012, p. 141, notre traduction). Un autre choix s’ouvrait selon elle aux activistes alliés :

"Ils auraient pu essayer de se débarrasser tout à fait la masculinité. Au lieu de mobiliser les hommes autour de l’objectif de « redéfinir la masculinité », ils auraient pu mobiliser les hommes autour de l’objectif d’ « éradiquer la masculinité », ou « en finir avec la masculinité ». Ils auraient pu, mais ils ne l’ont pas fait. Pourquoi pas ? Une raison à cela est que les expressions de la masculinité s’accompagnent de privilège social et de pouvoir. (…) Ils savaient que les hommes perpétuaient la violence contre les femmes, et que la masculinité était associée à la violence, mais ils voulaient aussi appartenir au groupe du genre dominant et revendiquer d’autres qualités masculines, comme la force, le courage et l’assertivité." (Ibid., p. 37-38, notre traduction)

Comme éradiquer les catégories « masculin » et « féminin » a un coût pour les alliés – la perte de pouvoir et de privilèges -, les discours de masculinité positive constituent une alternative séduisante… et peut-être nécessaire. Macomber elle-même le reconnait : « Il est peu probable, néanmoins, que de nombreux hommes restent dans les parages après avoir été informés que la masculinité n’était pas seulement endommagée, mais ne valait pas la peine d’être réparée » (Ibid., p. 138, notre traduction). Il est d’ailleurs très intéressant d’observer que celui même qui appelait dans les années 70 à « refuser d’être un homme », John Stoltenberg, n’est autre que le fondateur de Men Can Stop Rape et l’initiateur des deux campagnes My Strength, qui a manifestement opté pour une approche pragmatique…

Une campagne grand public radicale qui prônerait l’éradication de la masculinité étant de toute évidence vouée à l’échec, il s’agirait alors – si l’objectif de sensibiliser les hommes est maintenu – de concilier une approche de communication positive et une rhétorique qui déconstruit les rapports structurellement inégaux entre les hommes et les femmes. Une réelle gageure, mais un challenge qui peut selon nous être relevé. La campagne « Tu seras un homme, mon fils » constitue à cet égard une initiative très intéressante.

 

      Une perle dont s’inspirer : Tu seras un homme, mon fils

S’il est indispensable que les hommes « abandonne[nt] toute construction de leur virilité qui repose sur la subordination des femmes » (Pease 2008, p. 15, notre traduction), comment un spot de sensibilisation peut-il apporter sa pierre à l’édifice, en évitant à la fois la confrontation et l’essentialisme masculin, tous deux contre-productifs ? Comment concilier des discours de masculinité positive pour susciter une envie d’engagement tout en dénonçant des inégalités structurelles à l’origine des violences et qui profitent au public cible, privilèges auxquels les hommes même les mieux intentionnés auront du mal à renoncer ?

Le spot « Tu seras un homme, mon fils »[44], réalisé en 2018 par la Fondation des femmes en France, relève selon nous ce défi avec brio. Le recours au futur n’est pas anodin : si dans les autres campagnes, l’impératif présent (« Sois un homme ») ou l’indicatif présent (« Les vrais hommes ne maltraitent pas les femmes »…) suggéraient que la fin des violences était à portée de main et requérait simplement des hommes qu’ils modifient quelque peu leur attitude vis-à-vis des femmes, toutes choses étant égales par ailleurs (notamment les formes dominantes de masculinité), l’utilisation du futur amène une petite révolution subtile. Elle suggère d’emblée que le chemin est encore long, et l’évolution loin d’être acquise (« alors ce jour-là, oui, tu seras vraiment un homme, mon fils ») ; elle empêche une auto-célébration masculine sans coût. Il n’est pas question ici de « continuer le business as usual », MAIS sans frapper sa femme. C’est toute une remise en question des aspects nocifs des formes de masculinité dominantes, mais aussi des privilèges qui leur sont associés, qui est proposée ici, le tout à travers une communication qui reste positive et engageante.

À travers ce spot de 45 secondes, la Fondation des Femmes entend « sensibiliser à la question de l’éducation des garçons dans la lutte contre les inégalités et les violences faites aux femmes ». On y voit une succession de scènes où des pères de famille, pleins de bienveillance, partagent des moments avec leurs enfants, à toutes les étapes de leur vie (jusqu’au moment où leur fils devient père à son tour). Sur fond musical, la voix off d’un homme énonce un texte adressé à son fils, où elle énumère toutes les raisons, positives, qui feront de lui un homme s’il s’y conforme : « Si au lieu de t’emporter, tu sais respecter, écouter, échanger », « Si malgré la défaite, tu continues d’avancer », « Si tu sais soutenir sans vouloir dominer, que tu peux être fort sans être violent », « Si tu es capable de regarder une femme sans qu’elle n’ait à craindre ton regard », « Si tu te bats, partout, contre les inégalités et les violences et que tu as le courage de briser les silences » (pour intervenir comme témoin de violences), « Si tu refuses qu’on humilie ta mère, ta sœur ou tes amies, comme toutes ces femmes que tu croises dans ta vie », conditions de temps en temps ponctuées par « Tu seras un homme, mon fils ».

Les autres campagnes investissaient des secteurs traditionnellement associés au masculin. Celle-ci s’inscrit dans le champ narratif des arts, et plus précisément de la poésie, en paraphrasant le poème éponyme de Rudyard Kipling. Il y est question d’émotions, d’affectif, et non plus de force physique. D’ailleurs, à plusieurs reprises, une fille surpasse le jeune protagoniste dans des activités sportives (qu’il s’agisse de sa petite sœur qui lui prend la balle quand ils jouent ou de la jeune fille qui remporte, devant lui, la course de natation). C’est au moment de ce jeu de balle en famille que le concept de « fort » apparait, suggérant qu’être fort, c’est aussi résister à une forme de masculinité qui cherche à affirmer sa supériorité sur les femmes – une re-signification du concept de force tout à fait inédite ! Le concept de « fort » garde un potentiel attractif tout en déconstruisant la binarité.

Dans le jeu de séduction entre jeune homme et jeune femme, où ceux-ci s’échangent des regards complices, les deux sont sujets. Il n’est plus question de l’accès à une sexualité en guise de récompense, mais de signes de consentement mutuel dans une relation égalitaire. Quand le jeune homme intervient en tant que témoin pour défendre une femme racisée qu’un de ses camarades attrape par le bras, celle-ci se défend également : c’est un geste de solidarité, pas un geste de gentilhomme sauveur à la rescousse d’une femme dépourvue d’agentivité. Solidarité qui ne se limite pas aux filles et femmes de sa vie, qu’une société paternaliste enjoint à protéger, mais à « toutes ces femmes que tu croiseras dans ta vie », qu’une société égalitaire enjoint à respecter.

Le père, comme son fils lorsqu’il devient père à son tour, s’engagent dans des activités de care (bercer un bébé, « écouter et échanger » plutôt que « s’emporter », consoler après une défaite). Rien de flou à cela, rien qui soit laissé à la libre appréciation de chacun et dépende des bonnes volontés ; juste des exemples concrets du quotidien (parmi lesquels auraient toutefois pu figurer des exemples de partage des tâches ménagères).

Enfin, le slogan qui clôture la vidéo – « Le harcèlement et les violences faites aux femmes, ce n’est pas que l’affaire des femmes » - souligne tout le travail réalisé par les femmes dans la lutte contre les violences et la nécessité pour les hommes d’agir. Pas parce qu’en tant qu’hommes ils disposeraient de qualités intrinsèques qui les rendraient par nature indispensables à cette mobilisation. Mais parce qu’ils jouissent de privilèges auxquels ils doivent apprendre à renoncer (et sans attendre une médaille en retour ou un titre honorifique de gentilhomme).

Ce spot évite l’écueil presque systématique dénoncé par Salter (2015), qui consiste à dissocier les normes de genre des inégalités structurelles de genre dans lesquelles celles-ci prennent forme et sens (c’est ce qu’il se passe quand la force masculine est mobilisée pour séduire le public cible, sans établir de lien critique avec son rôle dans la perpétuation des violences et des inégalités). Ici, la question des inégalités et de la domination sont explicitées verbalement (« soutenir sans vouloir dominer », « si tu te bats, partout, contre les inégalités »), et illustrées visuellement à travers des exemples positifs.

 

      Une représentation bi-dimensionnelle de la masculinité

C’est en réalité une représentation bi-dimensionnelle de la masculinité que cristallise le recours à l’indicatif futur dans « Tu seras un homme, mon fils » : cette pensée « bi-dimensionnelle », concept emprunté à Marcuse,

"analyse la relation ambivalente entre les idéologies dominantes et le statu quo comme historiquement contingent et ouvert au changement. En revanche, la pensée « unidimensionnelle » fait disparaitre ces distinctions cruciales. En ne faisant pas la différence entre les conditions sociales existantes et les représentations culturelles qu’elles produisent, la pensée « unidimensionnelle » accepte comme vraie la manière dont les arrangements sociaux sont représentés et justifiés." (Salter 2015, p. 6-7, notre traduction)

Les pratiques très répandues qui consistent à représenter, sans questionnement critique, des bastions masculins tout en vantant des qualités « masculines par essence » pourtant à l’origine de l’exclusion des femmes de ces secteurs, s’inscriraient alors dans une perspective unidimensionnelle. En d’autres termes, l’approche de l’homme bon basée sur des changements d’attitudes dans une société inapte à questionner les inégalités structurelles est vouée à l’échec. En effet, ces normes qui entérinent « des stéréotypes de genre déjà existants » renforcent, plutôt qu’elles ne les déconstruisent, les inégalités entre les femmes et les hommes : « la pensée « unidimensionnelle » est incapable de planifier le changement au-delà des limites de ce qui existe déjà et reproduit inévitablement des hiérarchies sociales inégales ». Dès lors, « en échouant à situer les normes de genre dans les inégalités structurelles dans lesquelles elles prennent forme, les activités de prévention des VFF risquent de faire circuler des représentations de la masculinité qui naturalisent et légitiment les contextes sociaux des VFF » (Ibid., p. 17, notre traduction).

Il pourrait s’agir, dans ce cas de figure, d’une forme réussie d’essentialisme stratégique, comme étape vers la déconstruction progressive des catégories « masculin » et « féminin » dont la seule raison d’être consiste à justifier « la division sexuelle patriarcale du travail […] le monopole du pouvoir, des ressources et de statut » (John MacInnes, cité dans Dupuis-Déri 2018, p. 299).

 

Conclusion

 

Malgré leur intention de re-signifier et ou dé-genrer certaines qualités traditionnellement associées aux hommes, les campagnes de prévention analysées privilégient une politique de représentation positive qui essentialise la force comme une vertu masculine et légitime la présence exclusive des hommes dans les secteurs représentés (le sport, l’armée, la police, la construction). Cette dimension uni-dimensionnelle dans la représentation des masculinités échoue à appréhender la division sexuelle du travail comme un terreau d’inégalités qui explique en partie la perpétuation des violences faites aux femmes. La surreprésentation d’hommes forts et courageux qui font « des activités d’hommes » va de pair avec l’invisibilisation des femmes comme sujets – elles sont réduites à l’objet du discours, voire à un statut de récompense ou de faire-valoir pour qui se conforme aux normes de gentilhommes – et avec l’invisibilisation des formes alternatives de masculinité : celles-ci restent de l’ordre d’une suggestion vague, entourée de flou. Les vrais gentilhommes ne sont jamais représentés comme engagés dans le travail de care ; à la place de ces rôles modèles dont une société égalitaire et exempte de violences faites aux femmes a désespérément besoin, les campagnes mettent en scène des modèles conformes aux masculinités hégémoniques en vigueur qui permettent la perpétuation de la domination masculine au lieu de la contester. Les discours de masculinité positive semblent en réalité s’inscrire dans la continuité des discours masculinistes, l’apologie de la violence en moins ; dans ces discours, les hommes cherchent alors à conquérir du pouvoir sur les émotions (vues comme une chasse-gardée des femmes) sans rien céder de leur pouvoir matériel.

Une initiative de la Fondation des femmes, en France, montre néanmoins qu’il est possible de concilier approche positive et questionnement critique des inégalités structurelles, associées à des privilèges pour les hommes. L’approche bi-dimensionnelle se traduit par l’usage du futur (« Tu seras un homme, mon fils »), qui souligne la distance nécessaire par rapport non seulement aux attitudes violentes, mais plus globalement par rapport aux rapports de pouvoir en défaveur des femmes.

Alors que les violences faites aux femmes n’ont jamais bénéficié d’une telle attention politique et médiatique, on peut se demander dans quelle mesure l’approche de l’homme bon « qui ne bat pas les femmes » ne vise pas surtout à ré-affirmer le leadership des hommes tout en le débarrassant de ses casseroles, désormais impossibles à cacher dans un contexte post-Me Too. Puisqu’il n’est désormais plus possible d’assumer l’existence de ces violences, comme tous les systèmes d’oppression, le patriarcat s’adapte. Il opte dès lors pour des discours de masculinité positive, qui permettent aux hommes de se libérer du stigmate de l’homme violent sans renoncer à leurs privilèges. Ces discours, le plus souvent, ne contribuent pas à déconstruire l’ordre social dans lequel les femmes sont au service des hommes, mais interdisent le recours au moyen traditionnel pour ce faire. Ce qui aurait pu être considéré comme de l’essentialisme stratégique en faveur des droits des femmes fonctionne au profit du mauvais groupe social : les discours de masculinité positive, plutôt que de déconstruire le patriarcat, le parent d’un vernis de respectabilité. Exit la figure dorénavant rédhibitoire de l’homme agressif et violent, on garde les privilèges matériels inhérents à la division sexuelle du travail, mais on devient irréprochable en apparence. Dans les discours de masculinité positive, le patriarcat ruse ; il opte pour des outils qui, contrairement à l’usage de la violence, restent socialement acceptables, pour servir une fin qui demeure inchangée : veiller à ce que les femmes continuent de servir et d’obéir. Si de rares initiatives nous montrent qu’une prévention masculine féministe est possible, cette analyse de la ruse de la raison hégémonique nous invite à une grande vigilance face à la masculinisation de la prévention et au concept de masculinité positive.

  

 


  Notes

[1] https://www.prevention-cybercrime.ca/campagne-prevention#:~:text=La%20pr%C3%A9vention%20tertiaire%20se%20concentre,traitement%20correctionnel%20des%20personnes%20contrevenantes.

[2] Rappelons que le PAN reprend l’ensemble des mesures prévues à tous les niveaux de pouvoir ; le plan intra-francophone reprend les mesures prévues par les Gouvernements de la Wallonie, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Cocof.

[3] L’attitude consisterait, par exemple, à condamner tout le continuum des violences et à trouver chacune d’entre elles inacceptable, sans pour autant cesser d’objectifier les femmes, respecter le consentement dans les faits ou intervenir comme témoin (actions attestant d’un changement de comportement).

[4] Des dizaines de milliers de posters « My Strength is not for hurting » ont été distribués dans chaque Etat américain et dans 20 autres pays (Murphy 2009). L’organisation américaine MCSR (Men Can Stop Rape), à l’origine de ces posters, annonce avoir mobilisé plus de 50 000 personnes à l’occasion des ateliers qu’elle organise depuis 1997, et touché 60 millions de personnes via ses évènements, webinaires et médias (mcsr.org).

[5] https://cripel.be/campagne-mondiale-du-ruban-blanc-contre-les-violences-faites-aux-femmes/

[6] https://www.pgdesign.be/project/campagne-ruban-blanc/

[7] https://www.dhnet.be/sports/sport-regional/liege/2020/11/25/les-bulldogs-disent-non-a-la-violence-faite-aux-femmes-CT72JR7PXNFKPOMBBKLC5BBCUI/

[8] On rappellera ici que « Des études des plus intéressantes montrent que les deux sexes sont en moyenne bien plus similaires que différents en termes de capacités cognitives et physiques, et que bien des différences peuvent être surmontées par l’exercice et la pratique » (Dupuis-Déri 2018, p. 310).

[9] https://mcsr.org/ourvision, consultée le 09/02/23.

[10] https://www.youtube.com/watch?v=61oXm_HNsoI

[11] https://www.indiegogo.com/projects/prevent-intimate-partner-violence-starting-with-our-youth#/, notre traduction.

[12] https://mcsr.org/wiseclub

[13] https://www.cnrtl.fr/definition/SAGESSE

[14] https://cinderellaincombatboots.wordpress.com/2012/01/08/my-strength-is-not-for-hurting/

[15] https://www.youtube.com/watch?v=rOLctYZl1Wo

[16] https://www.susanhuyser.com/2012/12/22/men-can-stop-rape-posters/

[17] https://cinderellaincombatboots.wordpress.com/2012/01/08/my-strength-is-not-for-hurting/

[18] Francis Dupuis-Déri définit le masculinisme comme suit : « Face au mouvement féministe qui milite pour la liberté et l’égalité des femmes et des hommes, le masculinisme est un contre-mouvement qui cherche à freiner, arrêter ou faire reculer le processus d’émancipation des femmes, au nom des « droits » et surtout des intérêts des hommes par rapport aux femmes. » (p. 19).

[19] Respectivement : https://www.gao.gov/blog/2015/04/23/combating-sexual-assault-in-the-military et https://www.174attackwing.ang.af.mil/News/Article-Display/Article/439476/dod-officials-kick-off-sexual-assault-awareness-month-with-campaign-web-site/

[20]https://www.facebook.com/CFMEU/photos/cfmeu-poster-in-support-of-white-ribbon-campaign/504739639624131/?paipv=0&eav=AfbM_oHOK2ZJwz1L1PKfFT6KHTnARDRQL2SXXqy30X5dy7yYYmmv7UvTh65coBs0LXA&_rdr

[21]https://www.pinterest.co.uk/munarabeknazaro/%D1%81%D0%B5%D0%BA%D1%81%D1%83%D0%B0%D0%BB%D1%8C%D0%BD%D0%BE%D0%B5-%D0%BD%D0%B0%D1%81%D0%B8%D0%BB%D0%B8%D0%B5/

[22] https://www.youtube.com/watch?v=rOLctYZl1Wo

[23] https://www.vasseur.be/campagne-mondiale-ruban-blanc/

[24] https://www.youtube.com/watch?v=gsxwlCIeuH8

[25]Respectivement : https://www.gao.gov/blog/2015/04/23/combating-sexual-assault-in-the-military ; https://www.susanhuyser.com/2012/12/22/men-can-stop-rape-posters/af-trev_1-27-qxd/ et https://www.sapr.mil/public/docs/news/awardee_program_final.pdf.

[26] https://ajnoffthecharts.com/alerting-nurses-to-increased-reports-of-sexual-assault-in-the-military/

[27] https://www.youtube.com/watch?v=kHLuigZDJGY

[28] https://www.gao.gov/blog/2015/04/23/combating-sexual-assault-in-the-military

[29] Nous n’avons en tout cas pas trouvé de trace de cette acception, et ce site ne mentionne que les « wingmen » : https://www.afmc.af.mil/Wingman/

[30] On peut aussi se demander dans quelle mesure l’armée en tant qu’institution ne se tirerait pas une balle dans le pied en déconstruisant réellement les formes de masculinité toxique…Il y a là un possible conflit d’intérêt qu’il serait intéressant d’analyser.

[31] Cours de Lecture critique de textes en sciences sociales, Charlotte Pezeril, master interuniversitaire de spécialisation en études de genre, 2017-2018.

[32] On peut observer, à l’instar de Dupuis-Déri (2018), que « les hommes détenant du pouvoir et de la richesse ne sont pas nécessairement les plus musclés, comme le Pape, les présidents d’État ou de grandes compagnies. Ils n’ont pas obtenu leur poste à coups de poing, mais surtout grâce au privilège de leur famille, à la ruse, l’ambition, les jeux d’alliance et les appuis politiques et financiers, d’où l’importance pour les hommes des boys’ clubs. » (p. 165).

[33] Emma, « La ligne », 6 octobre 2022. En ligne : https://emmaclit.com/2022/10/06/la-ligne/

[34] Highlights of Gains Achieved Over the 2016-2017 Program Year In District of Columbia Men of Strength (MOST) Club and Women Inspiring Strength & Empowerment (WISE) Club Members’ Knowledge, Attitudes, or Behavioral Intention. En ligne : https://static1.squarespace.com/static/628bec2bb8a2002541ca2ced/t/6318a57d70024751c79e09bc/1662559614321/MOSTWISE_SEL_Gains_Charts_-_MCSR_2016-17_Program_Year_-_Nov_30_2017_FINAL%2B%281%29.pdf

[35] https://mcsr.org/wiseclub

[36] https://mcsr.org/mostclub

[37] https://mcsr.org/youthdevelopment, notre traduction.

[38] https://mcsr.org/abouthmti, notre traduction.

[39] https://mcsr.org/, notre traduction.

[40] https://mcsr.org/mostclub

[41] https://www.indiegogo.com/projects/prevent-intimate-partner-violence-starting-with-our-youth#/

[42]Centre Bertha Pappenheim, « Un homme peut-il être un conjoint violent malgré lui ? ». En ligne : https://centre-bertha-pappenheim.fr/2021/10/20/un-homme-peut-il-etre-un-conjoint-violent-malgre-lui/ 

[43] Voir notamment l’analyse de Roger Herla pour le CVFE : « Lutter pour l'égalité et/ou déconstruire les catégories femmes/hommes », octobre 2018. En ligne :

 https://www.cvfe.be/publications/analyses/71-lutter-pour-l-egalite-et-ou-deconstruire-les-categories-femmes-hommes

[44] https://www.youtube.com/watch?v=H88u4MIW460 


Bibliographie

            Publications scientifiques et rapports d’évaluation

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Anderson, S. (2011). Men of Strength Clubs 2009‐2010 Evaluation Findings, Zakiya Consulting. En ligne : https://static1.squarespace.com/static/628bec2bb8a2002541ca2ced/t/6318a6292274bb25bc6a4299/1662559787137/MOST%2BClub%2B2009-10%2BEvaluation%2BReport.pdf.

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Dedicated (2019). Etude des opinions et des comportements de la population belge en matière de violences sexuelles, réalisée pour Amnesty International et SOS Viol. En ligne :  https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/sondage-viol-chiffres-2020.

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Highlights of Gains Achieved Over the 2016-2017 Program Year In District of Columbia Men of Strength (MOST) Club and Women Inspiring Strength & Empowerment (WISE) Club Members’ Knowledge, Attitudes, or Behavioral Intention. En ligne : https://static1.squarespace.com/static/628bec2bb8a2002541ca2ced/t/6318a57d70024751c79e09bc/1662559614321/MOSTWISE_SEL_Gains_Charts_-_MCSR_2016-17_Program_Year_-_Nov_30_2017_FINAL%2B%281%29.pdf

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Krug, E. G., Dahlberg, L. L., Mercy, J. A, Zwy, A., Lozano-Ascencio, R. (2002). Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la Santé, Genève. En ligne : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/42545/9242545619_fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y

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Prévot, E. (2010). « Féminisation de l'armée de terre et virilité du métier des armes ». In Cahiers du Genre, vol. 48, no. 1.

Salter, M. (2015). ‘Real men don’t hit women’: Constructing masculinity in the prevention of violence against women. Australian & New Zealand Journal of Criminology, 49. En ligne : https://www.researchgate.net/publication/277939071_'Real_men_don't_hit_women'_Constructing_masculinity_in_the_prevention_of_violence_against_women/citation/download

Weissman, D. M. (2007). The Personal Is Political-and Economic: Rethinking Domestic Violence, BYU L. Rev. 387. En ligne : https://digitalcommons.law.byu.edu/lawreview/vol2007/iss2/3

Zeilinger, I. (2008). Non c’est non. Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire, Zones. En ligne : https://www.editions-zones.fr/wp/wp-content/uploads/2019/01/9782355220029-non-c-est-non.html

         

         Plans gouvernementaux

Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025. En ligne : https://sarahschlitz.be/wp-content/uploads/sites/300/2021/11/20211125-PAN-2021-2025-clean-FR.pdf

Plan bruxellois de lutte contre les violences faites aux femmes 2020-2024, Gouvernement bruxellois. En ligne : https://equal.brussels/fr/publications/plan-bruxellois-de-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes/

Plan Droits des Femmes 2020-2024, Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En ligne : http://www.egalite.cfwb.be/index.php?id=21068

Vlaams actieplan ter bestrijding van seksueel geweld 2020-2024, Vlaamse Regering. En ligne : https://docs.vlaamsparlement.be/pfile?id=1613238

 

            Autres articles et sites internet

Centre Bertha Pappenheim, « Un homme peut-il être un conjoint violent malgré lui ? ». En ligne : https://centre-bertha-pappenheim.fr/2021/10/20/un-homme-peut-il-etre-un-conjoint-violent-malgre-lui/

Conseil de l’Europe (2015a). Sensibilisation à la violence à l’égard des femmes : article 13 de la Convention d’Istanbul. Série de documents sur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En ligne : https://rm.coe.int/168046e34e

Conseil de l’Europe (2015b). Prévention de la violence à l’égard des femmes : article 12 de la Convention d’Istanbul. Série de documents sur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En ligne : https://edoc.coe.int/fr/violence-l-gard-des-femmes/7139-pevention-de-la-violence-a-l-egard-des-femmes-article-12-de-la-convention-d-istanbul.html

Conseil de l’Europe (2022). Prévenir la violence à l’égard des femmes par l’éducation formelle et informelle : article 14 de la Convention d’Istanbul. Série de documents sur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En ligne : https://rm.coe.int/le-role-de-l-education-formelle-et-informelle-dans-la-prevention-de-la/1680a5c70c

Coutu, C. « Les campagnes de prévention en cybersécurité », Chaire de Recherche  en Prévention de la Cybercriminalité, Montréal. En ligne : https://www.prevention-cybercrime.ca/campagne-prevention#:~:text=La%20pr%C3%A9vention%20tertiaire%20se%20concentre,traitement%20correctionnel%20des%20personnes%20contrevenantes.

Croix, R. (2020). « Les Bulldogs disent non à la violence faite aux femmes », La DH Les Sports, Liège. En ligne : https://www.dhnet.be/sports/sport-regional/liege/2020/11/25/les-bulldogs-disent-non-a-la-violence-faite-aux-femmes-CT72JR7PXNFKPOMBBKLC5BBCUI/

Emma, « La ligne », 6 octobre 2022. En ligne : https://emmaclit.com/2022/10/06/la-ligne/

Herla, R. (2018). « Lutter pour l’égalité et/ou déconstruire les catégories femmes/hommes », CVFE. En ligne : https://www.cvfe.be/publications/analyses/71-lutter-pour-l-egalite-et-ou-deconstruire-les-categories-femmes-hommes

ONU Femmes (2012). “Scrumming together with rugby players to end violence against women in Georgia”. En ligne : https://www.unwomen.org/en/news/stories/2012/4/scrumming-together-with-rugby-players-to-end-violence-against-women-in-georgia.

ONU Femmes (2018). “One in seven women in Georgia experiences domestic violence new national study finds”. En ligne : https://eca.unwomen.org/en/news/stories/2018/03/one-in-seven-women-in-georgia-experiences-domestic-violence-new-national-study-finds

Vasseur, J.-L. (2019). « Campagne mondiale du ruban blanc », Ville de Liège. En ligne : https://www.vasseur.be/campagne-mondiale-ruban-blanc/

Site internet de Men Can Stop Rape (MCSR) :

https://mcsr.org/

https://mcsr.org/abouthmti

https://mcsr.org/ourvision

https://mcsr.org/mostclub

https://mcsr.org/wiseclub

https://mcsr.org/youthdevelopment

Site reprenant un témoignage :

https://www.indiegogo.com/projects/prevent-intimate-partner-violence-starting-with-our-youth#/

 

          Cours 

Cours de Lecture critique de textes en sciences sociales, Charlotte Pezeril, master interuniversitaire de spécialisation en études de genre, 2017-2018.

 

          Matériel de campagne analysé

  • Campagne Ruban blanc « Sois un homme, respecte les femmes » (17e édition), réalisées par la Ville de Liège en 2019

https://cripel.be/campagne-mondiale-du-ruban-blanc-contre-les-violences-faites-aux-femmes/

https://www.pgdesign.be/project/campagne-ruban-blanc/

https://www.youtube.com/watch?v=rOLctYZl1Wo

  • Campagne Ruban blanc « La violence envers les femmes est l’arme des faibles » (18e édition), réalisée par la Ville et la Police de Liège en 2020

https://www.dhnet.be/sports/sport-regional/liege/2020/11/25/les-bulldogs-disent-non-a-la-violence-faite-aux-femmes-CT72JR7PXNFKPOMBBKLC5BBCUI/

  • “My strength is not for hurting” (Men can stop rape, USA, 2000) et 1 spot vidéo réalisé en 2010 par le Tennessee Coalition Against Domestic and Sexual Violence and Verizon Wireless, basée sur la même campagne

https://cinderellaincombatboots.wordpress.com/2012/01/08/my-strength-is-not-for-hurting/

https://www.susanhuyser.com/2012/12/22/men-can-stop-rape-posters/

https://www.youtube.com/watch?v=61oXm_HNsoI

  • “My strength is for defending” (Défense militaire US, 2009)

https://www.susanhuyser.com/2012/12/22/men-can-stop-rape-posters/

https://www.susanhuyser.com/2012/12/22/men-can-stop-rape-posters/af-trev_1-27-qxd/

U.S. Government Accountability Office (2015). Combating Sexual Assault in the Military. En ligne : https://www.gao.gov/blog/2015/04/23/combating-sexual-assault-in-the-military

https://www.174attackwing.ang.af.mil/News/Article-Display/Article/439476/dod-officials-kick-off-sexual-assault-awareness-month-with-campaign-web-site/

https://www.sapr.mil/public/docs/news/awardee_program_final.pdf

https://ajnoffthecharts.com/alerting-nurses-to-increased-reports-of-sexual-assault-in-the-military/

https://www.youtube.com/watch?v=kHLuigZDJGY 

  • « Real men don’t abuse women » (CFMEU, Australie, 2013)

https://www.facebook.com/CFMEU/photos/cfmeu-poster-in-support-of-white-ribbon-campaign/504739639624131/?paipv=0&eav=AfbM_oHOK2ZJwz1L1PKfFT6KHTnARDRQL2SXXqy30X5dy7yYYmmv7UvTh65coBs0LXA&_rdr

  • « Real men don’t hit women », Grapevine, Etats-Unis

https://www.pinterest.co.uk/munarabeknazaro/%D1%81%D0%B5%D0%BA%D1%81%D1%83%D0%B0%D0%BB%D1%8C%D0%BD%D0%BE%D0%B5-%D0%BD%D0%B0%D1%81%D0%B8%D0%BB%D0%B8%D0%B5/

  • « Tu seras un homme, mon fils », Fondation des Femmes, France, 2018

https://www.youtube.com/watch?v=H88u4MIW460

  • « Georgian rugby players say no to violence against women », réalisé par ONU Femmes en 2010 en partenariat avec l’Union Géorgienne de Rugby

https://www.youtube.com/watch?v=F3DRdqx_dBY&list=PLbSIghGYsvYRQjRcAODi7MQHBa7_9Czlb&index=13


 

Campagnes de prévention des violences faites aux femmes destinées aux hommes alliés : masculinisation de la prévention ou prévention masculiniste ?

Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE asbl) : rue Maghin, 11 – 4000 Liège.

Publications (analyses et études) : www.cvfe.be

Contact : Roger Herla  – Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Autrice : Anne-Sophie Tirmarche – Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Crédit photo : Choreograph via canva.com

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.

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