Double féminicide à Gouvy
Nathalie Maillet, 51 ans, directrice du circuit de Spa-Francorchamps et Ann Lawrence Durviaux, 53 ans, avocate namuroise et professeure à l’Université de Liège ont été assassinées le week-end dernier. Le meurtrier Franz Dubois, l'ex-mari de la Nathalie Maillet, s’est ensuite donné la mort.
Dans le cadre de ce double féminicide, le CVFE souhaite partager les analyses de l’article des Grenades et en souligner quelques éléments essentiels.
Un traitement médiatique questionnant
Nous n’allons pas revenir sur les nombreux articles de mauvais goût diffusés par la Presse ces derniers jours. En effet, il a été question de « drame passionnel », une « expression bien connue qui minimise les faits, culpabilise les victimes et dédouane l’agresseur » (C. Wernaers).
Il y a également eu des articles où le nom du meurtrier n’a pas été prononcé comme pour le protéger, ou dans le cas contraire il l’a été pour nuancer ses actions, pour annoncer son anniversaire prochain ou flatter son caractère agréable.
Selon le blog Stop féminicide, Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux sont respectivement les 15e et 16e victimes de féminicide cette année dans notre pays. 14 victimes avant elles dont les noms et les circonstances de leur décès n’ont pas fait la une d’autant de journaux.
Oui, ce double-meurtre est abominable, mais ils le sont toujours. Oui, ce fait de sexisme est en plus marqué par une homophobie et enfin oui, Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux étaient connues de par leur profession, elles avaient accès à une société plus aisée faite de politicien·ne·s, de chef·fe·s d’entreprises et d’universitaires. Il est possible également de penser que l’une des raisons d’une telle médiatisation soit le statut social des victimes. Ces féminicides viennent faire mentir ce que l’on pense fréquemment des violences au sein du couple : « qu’elles n’existent que chez les autres, et chez les pauvres ».
Les violences conjugales et intrafamiliales nous concernent toutes et tous : ce sont près 40 000 plaintes pour violences dans le couple déposées en 2020 en Belgique, issues de tous les milieux sociaux, de toutes les origines ethniques et de toutes les religions…. Et selon une étude de l’Université de Gand, une majorité de victimes ne demande pas d’aide et surtout ne dépose pas de plainte à la police. Les chiffres de criminalité ne traduisent donc pas cette violence invisible.
Comment lisons-nous ces éléments en tant qu’association de défense des droits des femmes, mais également engagée contre les discriminations croisées ?
Comment peut-on encore entendre le terme de « crime passionnel » ?
Il s’agit d’un double féminicide et non d’un crime passionnel. Encore moins d’un « drame familial ». Selon la linguiste française Anne-Charlotte Husson (Journal des Femmes), « Drame » et « passionnel » renvoient au lexique du théâtre, avec l’idée d’un emportement, d’un individu dépassé par une force incontrôlable, si forte qu’il n’est plus responsable de ces actes…
Quant au terme « crime passionnel », il évoque une passion amoureuse qui rend l’individu peu rationnel suite aux forces amoureuses qui le dominent et, en sens, cela permet de dédouaner, de nuancer le crime, car l’auteur est lui-même victime de ses passion, provoquées par sa relation avec la victime.
Le féminicide est défini par l’OMS comme le meurtre ou l’assassinat d’une femme parce qu’elle est une femme, formulation qui suscite fréquemment l’incompréhension et la controverse dans l’opinion publique. Pour la comprendre, il faut entendre sa nature, son caractère systémique. Il s’agit d’actions récurrentes et structurelles (c’est-à-dire qui s’inscrivent dans un contexte sociétal qui explique la surreprésentation des femmes comme victimes / des hommes comme auteurs, et pas seulement le fruit de situations individuelles de détresse psychologique), car elles découlent de rapports de force historiquement inégaux entre les deux groupes, de relations de domination et de discriminations.
Les féminicides regroupent à la fois des crimes de haine envers les femmes, ceux dits d’honneur (encore un terme plus que discutable), et les meurtres/assassinats conjugaux. Dans ce dernier cas, il serait peut-être plus exact sémantiquement de parler d’uxoricide (d’uxor, l’épouse en latin) : la personne est tuée parce qu’elle est / refuse de demeurer « la femme de ». Le fait que le même mot recouvre à la fois le genre d’une personne et un statut, conjugal, est déjà révélateur du fait qu’en dehors de ce statut, il n’y a pas historiquement d’autre rôle prévu, et pas de salut encore aujourd’hui, trop souvent…
Ces actes sexistes-là expriment une volonté de (re)prise symbolique de contrôle de l’auteur sur la victime, à travers la destruction de la personne – chosifiée- qui lui résiste, ou lui échappe.
En effet, après plus de 40 ans de luttes contre les violences faites aux femmes nous, au CVFE, savons que les moments de séparation sont particulièrement à risque pour les conjointes.
Il s’agit bien d’un féminicide - double, loin de l’imaginaire, de l’homme trahi qui rentre chez lui à l’improviste retrouvant sa femme dans les bras d’une autre : il y a rapport de pouvoir où l’un·e n’a pas le droit d’être heureux·se, et a fortiori de vivre sans l’autre.
Est-ce un crime lesbophobe ?
La lesbophobie est un phénomène particulier au sein de l’homophobie. Aux violences liées à la perception encore trop largement négative de l’homosexualité, s’ajoutent des violences sexistes auxquelles toutes les femmes sont confrontées. Ceci viendrait de l’idée hétéro-patriarcale que les femmes se doivent d’être sexuellement disponibles pour les hommes, ce que lesbiennes ne sont pas comme explique Irène Zeilinger, sociologue et fondatrice de l’ASBL Garance, qui explique que cette lesbophobie est institutionnalisée dans la pornographie mainstream. Nous partageons cette analyse. En effet, beaucoup de scènes illustrent un rapport sexuel entre deux femmes, auquel un homme va s’ajouter pour rétablir son droit à l’accès aux corps féminins, travers l’exécution de ce fantasme. Le viol punitif des femmes homosexuelles servant lui aussi à réaffirmer leur devoir de disponibilité.
Depuis plus de 40 ans et encore tant que cela sera nécessaire, le CVFE luttera aux côtés des femmes, des enfants et de toutes personnes engagées contre les violences faites aux femmes.
Derrière ces féminicides, cette attention médiatique, les interviews de personnalités politiques, universitaires, militantes ou autres, il y a trois familles, des amis, des collègues en deuil, qui ont perdu un être cher. Nos derniers mots leur sont destinés, nous leur souhaitons du courage et de la force durant cette épreuve.
Sources :
- https://www.agirparlaculture.be/luttes-feministes-et-batailles-semantiques-anne-charlotte-husson/