Réforme des rythmes scolaires : n'oublions pas les femmes victimes de violences conjugales
Des vacances d’été rabotées de deux semaines, et des congés d’automne (Toussaint) et de détente (Carnaval) prolongés chacun d’une semaine : le changement de rythme scolaire annoncé en Fédération Wallonie-Bruxelles va pousser les parents séparés à se remettre autour de la table pour décider des modalités d’hébergement adaptées au nouveau calendrier. Une situation loin d’être anodine pour les femmes victimes de violences conjugales.
Introduction
Le changement des rythmes scolaires dans l’enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles, prévu pour cette rentrée 2022, ne laisse personne indifférent. De nombreux acteurs du secteur de la jeunesse s’inquiétaient, dans une carte blanche, de l’ampleur des adaptations attendues de leur part dans un délai si court. Des parents d’élève craignent quant à eux que le décalage avec le rythme scolaire en Flandre « fasse fuir les derniers enseignants flamands des écoles en immersion ». Les députées Bianca Debaets (CD&V) et Mathilde Vandorpe (CDH) allaient jusqu’à s’alarmer, en décembre 2021, que cette réforme, appliquée uniquement en Belgique francophone, constitue un « premier pas vers la scission du pays ». Le secteur du tourisme, quant à lui, aurait plutôt tendance à se réjouir des avantages que lui conférerait ce changement de rythme.
Le débat public très vif sur le sujet n’a toutefois, jusqu’à présent, pas mis en évidence l’impact de cette réforme pour les femmes victimes de violences conjugales. Or, qui dit nouveau calendrier scolaire dit nouvelles négociations de la garde pendant les congés pour les parents séparés. Des discussions susceptibles d’apporter de l’eau au moulin des auteurs de violences conjugales, friands de moyens de pression à exercer sur leur (ex-)compagne. A fortiori dans un contexte où les parents séparés sont fortement encouragés à privilégier les solutions à l’amiable pour désengorger les tribunaux de la famille.
L’impact de la réforme sur les femmes victimes de violences conjugales
Comme l’explique Roger Herla, coordinateur de la recherche au CVFE et anciennement psychologue au refuge pour femmes victimes de violences : « la question des gardes, notamment lors des congés est un enjeu majeur dans le cadre des relations post-séparation : c'est un moyen de faire pression (en réclamant la garde, en ne la respectant pas, via diverses menaces). Et les moments où les parents se rendent mutuellement les enfants sont évidemment aussi des temps hyper-délicats dans le cadre de relations où la violence persiste. »
Du côté des femmes prises en charge au CVFE, le changement de calendrier scolaire commence à inquiéter : « Comment va-t-on faire avec le jugement en cours ? Il ne sera plus adapté à notre situation... ». Ces femmes se préparent, avec appréhension, à devoir repasser au tribunal. Comme l’a montré une recherche[1] menée entre 2018 et 2019 par notre homologue louviérois Solidarité Femmes, « Le sentiment de peur persiste et s’intensifie à chaque changement dans l’organisation du système », qu’il s’agisse d’un passage au tribunal ou de nouvelles décisions pour les enfants. Ces violences post-séparation se manifestent notamment par des menaces de faire perdre la garde ou de fausses allégations visant à discréditer la mère pendant les procédures.
Changer les rythmes scolaires, pour les femmes victimes de violences conjugales, c’est donc remettre de l’huile sur le feu.
Les besoins de l’enfant… témoin ?
En Fédération Wallonie-Bruxelles, la Ministre de l’Éducation, Caroline Désir, et la Ministre de l’Enfance, Bénédicte Linard, se félicitent que la réforme se base sur les besoins de l’enfant, sur leur bien-être et leur émancipation. Sans remettre en doute les bienfaits de la révision du rythme de l’année scolaire pour les apprentissages, nous souhaitons toutefois attirer leur attention sur la situation des enfants exposés aux violences conjugales, qui risquent bien de se retrouver, lors de la re-négociation de la garde, au cœur de stratagèmes visant pour les auteurs à renforcer leur stratégie de contrôle et de domination sur leur ex-conjointe. Les enfants dits « témoins » sont, rappelons-le, également considérés comme victimes de violences conjugales, notamment parce qu’ils subissent un climat de tension, de peur et d’insécurité, et perçoivent la détresse du parent agressé. Prendre en considération les besoins de ces enfants exposés implique, dans ce dossier comme ailleurs, de tout mettre en œuvre pour prévenir les violences. Il s’agit ici de tenir compte de l’inadéquation des modes de résolution alternatifs de conflit aux cas de violences conjugales, dispositifs qui, nous le savons d’expérience, seront malencontreusement proposés aux couples concernés, faute d’une formation suffisante des avocat·es.
Les solutions à l’amiable : pas pour tout le monde
En effet, pour prévenir l’engorgement des tribunaux de la famille dans ce contexte de re-négociation des modalités de la garde, « AVOCATS.BE [NDLR : l’ordre des barreaux francophone et germanophone[2]] s’engage à privilégier les accords entre parents, via la négociation, la médiation ou le droit collaboratif aux fins de mettre en place un calendrier « sur mesure ». » C’est ce qu’on peut lire sur le site rythmesscolaires.be, conçu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Avocats.be et la Ligue des familles et dédié à la réforme éponyme. Ce site propose en effet un outil visant à aider les parents séparés à trouver, dans la mesure du possible, un accord à l’amiable ; il s’agit de « sept exemples de calendriers qui faciliteront l’adaptation des nouvelles périodes de vacances sans modifier l’hébergement qui était déjà prévu en dehors de ces périodes »[3]. Nous saluons cette initiative, car cet outil s’avèrera précieux pour faciliter les discussions entre les parents restés en bons termes, voire même « ceux qui s’entendent moins bien », comme le précise Jennifer Sevrin, chargée d’études à la Ligue des familles[4].
Mais notre inquiétude est grande. Car dans ce contexte, les avocat·es, qui restent insuffisamment formé·es à identifier les dynamiques de violences conjugales, risquent fort d’inciter des couples concernés à opter pour des modes alternatifs de résolution des conflits. Un dispositif auquel la Convention d’Istanbul interdit d’ailleurs de recourir de façon obligatoire dans un contexte de violences conjugales : comment une discussion sur un pied d’égalité pourrait-elle être possible quand un homme exerce une domination sur son ex-conjointe ? Loin de vouloir trouver une solution, l’auteur de violences conjugales utilise parfois cette médiation pour manipuler les professionnel·les et renforcer son emprise, ce qui peut avoir pour effet d’accroitre ces violences, voire d’y ajouter une victimisation secondaire (soit des formes de violences institutionnelles liées à une mauvaise prise en charge). Là aussi, il importe de tenir compte des besoins des femmes victimes de violences.
Pour une prise en compte des besoins des femmes victimes de violences conjugales
Au final, se poser la question des conséquences de la réforme des rythmes scolaires pour les femmes victimes de violences conjugales, c’est ouvrir la boite de Pandore : c’est révéler en creux l’ensemble des violences institutionnelles subies par les femmes concernées. Être trop souvent contrainte de partager la garde des enfants avec un homme violent, se voir accusée d’aliénation parentale quand on tente de les protéger, être fortement incitée à trouver un terrain d’entente avec Monsieur plutôt que de passer par le tribunal… Une série d’injustices qui rendent le fardeau des violences conjugales encore plus lourd à porter.
Les associations féministes réclament de longue date une meilleure formation des (futurs) acteurs de la justice. À l’issue d’un processus participatif, l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES) a d’ailleurs émis une série de recommandations pour intégrer dans la formation initiale des contenus relatifs aux violences faites aux femmes[5]. Nous espérons que l’opérationnalisation suive.
Dans le cadre de cette analyse, nous nous limiterons à deux simples propositions :
- Informer, dans toute communication destinée aux parents dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, y compris sur le site rythmesscolaires.be soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, sur l’existence de la ligne d’Écoute Violences Conjugales : un geste facile à poser, qui rappelle aux femmes concernées qu’elles ne sont pas seules ;
- Attirer l’attention des avocat·es sur les liens existant entre négociation de la garde et violences conjugales post-séparation, et leur rappeler l’inadéquation des modes alternatifs de résolution de conflit dans un contexte de violences conjugales, et l’interdiction de les rendre obligatoires, conformément à la Convention d’Istanbul (art. 48).
Le CVFE prendra des contacts en ce sens avec, respectivement, les cabinets de la Ministre de l’Éducation et de la Ministre de l’Enfance, ainsi qu’Avocats.be.
Notes :
[1] Emmanuelle Mélan, L’impossible rupture. Clés de lecture et chiffres pour penser la sécurité des femmes et enfants dans un contexte de violences conjugales post-séparation, octobre 2019, Solidarité Femmes asbl La Louvière, 60 pages.
[2] Son rôle consiste à « représenter et défendre les intérêts de la profession d’avocat, mais également de défendre les intérêts des justiciables » (https://avocats.be/fr/%C3%A0-propos-d%E2%80%99avocatsbe-lordre-des-barreaux-francophones-et-germanophone-de-belgique)
[3] https://www.rythmesscolaires.be/gardespartagees
[4] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20220110_01652634/rythmes-scolaires-un-outil-pour-aider-les-parents-separes
[5] Les recommandations portant sur le secteur juridique émanent du milieu associatif spécialisé, puisque faute d’inscriptions suffisantes des professionnel·les concerné·es, l’atelier n’a pas pu se maintenir.
Pour citer cette analyse :
Anne-Sophie Tirmarche, "Réforme des rythmes scolaires : n'oublions pas les femmes victimes de violences conjugales" , Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), février 2022.
Contact :
Autrice :
Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.