Quelle place pour les femmes dans les programmes pour ces élections 2024 ?
L’année 2024 est marquée par différentes élections : communales, régionales, fédérales et européennes. A cette occasion, nous avons voulu lire et comparer ce que les principaux partis francophones proposent pour lutter contre les violences faites aux femmes. Nous retranscrivons dans cette analyse ce que nous retenons de chacun des programmes.
Cliquez sur "Aperçu général" pour découvrir notre tableau récapitulatif des différentes propositions.
En ce qui concerne la déconstruction des stéréotypes, excepté le PTB qui se concentre plutôt sur des politiques matérielles, il semblerait que les partis aient plus ou moins un socle commun qui est de favoriser l’entrée et la représentation des femmes dans des domaines plutôt masculins comme le sport, les STEAM, les médias, etc, avec certaines variations selon les partis. La place que l’école doit jouer dans la déconstruction des stéréotypes varie également selon les partis et, à l’exception de DéFI qui n’en fait pas mention, tous les partis sont favorables à la mise en place de l’EVRAS dans les écoles, bien que le MR et les Engagés mentionnent l’une ou l’autre réserve à ce sujet.
Nous nous sommes ensuite intéressées à la lutte contre les inégalités de genre en nous concentrant sur les propositions à propos de l’autonomie financière des femmes, de leur double journée, de leur santé et du secteur associatif.
A propos de l’autonomie financière, nous observons à nouveau un clivage gauche/droite qui marque les propositions. Ecolo, le PS et le PTB, avec différentes variations - distinguant notamment Ecolo qui s’ancre moins dans le socialisme que les deux autres et développe moins ces points - sont pour un renforcement des services publics, de la sécurité sociale et prévoient différentes mesures afin de lutter contre la précarité ou contre les inégalités et la mise en place d’emplois stables et pérennes. Par exemple, ces partis s’opposent au statut cohabitant (ce qui est le cas de tous les partis à l’exception du MR), mentionnent vouloir un calcul de la pension qui prend en compte les temps-partiels au sein desquels les femmes sont majoritaires, ou encore sont pour l’automatisation des droits sociaux. Le MR, à l’extrême opposé, remet en question différents piliers de la sécurité sociale (notamment via des attaques envers les chômeuses et les chômeurs et les malades de longue durée), ne souhaite pas développer et renforcer certains secteurs publics, est, au contraire, ouvert aux partenariats avec le privé et souhaite renforcer les emplois qui ne cotisent pas pour la sécurité sociale. Entre ces deux opposés, les Engagés et DéFI ont des positions plus ambiguës. Par exemple, si les Engagés souhaitent plus de logements sociaux et l’élargissement de la gratuité scolaire (à l’instar des trois partis de gauche), le parti porte également différentes propositions qui affaibliraient notre système de solidarité à travers, par exemple, la remise en question des cotisations patronales, la limitation dans le temps des allocations de chômage, et l’absence de propositions concernant la protection d’emplois pérennes et cotisants. Il en est de même pour DéFI qui, s’il démontre un certain attachement à la sécurité sociale et à certains services publics qu’il souhaite maintenir (ou voir redevenir) fédéraux, d’autres propositions remettent également en question les cotisations et démontrent une volonté d’ouverture au privé.
Par rapport à la double journée des femmes, l’ensemble des partis s’accorde sur la nécessité de plus de places en crèches (sauf DéFI qui n’aborde pas le sujet). A l’exception du MR, l’ensemble des partis souhaite allonger le congé de paternité afin de l’aligner sur celui de maternité. Le PS, Les Engagés et DéFI ont également pour volonté de tendre vers l’obligation de ce congé de paternité. Notons que les trois partis de gauche souhaitent aller vers une réduction collective du temps de travail et souhaitent limiter les emplois à horaires ultraflexibles, à l’inverse du MR qui souhaite les renforcer. DéFI et les Engagés ne font pas mention de ce type d’emplois.
A l’exception de DéFI et du MR, l’ensemble des partis développe un point spécifique à propos de la santé des femmes. En ce qui concerne la contraception, sauf DéFI et le MR qui n’en font pas mention, l’ensemble des partis veut tendre vers un élargissement de la gratuité des différents moyens de contraception (avec, à nouveau, des variabilités selon les partis). A propos de l’IVG, Ecolo, le PS et le PTB veulent rallonger le délai et rendre plus accessible cette pratique. DéFI, qui ne développe pas autant de propositions afin de la rendre plus accessible, souhaite néanmoins la dépénaliser et rallonger le délai. Le MR règle la question avec un point qui vise à défendre “la liberté de disposer de son corps”. Les Engagés veulent la dépénaliser et l’inscrire dans la constitution, bien que nous observons quelques réserves de leur part.
Ensuite, nous observons encore une fois un clivage gauche/droite à propos du soutien au secteur associatif. Les trois partis de gauche démontrent un grand soutien au secteur (le PS et le PTB marquant également fortement leur soutien aux syndicats et aux mouvements sociaux, Ecolo faisant plus mention du rôle écologiste que peuvent jouer les associations). Les Engagés considèrent également le secteur comme crucial, mais proposent de déléguer des tâches de l’Etat à celui-ci (ce qui ne nous semble bénéfique ni pour nos services publics, ni pour l’associatif, ni pour les bénéficiaires). DéFI et le MR ne mentionnent pas l’immense travail réalisé par l’associatif, mais démontrent des positions de contrôle envers le secteur, voire de méfiance de la part du MR.
Pour finir, en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes, notons que l’ensemble des partis, à l’exception de DéFI, sont pour la création de plus de CPVS, ainsi que pour créer plus de places d’hébergement pour les victimes. En dehors de ces deux volontés, nous observons des propositions assez similaires pour Ecolo, le PS et les Engagés. En effet, les trois partis, qui souhaitent une justice plus accessible et plus centrée sur la place des victimes, développent une prise en charge assez transversale des violences faites aux femmes dans leurs points consacrés à la justice. Ces partis prônent la formation des professionnel-le-s, la prévention et souhaitent tendre vers des sanctions alternatives (les trois partis mentionnent Praxis). Le PTB est assez proche de cette vision, mais développe une approche plus strictement punitive en ce qui concerne les violences sexuelles et semble préconiser la prison. Néanmoins, nous sommes bien loin de la vision du MR qui développe un regard sécuritaire, répressif et punitif (c’est le seul parti qui souhaite construire plus de prisons). Le MR ne spécifie d’ailleurs qu’assez peu les victimes des violences faites aux femmes. Notons que DéFI est le parti avec le moins de propositions à ce sujet et ne développe pratiquement rien sur la prise en charge des victimes de violences faites aux femmes dans le cadre judiciaire.
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Cette analyse ne saurait être exhaustive et il n’est pas aisé de comparer ces programmes. En effet, ceux-ci ont des volumes extrêmement variés, abordent différemment les thématiques liées aux femmes, posent différents constats, etc. De plus, si nous avons pu analyser certaines thématiques grâce à notre expertise issue de notre travail de terrain et de différents écrits théoriques, nous n’avons pas cette expertise pour tous les sujets qui concernent les femmes. Ainsi, bien que conscientes de l’importance capitale de ces enjeux, nous n’abordons malheureusement pas les points concernant les politiques migratoires, les thématiques LGBTQIA+, les aînées, le racisme, ou encore, les propositions spécifiques aux femmes en situation de handicap.
Afin d’analyser les différentes propositions concernant les violences faites aux femmes, nous sommes donc parties de notre expérience de terrain et de notre bagage théorique. Nous avons souhaité développer une vision globale des violences faites aux femmes et prêtons une importance particulière au cadre dans lequel les femmes se situent. Ainsi, il nous a semblé important (et évident) de mentionner les propositions qui concernent l’autonomie économique des femmes, leur santé et leur double journée de travail. Notre analyse accorde donc une importance à la sécurité sociale et aux services publics, qui nous semblent être des remparts primordiaux contre les violences faites aux femmes, ainsi que des tremplins vers l’autonomie des femmes.
Pour finir, nous aimerions souligner que cette analyse est limitée aux programmes et que ceux-ci ne sauraient être représentatifs de l’ensemble du travail réalisé par les différents partis politiques. Nous tenons à préciser qu’il existe des conflits à l’interne de chacun de ces partis, avec des ailes plus à gauche et d’autres plus à droite. De plus, nous sommes conscientes que tout ce qui est noté dans les programmes n’en devient pas pour autant prioritaire pour ces partis. Nous avons d’ailleurs pu observer des écarts entre les propositions de certains partis et ce qui a été appliqué par les gouvernements dans lesquels ils étaient impliqués. Par exemple, PS et Ecolo mentionnent tous deux vouloir des pensions qui prennent en compte les temps partiels des femmes, ainsi que la limitation des emplois “atypiques” comme les flexijobs, mais les deux partis ont participé à un gouvernement qui a réformé les pensions sans prendre en compte le travail fractionné et qui a étendu ces flexijobs. Les politiques que nous observons sont bien souvent le résultat de conflits, compromis et marchandages et ce serait une erreur de se limiter à la seule lecture des programmes pour saisir le travail mené par les différents partis qui vise à améliorer (ou empirer) les conditions de vie des femmes. Cette analyse comparative est un outil, que nous avons souhaité didactique, et doit être considéré comme tel. Cet outil permet la mise en lumière des différentes manières d’aborder les violences faites aux femmes, ainsi que le projet sociétal défendu par chacun des partis. Nous pensons, et espérons, que cet outil peut être utile pour les électrices et les électeurs, pour les différent-es professionnel-les de l’éducation (permanente), ainsi que pour les curieuses et curieux.
Aliénation parentale : concept pseudo-scientifique selon lequel un-e enfant serait manipulé-e par l’un des parents (le plus souvent la mère) pour haïr l’autre (le père) dans le cas d’une séparation. Une loi contre l’aliénation parentale en Belgique ? 'Non, il faudrait plutôt bannir ce concept' - RTBF Actus
Cellules EVA : Emergency victim assistance. Il s’agit d’une cellule dédiée spécifiquement à l’accueil des victimes de violences sexuelles ou intrafamiliales.
COCOF : Commission Communautaire Française
Convention d’Istanbul : Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
CPAS : Centre Public d’Action Sociale
CPVS : Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles : https://cpvs.belgium.be/fr
STEAM : Science, Technologie, Ingénierie, Art et Mathématiques
EVRAS : Education à la Vie Relationnelle Affective et Sexuelle : https://www.evras.be/
PRAXIS : Association soeur du CVFE qui vise à responsabiliser les auteurs de violences : http://www.asblpraxis.be/
SECAL : Service des Créances Alimentaires
AMU : Aide Médicale Urgente qui permet aux personnes sans papiers d'avoir accès à un minimum de soins de santé.
Logements AIS : Agence Immobilière Sociale : ce sont des partenariats entre des propriétaires de logements privés et les services pulics afin que ces logements deviennent "sociaux", c'est-à-dire destiné aux publics qui peuvent obtenir ces logements et à bas loyers.
Automatisation des droits sociaux : le fait d'automatiquement verser les allocations, revenus, aides, etc qu'une personne est en droit de recevoir, sans qu'elle n'ait à en faire la demande.
VIF : Violences Intra-Familiales.
Doxxing : Abréviation de « dropping dox » qui signifie « fournir des preuves » ou encore « lâcher des infos ». D'une manière générale, le doxing est un acte malveillant utilisé contre des personnes avec lesquelles le cybercriminel est en désaccord ou en mauvais termes. Qu'est-ce que le doxing : est-ce illégal et comment l'éviter ? (kaspersky.fr)
FWB : Fédération Wallonie-Bruxelles
Gender Budgeting : une application de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le processus budgétaire Gender budgeting | Institut pour l'égalité des femmes et des hommes (belgium.be)
Gender Mainstraiming : la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques Gender mainstreaming | Institut pour l'égalité des femmes et des hommes (belgium.be)
Intersectionnel : notion sociologique qui désigne la manière dont les différentes formes d’oppression comme le racisme, le sexisme, le classisme, le validisme, l’homophobie, la transphobie, et d’autres, s’articulent et se renforcent mutuellement.
IVG : Interruption Volontaire de Grossesse.
PMR : Personnes à Mobilité Réduite
PMS : Centre Psycho-Médico-Sociaux.
Points violets : Lieux "safe" mis en place en Espace, notamment dans les lieux festifs. Ceux-ci permettent de venir déposer, discuter, etc d'une situation sexiste auprès de profesionnel-les.
PSE : Service de Promotion de la Santé à l’Ecole
RIS : Revenu d’Intégration Sociale
SAJ : Service d’Aide à la Jeunesse
SPJ : Service de Protection de la Jeunesse
VFF : Violences Faites aux Femmes.
Victim Blaiming : Fait de mettre la responsabilité d’un crime ou d’un méfait sur sa victime et blâmer celle-ci. Définition de victim blaming | Dictionnaire français (lalanguefrancaise.com)